La victoire de David Cameron est-elle la victoire de l'austérité ?

Par Romaric Godin  |   |  1459  mots
Un meeting conservateur durant la campagne électorale britannique.
La victoire des Conservateurs est souvent présentée comme une victoire de la politique d'austérité du gouvernement Cameron. Mais cette analyse mérite d'être très largement nuancée.

L'occasion était trop belle. A peine connue la victoire des Conservateurs aux élections générales britanniques du 7 mai, les partisans des « réformes » en ont fait leurs choux gras, voyant dans ce résultat, comme un éminent éditorialiste libéral, « la victoire de l'austérité. » Même le chef des députés socialistes Bruno Le Roux, qu'il faut donc classer dans la catégorie susnommée, a proclamé que la victoire de David Cameron était le fruit de « son courage à réformer. » C'est de bonne guerre, car les partisans de l'austérité budgétaire avaient, il est vrai, dû faire profil bas, le 25 janvier dernier, lorsque les Grecs avaient balayé le gouvernement Samaras malgré les cris d'orfraies de l'Europe. Londres efface donc Athènes et prouve que l'austérité peut payer électoralement.

Victoire conservatrice

Sauf que tout n'est peut-être pas si simple. Evidemment, le succès de David Cameron est incontestable. Avec 331 sièges aux Communes, 24 de plus qu'en 2010, les Conservateurs obtiennent leur plus important contingent de députés depuis 1992 et le Premier Ministre britannique est le premier chef de gouvernement depuis Margaret Thatcher en 1983 à gagner des voix après un mandat. Et le fait qu'un parti puisse obtenir la majorité absolue des sièges avec 36,9 % des voix n'est pas en soi un scandale. Rappelons qu'en Grèce, Syriza et ses alliés eurosceptiques de droite des Grecs Indépendants (ANEL) dispose de la majorité absolue avec 41 % des voix. Bref, David Cameron n'a pas volé sa victoire. Mais, est-ce, pour autant, un « triomphe » ? Et, surtout, est-ce un triomphe de « l'austérité » ou des « réformes » ?

Miroir déformant du système électoral

Le système électoral britannique - qui attribue le siège de la circonscription au candidat arrivé premier, quel que soit son score - est un miroir particulièrement déformant. Aussi les 24 sièges supplémentaires arrachés par les Conservateurs ne sont-ils le fruit que d'une augmentation de 0,8 point du score en vote de ce parti. Ce que David Cameron est parvenu à faire, c'est maintenir ses positions de 2010, pas davantage. En ce sens, les Travaillistes du Labour connaissent une progression deux fois plus élevée de leur score électoral (+1,5 point à 30,4 %). Les circonscriptions prises par les Conservateurs aux Travaillistes sont peu nombreuses (quatre dont celle d'Ed Balls, le chancelier "de l'ombre") et elles sont compensées en partie par le phénomène inverse (deux). Les raisons du succès conservateur peut alors s'expliquer par trois phénomènes.

Effondrement libéral

Le premier, c'est l'effondrement du parti Libéral-démocrate qui a perdu 15,2 points à 7,9 % des voix. Dans de nombreuses circonscriptions jadis acquises à ce parti, l'effondrement de ce dernier a laissé les Conservateurs en première position, même lorsqu'ils ne progressaient peu. C'est notamment le cas dans le Sud-Ouest de l'Angleterre, en Cornouailles et dans le Devon, ou encore dans le Pays de Galles, zones traditionnellement libérales qui a, jeudi, envoyé une majorité de députés conservateurs aux Communes. Mais, il faut noter que l'affaiblissement des Lib-Dems n'a pas - ou peu - profité en voix aux Conservateurs. La coalition de David Cameron, qui a gouverné pendant 5 ans, a perdu des plumes en voix (près de 15 points de moins) et en sièges (23 sièges de moins) jeudi.

Poussée eurosceptique

Le second phénomène clé, c'est qu'une grande partie des déçus des Lib-Dems n'ont pas voté pour l'opposition classique, le Labour, mais pour le parti de Nigel Farage, le UKIP, notamment en Angleterre. Le UKIP gagne 9,5 points par rapport à 2010 avec 12,3 % des voix, mais il progresse de 10,7 points avec 14,1 % des voix sur la seule Angleterre. Or, comme le UKIP n'est pas assez fort pour emporter des sièges, ses voix se sont « perdues », tandis que le « manque à gagner » de cette montée eurosceptique pour le Labour l'empêchait de progresser suffisamment pour revenir contester la première place des Conservateurs. Or, si le UKIP est un parti favorable à l'équilibre budgétaire - comme tous les autres partis britanniques - il faut bien souligner que bien rares ont été les Britanniques à voter UKIP pour la cause de l'austérité. Ce vote est un vote de rejet de l'immigration et de l'Union européenne.

Le phénomène écossais

Dernier élément : l'Ecosse. Dans cette région, le parti national écossais, le SNP, a réalisé le seul « triomphe » de cette élection générale, obtenant 50 % des suffrages exprimés et 56 des 59 sièges en jeu. En 2010, il avait obtenu 20 % des voix et 6 sièges ! Dans cette région où les Conservateurs ne pèsent pas plus de 15 %, le raz-de-marée nationaliste s'est fait naturellement aux dépens des Travaillistes qui doivent céder 40 sièges. Le recul en sièges au niveau national du Labour, 26 sièges, s'explique donc uniquement par l'effet écossais. Car en dehors de l'Ecosse, le Labour progresse en sièges (16 de plus). Or, cette défaite travailliste en Ecosse ne saurait s'expliquer par une envie d'austérité ou de « réformes » au sens où l'entend Bruno Le Roux. Le SNP se place à la gauche du Labour et, malgré un programme parfois ambigu, est un des rares partis, avec les Verts (qui, on l'oublie, ont triplé leur score avec 3,8 % des voix, autant de voix qui ne sont pas allé aux Travaillistes), à s'être ouvertement présenté comme un parti « anti-austérité. »

Stabilité de l'électorat conservateur

L'analyse du scrutin britannique prouve donc qu'il n'y a pas eu d'adhésion massive des Britanniques ni au bilan de David Cameron, ni davantage à son programme de réduction drastique des dépenses publiques. Rien ne permet de dire qu'il existe au Royaume-Uni une « prime à l'austérité. » La débâcle des partenaires de coalition de David Cameron, les Libéraux-démocrates, le prouve. Les électeurs Lib-Dems de 2010 n'avaient pas voté pour la politique d'austérité du gouvernement. Logiquement, en 2015, ils ont donc sanctionné ce parti. Et bien peu ont rejoint le « partenaire » conservateur. Simplement, ce sont les Lib-Dems qui ont payé pour la politique du gouvernement. Les Conservateurs peuvent compter, eux, sur un socle d'électeurs fidèles, attachés aux principes d'orthodoxie financière. Dans le système électoral britannique, une telle fidélité est payée de retour. Surtout quand le principal parti d'opposition ne parvient pas à convaincre, comme c'est le cas du Labour. Mais il est faux de prétendre qu'il y a eu le 7 mai une « adhésion massive » à David Cameron.

Les Travaillistes auraient-ils dû défendre l'austérité ?

Mais pourquoi les Travaillistes n'ont-ils pas convaincus ? Une position plus « austéritaire » les auraient-ils sauvé ? On peut en douter. Compte tenu du positionnement du SNP, une telle position n'aurait pas permis de gagner des sièges en Ecosse. Or, on a vu que c'est dans cette région que l'affaiblissement travailliste a été la plus notable. Par ailleurs, le Labour se serait aliéné ainsi les électeurs Verts sans vraiment parvenir à convaincre ceux tentés par le UKIP, qui ne votent pas sur la question de l'austérité. Bref, parler d'un « triomphe de l'austérité » sur ces élections de 2010 n'a guère de sens.

Quel est le secret du « miracle économique britannique » ?

D'autant que, sur le plan économique, ce n'est pas « l'austérité » qui a permis le redressement du pays, mais bien plutôt l'apaisement de cette politique à partir de 2012 ainsi que la politique monétaire très accommodante de la Banque d'Angleterre, alors que la BCE restait inflexible. Il n'y a que dans les milieux libéraux français que l'on parle encore de « Big Society », ce concept qui devait cacher en 2010 l'austérité. Les Britanniques n'en parlent plus et même chez les Conservateurs, le terme est honni. La croissance britannique n'est pas une croissance portée par des « réformes », c'est une croissance qui se fondent encore sur des déséquilibres importants : déficit budgétaire de 5 % du PIB, déficit courant de 5,5 % du PIB, fort endettement des ménages, faiblesse de la production industrielle. Ceci ne fait pas de la croissance britannique forcément une « mauvaise croissance », mais ce n'est pas une croissance produit par la politique du gouvernement Cameron. Il est logique cependant que le premier ministre ait profité de la bonne santé de l'économie britannique. Mais il y a là, comme dans le cas du « triomphe électoral » un effet d'aubaine dont il n'est guère l'auteur. Utiliser le cas britannique pour relancer l'antienne sur la nécessité d'une bonne cure d'austérité en France est donc un travestissement de la réalité. C'est le fruit d'une campagne de communication, non pas de la réalité économique et politique du Royaume-Uni.

Le site de la BBC donne les résultats détaillés des élections britanniques.