L’Union européenne exige un rééquilibrage des relations commerciales avec la Chine

Par Maxime Heuze  |   |  1283  mots
« Nous avons des outils pour protéger notre marché », a rappelé Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. (Image d'illustration) (Crédits : ARND WIEGMANN)
Les dirigeants européens Charles Michel et Ursula von der Leyen sont arrivés jeudi à Pékin, où ils ont rencontré le président chinois à l'occasion d'un sommet consacré notamment au déséquilibre commercial entre les deux partenaires et l'entente russo-chinoise.

(Article publié le 6 décembre 2023 et mis à jour le 7 décembre à 15h30)

Un sommet sous tension. Consacré notamment au déséquilibre commercial entre les deux partenaires et l'entente russo-chinoise, ce 24e Sommet entre l'Union européenne et la Chine, le premier en face à face depuis 2020, s'est déroulé dans une atmosphère tendue. A peine arrivés à Pékin, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et Charles Michel, le président du Conseil européen ont rencontré le président chinois Xi Jinping et ont appelé à rééquilibrer les déséquilibres commerciaux, nettement en faveur de la Chine.

« La Chine est le plus important partenaire commercial de l'UE », a rappelé la présidente de la Commission à Pékin, « mais il y a clairement des déséquilibres et des différences que nous devons traiter ». Charles Michel a de son côté affirmé que l'UE souhaitait « une relation stable et mutuellement profitable avec la Chine ». Les deux entités doivent « répondre ensemble aux défis mondiaux », a répondu Xi Jinping. Finalement, après plusieurs heures d'échanges, la représentante européenne a déclaré « Je suis très satisfaite d'avoir convenu avec le président Xi que les relations commerciales devraient être équilibrées entre nous ».

Mais derrière ce constat partagé, porteur d'espoir, les propos précédant la rencontre traduisaient la dégradation des relations entre les deux puissances sous couvert de tensions commerciales latentes. Car l'exécutif européen n'avait pas attendu la rencontre pour faire part de ses doléances. « Les dirigeants européens ne tolèreront pas dans la durée un déséquilibre dans les échanges commerciaux », a prévenu mercredi Ursula Von der Leyen, dans un entretien avec l'AFP.

Bras de fer autour de l'accès au marché chinois

Au centre des tensions, l'UE critique le manque d'accès des entreprises européennes au marché chinois à cause d'un « traitement préférentiel » accordé aux entreprises chinoises. Un handicap pour le Vieux continent en partie à l'origine du déficit commercial de l'Union européenne avec la Chine qui a d'ailleurs doublé en deux ans pour atteindre le chiffre record de 390 milliards d'euros en 2022, selon la présidente de la Commission. Le « déséquilibre est visible », les exportations chinoises vers l'UE sont trois fois plus importantes que leurs importations a fait remarquer la responsable allemande.

La Commission européenne a d'ailleurs déjà pointé du doigt les mauvaises pratiques de Pékin. En visite en Chine le 25 septembre, son vice-président Valdis Dombrovskis avait dénoncé des « discriminations » dont feraient l'objet les entreprises européennes en Chine. « Cela s'est traduit par une moindre transparence, un accès inégal aux marchés publics, des discriminations sur les normes et exigences en matière de sécurité, ainsi que des exigences en matière de localisation et de transfert de données », avait-il alors affirmé.

Trois mesures jugées protectionnistes doivent notamment être abordées par l'UE. Au centre des critiques, les subventions chinoises aux entreprises nationales sont considérées par Bruxelles comme une véritable pratique anticoncurrentielle. Mais l'obligation chinoise faite aux entreprises d'utiliser des matériaux, composants ou sous-traitants chinois dans leur production pour accéder aux subventions chinoises, est également pointée du doigt. « Cet outil augmente la valeur ajoutée nationale dans un produit et amène les entreprises chinoises à limiter leur utilisation de biens et de services européens », détaille Elvire Fabry, chercheuse Institut Jacques Delors. Enfin, moins visible mais tout aussi pénalisant selon l'experte, le contrôle des données des entreprises exerçant sur le territoire chinois, au nom de la sécurité nationale, freinerait les entreprises européennes à investir dans le pays. « Cette pratique expose des dirigeants européens à des risques judiciaires personnels (une pratique dissuasive pour les chefs d'entreprises, ndlr) », ajoute Elvire Fabry.

L'Europe contre-attaque

Face à ces accusations de pratiques protectionnistes, jugées discriminantes pour les entreprises européennes, l'UE a déjà commencé à réagir. En septembre, la Commission avait notamment annoncé l'ouverture d'une enquête sur le soutien et les subventions des autorités chinoises aux constructeurs nationaux d'automobiles électriques. Une mesure justifiée par la volonté de défendre l'industrie européenne face à des véhicules vendus selon elle à des « prix artificiellement bas » sur les marchés mondiaux. En réponse, la Chine avait alors dénoncé l'enquête affirmant « Ce n'est rien d'autre que du protectionnisme pur et dur » et soulignant qu'elle nuirait à ses relations commerciales avec l'UE.

Mais la contre-offensive européenne ne s'est pas arrêtée là. Début octobre, l'UE a par ailleurs dévoilé une liste de domaines stratégiques qui devront être mieux défendus face à des Etats jugés rivaux comme la Chine - notamment l'intelligence artificielle.

« L'UE veut plus de réciprocité et affirme qu'elle pourrait être beaucoup plus dure dans sa mise en place de contre-mesures. Elle joue sur l'importance du marché européen pour la Chine, qui fait face à une croissance en berne et a fortement besoin d'exporter, pour obtenir des concessions de Pékin », analyse Elvire Fabry.

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Un sommet qui pourrait ne rien résoudre

Avec cette rencontre, l'UE cherche donc à convaincre Pékin d'arrêter les mesures qu'elle juge protectionniste. Cet objectif est d'ailleurs si important pour le Vieux continent que la représentante a adopté un ton menaçant mercredi. « Nous avons des outils pour protéger notre marché », a-t-elle affirmé, tout en répétant sa préférence pour « des solutions négociées ». Rompue aux dures batailles commerciales avec les Etats-Unis, la Chine ne s'est évidemment pas laissée impressionner par la menace. « Si l'UE impose de strictes restrictions à l'exportation de produits de haute technologie vers la Chine d'une part, et espère augmenter de manière significative ses exportations vers la Chine d'autre part, je crains que cela n'ait pas de sens », a fait valoir cette semaine Wang Wenbin, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, .

Résultat, selon la chercheuse de l'institut Jacques Delors, ce sommet « risque d'être à mi-chemin entre une joute rhétorique sur des critiques réciproques et une posture plus coopérative mais qui restera rhétorique sans engagement de Pékin. »

En effet, quand bien même l'Europe profite de la période de vulnérabilité de l'ex-Empire du Milieu, ce dernier a un argument de poids pour défendre ses intérêts : son quasi-monopole sur les matériaux essentiels à la transition écologique. La Chine fait planer la menace de couper l'approvisionnement de gallium, germanium, graphite et autres minerais servant à la confection de batteries ou encore de panneaux solaires... Dont elle contrôle 90% du raffinage mondial. Une rupture d'approvisionnement qui amènerait l'Europe en très mauvaise posture. Le bras de fer entre les deux puissances n'en est qu'à son début.

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Confrontation annoncée sur le contournement des sanctions à la Russie

En dehors des questions de concurrence, les deux dirigeants européens devraient aussi évoquer la question de l'Ukraine et du contournement des sanctions occidentales, avec leurs interlocuteurs chinois. Des entreprises chinoises sont accusées d'aider la Russie à obtenir des produits et technologies utiles à son effort de guerre contre l'Ukraine.

« Nous sommes dans un dialogue intense avec la Chine, et nous leur montrons différents exemples » à ce sujet, a assuré la présidente de la Commission européenne avant d'assurer que « Nous demandons à la Chine d'agir sur ces cas ».