Macron à Berlin : comment et quoi négocier avec Merkel ?

Par Florence Autret  |   |  1047  mots
En refusant d'annoncer pendant la campagne une épreuve de force avec l'Allemagne, comme l'ont fait d'autres candidats, Emmanuel Macron s'est attiré les grâces des dirigeants de Berlin. Il n'aura pas la tâche facile pour autant, même si la situation politique révélée par l'élection présidentielle lui donne des armes pour faire bouger l'Europe.

Lui président, son premier appel téléphonique serait pour Angela Merkel. Ainsi l'avait promis le candidat Macron. On n'en attendait pas moins de celui qui a placé toute sa campagne sous le signe d'une relance du projet européen et de l'amitié franco-allemande au point de tenir son grand discours de campagne sur l'Europe... à Berlin, le 10 janvier, devant le public conquis d'avance de l'université Humboldt.

Deux mois plus tard, il engrangeait non pas le soutien, mais au moins la faveur d'être reçu par la chancelière. Son ancien homologue au ministère de l'Économie, le social-démocrate Sigmar Gabriel, alors encore président du SPD, n'avait quant à lui pas hésité à s'affranchir de toute loyauté partisane en le soutenant... alors même que Benoît Hamon était le candidat officiel du parti socialiste. Pour finir, la frayeur suscitée par l'« hypothèse Le Pen » avait amené pratiquement toute la classe politique allemande à espérer son succès.

Aura-t-il pour autant la tâche plus facile quand il s'agira d'entamer des discussions avec celle qui domine depuis douze ans la politique européenne et pourrait bien réussir l'exploit d'enchaîner à la fin de l'année un cinquième mandat de chancelière ? Certes, l'alerte populiste en France donne des armes à Emmanuel Macron pour exiger une réforme de l'Europe et du fonctionnement démocratique en zone euro. Mais avec l'Allemagne, ce n'est pas aussi simple.

Donner des gages plutôt que d'user de la légitimité de l'élection

Au lieu d'établir un rapport de force ex ante comme l'avait tenté Jean-Luc Mélenchon avec son « plan B » de sortie de la France de la zone euro, ou, sur un registre moins frontal, Benoît Hamon avec son « traité pour la démocratisation de la zone euro », Emmanuel Macron a préféré promettre qu'il rechargerait dans un premier temps son crédit politique auprès de ses partenaires. « Nous, Français, devons restaurer la confiance avec les Allemands en faisant des réformes sérieuses », avait-il déclaré à Berlin.

Le président a donc délibérément décidé de ne pas user de la légitimité du suffrage universel pour entrer dans le jeu diplomatique franco-allemand, et à commencer par donner des gages. On peut le comprendre. Son prédécesseur François Hollande s'y était risqué, demandant avant son élection en 2012 un grand plan de relance européen et une renégociation des traités, qui, ni l'un ni l'autre, n'ont abouti.

Une réforme de la zone euro ?

Emmanuel Macron a donc des raisons de redouter d'aller à Berlin affublé de ce qui ne manquera pas d'être présenté par certains en France comme la promesse d'une politique d'austérité. Une posture délicate pour le président de la République dans le climat d'euroscepticisme ambiant, alors qu'on ignore encore à quoi pourrait ressembler sa majorité de gouvernement à l'Assemblée nationale.

Exprimé lui aussi pendant la campagne, le souhait d'une réduction de l'excédent budgétaire allemand, qui ne peut passer que par une augmentation des dépenses à Berlin, semble difficile à réaliser à court terme : la « flexibilité » de la Commission européenne à l'égard du « surplus » allemand a pour contrepartie sa souplesse vis-à-vis des déficits français. Et une alliance au Sud semble difficile alors que l'Espagne est à nouveau dirigée par la droite et que l'Italie, plus fragile que jamais, se prépare à de nouvelles élections au début de 2018.

Fidèle à sa logique, le ministre CDU des finances Wolfgang Schäuble a insisté jusqu'à présent sur un surcroît d'« automaticité », autrement dit de dépolitisation du contrôle des budgets nationaux et des éventuels transferts financiers supplémentaires entre membres de la zone euro qui pourraient être facilités par la création d'un budget commun pour les Dix-Neuf. Le débat sur les deux propositions phares du candidat Macron, la création d'un poste de ministre des finances et celle d'un parlement de la zone euro, reste très ouvert et prendra certainement des mois à mûrir, une fois le nouveau gouvernement en place à Berlin.

Signe que tout n'est pas figé de l'autre côté du Rhin, une pétition en ligne récemment lancée par deux élus Verts - dont le député européen Sven Giegold, et soutenue par des universitaires, des leaders syndicaux ou d'anciens responsables politiques sociaux-démocrates - demande explicitement à tenir compte des craintes d'hégémonie allemande exprimées pendant la campagne électorale française, et de saisir la chance de l'arrivée d'un président pro-européen en France pour consentir à une réforme en profondeur de la zone euro.

Voilà qui place le président devant un dilemme : dans la campagne électorale allemande va-t-il décider de jouer la neutralité, de prendre ouvertement parti pour ceux, sociaux-démocrates et Verts, qui se montrent plus réformistes, et feront campagne contre le parti de la chancelière, ou entamer des discussions avec celle-ci, comme si de rien n'était.

Délicate concurrence entre Paris et Francfort

Autre sujet brûlant et urgent : les effets du Brexit sur la concurrence entre les places financières de Paris et de Francfort. Berlin a déjà demandé à déplacer l'Autorité bancaire européenne, qui ne pourra rester à Londres, dans la capitale du Land de Hesse, également siège de BCE. La place de Paris est vent debout contre ce projet.

Mais le gouvernement Hollande s'étant déjà lancé dans une campagne pour installer à Lille l'Agence européenne du médicament, également appelée à quitter Londres, le prochain gouvernement devra rapidement prendre position sur la question, maintenant que la négociation du Brexit est lancée.

Enfin, à l'instar de François Hollande, qui avait trouvé avec la chancelière un terrain d'entente fructueux pour tenter de geler le conflit ukrainien, le président Macron sera vite confronté à la nécessité d'oeuvrer à la convergence des intérêts diplomatiques et stratégiques avec sa partenaire. Sa première visite à Berlin, annoncée pour les tout prochains jours, précédera de peu le sommet de l'OTAN à Bruxelles, le 25 mai, en présence des présidents américain et russe, Donald Trump et Vladimir Poutine.