Quel référendum d'autodétermination pour la Catalogne ?

Par Romaric Godin  |   |  1733  mots
Comme annoncé voici une semaine par le président de la Generalitat, le gouvernement catalan, Carles Puigdemont (ici en compagnie de Mariano Rajoy), la « feuille de route » vers l'indépendance catalane a été « mise à jour » et le processus est désormais clairement établi
Le parlement catalan a adopté le principe d'un référendum d'autodétermination, avec ou sans l'accord de l'Espagne. Mais les conditions du succès de ce référendum ne sont pas encore remplies.

Cette fois, la majorité indépendantiste catalane a lancé le processus d'autodétermination avec deux votes au parlement catalan jeudi 7 octobre. Comme annoncé voici une semaine par le président de la Generalitat, le gouvernement catalan, Carles Puigdemont, la « feuille de route » vers l'indépendance catalane a été « mise à jour » et le processus est désormais clairement établi : des « structures d'Etat » seront construites d'ici à juillet 2017. Parallèlement, Barcelone tentera de discuter avec Madrid la mise en place d'un référendum d'autodétermination accepté par l'Espagne. En cas d'échec de cette première voie, un référendum unilatéral se tiendra durant la seconde quinzaine de septembre et, en cas de succès de l'option de l'indépendance, cette dernière sera proclamée et des élections constituantes auront lieu en mars 2018. L'assemblée issue de ce scrutin préparera une constitution, en prenant en compte un « processus citoyen » qui sera, elle aussi, soumise à référendum.

Clarification de la feuille de route

A la différence de la première feuille de route, issue du programme électoral de la coalition indépendantiste Junts Pel Sí avant les élections catalanes du 27 septembre 2015, ce nouveau processus est relativement clair. Il n'évite pas, comme auparavant, l'écueil d'un échec des négociations avec l'Espagne et trace une voie directe vers l'indépendance ou vers le maintien de la Catalogne dans l'Espagne. Mais il n'empêche que tout n'est pas réglé. Loin de là. La question est évidemment de savoir si cette feuille de route, aussi claire soit-elle, est effectivement réalisable alors que plusieurs incertitudes demeurent.

Comment éviter un "9 novembre 2014" bis ?

Car, la vraie question n'est pas de faire un référendum, même reconnu par le gouvernement catalan comme « contraignant », il faut que celui-ci soit reconnu à l'extérieur comme un véritable exercice démocratique qu'il sera impossible de contourner ou de nier. Dans ce cas, si ce référendum est reconnu comme étant l'expression réelle de la majorité des Catalans, l'Espagne, qu'elle le veuille ou non, aura du mal à en nier le résultat et à continuer à le combattre, fût-elle juridiquement dans son droit. Le but désormais pour Carles Puigdemont est donc d'éviter un scénario semblable à celui de la « consultation » du 9 novembre 2014, interdite par le Tribunal Constitutionnel espagnol et qui s'est tenu dans des lieux organisés par les Indépendantistes. Du coup, même s'il a mobilisé 2,1 millions d'électeurs (soit 38,1 % de l'électorat), son résultat n'a pu être considéré comme réellement contraignant ni représentatif.

Quelles garanties ?

L'enjeu est donc désormais de donner des garanties supplémentaires à l'honnêteté du scrutin et à la reconnaissance de son résultat, mais aussi, par ces moyens mêmes, à en faire une consultation où les Catalans se reconnaissent, y compris ceux qui sont opposés à l'indépendance. C'est le sens de la motion adoptée jeudi par le parlement qui indique que le référendum « devra disposer des plus grandes garanties d'inclusion, assurer une participation la plus large et rechercher une reconnaissance recherchée de l'Union européenne et de la communauté internationale ». Autrement dit, ces éléments apparaissent comme des conditions de la réalisation de ce référendum. Et c'est un défi très délicat à relever pour le gouvernement catalan.

C'est dans cet esprit que le gouvernement catalan a décidé de créer d'ici un mois un « comité de suivi du processus d'autodétermination » qui sera formé d'experts internationaux et dont le but sera de garantir l'aspect démocratique du processus. Il s'agit de donner des garanties qui pourraient conduire à une reconnaissance des Etats étrangers. Il sera accompagné d'un « conseil consultatif sur le processus constituant » qui aura pour tâche de réaliser une consultation la plus large possible et de faire participer la société civile sur le thème de l'indépendance. In fine, il s'agit d'élargir la participation au débat au-delà des cercles indépendantistes.

La clé se trouve à gauche

Mais l'élément décisif de ce processus sera de savoir si le groupe autour de Podemos et de la maire de Barcelone Ada Colau accepte ou non le référendum unilatéral. Dans ce cas, les Indépendantistes sortiraient de leur « ghetto » : le processus serait soutenu non plus seulement par ces derniers qui ont réuni 47,8 % des voix le 27 septembre 2015, mais par un groupe qui n'est officiellement pas indépendantiste, mais qui est favorable au « droit à décider ». Le processus deviendra alors soutenu par des partis cumulant 83 des 150 députés et près de 56,7 % des voix aux dernières élections catalanes et aux élections espagnoles du 26 juin derniers.  Il sera alors impossible d'y voir un référendum « interne » aux seuls indépendantistes. Dans ce cas, les électeurs des partis unionistes pourraient être tentés de ne pas suivre les consignes de leurs partis et de se rendre aux urnes.

La gauche « indécise » se rapproche des Indépendantistes

Jeudi 6 octobre, ce groupe a clairement fait un pas dans cette direction. Le groupe regroupant Podemos et la gauche, appelé « Catalunya Sí Que Es Pot », CSQEP, a en effet voté avec Junts Pel Sí la résolution citée plus haut. Ce faisant, il s'engage, si les conditions posées sont respectées à participer au référendum. De façon très significative, cette résolution n'indique pas la nécessité d'un accord avec l'Espagne. Ce qui signifie que si l'Espagne refuse la « dernière offre » de Carles Puigdemont, CSQEP pourrait (mais c'est un engagement non formulé clairement) accepter le référendum si les autres conditions sont respectées. Logiquement alors, le groupe autour de Podemos s'est abstenu sur la résolution concernant le référendum unilatéral. Une abstention très significative là aussi : l'unilatéralité n'est pas a priori rejetée, mais on en attend les conditions. CSQEP n'a pas voté contre la résolution et n'a pas, comme les partis unionistes (Parti socialiste, Parti populaire et Ciudadanos), déserté l'hémicycle pour protester contre un « vote illégal ». Ce qui, en regard, signifie que ce groupe signifie que le vote est légitime, sinon légal, et que la question de l'unilatéralité ne doit pas être rejetée.

Conditions floues

La tâche sera cependant ardue pour Carles Puigdemont car les débats au sein de cette mouvance sont très vifs sur le sujet. De plus, les conditions fixées par la résolution votée par CSQEP et Junts Pel Sí sont assez floues. Il est impossible de déterminer à l'avance une participation et il convient de savoir à partir de quand la reconnaissance internationale est suffisante. C'est en réalité sur ce point que ce jouera l'essentiel. Or, si le gouvernement catalan utilisera sans doute son réseau diplomatique « parallèle » pour convaincre les Etats étrangers de reconnaître le processus, il faudra, pour emporter l'adhésion de CQSEP, emporter l'adhésion de l'UE. Et cette adhésion est pratiquement impossible dans le cadre d'une unilatéralité. D'abord, parce que Madrid est membre de l'UE et considère que cette affaire relève de sa politique intérieure et pas de l'UE. Ensuite parce que l'Espagne dispose ici de solides alliés, au premier rang desquels la France, très opposés à l'indépendance catalane et à l'ouverture d'une « boîte de Pandore » indépendantiste. On se souvient que Jean-Claude Juncker s'était fait taper sur les doigts lorsqu'il avait été tenté de jouer l'indépendance de l'Ecosse après le Brexit pour faire pression sur Londres en recevant la première ministre écossaise Nicola Sturgeon. Et sans appui de l'UE, le référendum unilatéral, même disposant des meilleures garanties, risque de ne pas disposer d'un soutien suffisant dans l'opinion pour être jugé réellement représentatif.

Madrid joue toujours la carte de la judiciarisation

CSQEP a donc gagné du temps par son « soutien conditionnel » au référendum unilatéral. Mais le groupe devra rapidement prendre clairement partie. « L'ultime offre » de Barcelone à Madrid de réaliser un référendum accepté par les deux parties sera sans doute ignorée dans la mesure où, qu'il y ait de nouvelles élections espagnoles ou un gouvernement minoritaire, le pays sera gouverné par une alliance entre les deux partis les plus opposés au référendum, le PP de Mariano Rajoy et Ciudadanos. Une situation qui réduit aussi l'option d'un « changement politique à Madrid » comme condition à tout référendum que défendait jadis CSQEP. La judiciarisation des décisions indépendantistes se poursuit par ailleurs : le gouvernement a ouvert une enquête sur la résolution du parlement ce jeudi et le tribunal constitutionnel a demandé au procureur général d'ouvrir des poursuites contre la présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell. La stratégie des unionistes et du gouvernement espagnol reste la même : prouver aux Catalans que le processus d'indépendance conduit à l'impasse parce qu'il est illégal. Pour cela, l'idée pourrait être même d'accélérer le mouvement pour empêcher la tenue du référendum.

Un choc avant le référendum ?

Le choc institutionnel entre Madrid et Barcelone pourrait ainsi intervenir avant même le référendum. Si la présidente du parlement est inhabilitée par la justice espagnole, alors il ne sera plus possible de rester dans l'indécision. Ou la majorité indépendantiste reconnaît la primauté de la justice espagnole et reconnaît sa décision, mais dans ce cas, l'unilatéralité sera enterrée de fait. Ou elle décide d'ignorer la décision et Carme Forcadell continue d'exercer sa charge et, de facto, la légalité catalane sera placée au-dessus de la légalité espagnole. Dans ce cas, et alors que l'offre catalane de référendum acceptée sera rejetée, CSQEP aura du mal à défendre son engagement pour le "droit à décider" sans accepter le référendum unilatéral, reconnaissance internationale ou pas. Et c'est ici que la gauche « indécise » devra clarifier ses choix. Si elle soutient Carme Forcadell, alors elle placera la légalité catalane au-dessus de la légalité espagnole. Elle sera dans l'unilatéralité et devra accepter le référendum. La rupture pourrait donc ne pas attendre septembre prochain.