Je t'aime, moi non plus. Voilà comment pourraient être décrites les relations entre la Chine et les Etats-Unis. Alors que la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen est arrivée ce jeudi à Pékin et a prôné une « concurrence saine » entre la Chine et les États-Unis, la Chine a lancé de nouvelles menaces non-dites à Washington lundi.
À compter du 1er août, les exportations de gallium -un minerai que l'on trouve dans les circuits intégrés, les LED et les panneaux photovoltaïque- et de germanium -indispensable pour les fibres optiques et l'infrarouge- nécessiteront une licence avant de pouvoir être autorisées en Chine. De plus, le destinataire final des exportations et l'objet de leur utilisation devront être précisés, ont annoncé les autorités chinoises.
Bloquer l'accès à des métaux stratégiques aux Etats-Unis
Pékin justifie officiellement ces mesures par la nécessité de « préserver la sécurité et les intérêts nationaux » en faisant passer la Chine avant l'étranger concernant l'approvisionnement de ces métaux stratégiques.
En réalité, il s'agit d'une nouvelle étape dans l'envenimement des relations sino-américaines. « C'est une décision géopolitique qui traduit une tendance de raidissement des relations entre les deux superpuissances qui ne se voit plus seulement avec des mots, mais aussi avec des actions », analyse, en effet, Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asterès et spécialiste de l'économie chinoise.
Illustration de ces tensions qui concernent notamment Taïwan, convoitée par Pékin, mais défendue par les Etats-Unis : fin 2022, Washington a décidé de limiter les exportations de machines de production de semi-conducteurs de pointe, en particulier celles du fabricant néerlandais ASML. En réponse, fin mai, la Chine a interdit l'utilisation des semi-conducteurs de l'Américain Micron dans certains secteurs pour motifs sécuritaires et menace donc maintenant implicitement de bloquer l'accès de ces métaux stratégiques aux USA et leurs alliés.
Un risque d'embargo des terres rares chinoises
Pour l'instant, même si la Chine représente 80% de la production mondiale de gallium et de germanium, selon des chiffres de la Commission européenne, « il ne s'agit que d'un coup de semonce » estime Christian Mion Senior Partner chez EY, spécialiste des matières premières. Ce dernier affirme que « l'annonce de la Chine ne va pas avoir d'effet sur la quantité de ressources disponibles, puisque les réserves de ces deux métaux sont présentes ailleurs dans le monde. Un embargo sur ces derniers provoquera, au pire, une tension temporaire sur la chaîne logistique et une augmentation des prix ». De gros mineurs, dont le Congolais, la Gécamines, le Russe, Rostec, et la société néerlandaise, Nyrstar, pourraient, en effet, remplacer les exportations chinoises. « Nous allons produire du germanium (pour remplacer le matériau) qui n'est pas disponible sur le marché », a d'ailleurs déjà déclaré à Reuters le président de la Gécamines, Guy Robert Lukama.
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Mais la vraie menace est ailleurs. Au-delà du gallium et du germanium, avec ces restrictions Pékin fait craindre un arrêt des exportations de terres rares ce qui « serait alors beaucoup plus grave pour nous » alerte le consultant. Et pour cause, bien que ces minerais (qui tirent leur nom de leur faible concentration dans le sol) soient présents sur de nombreux continents, la Chine a extrait 58% de la production mondiale et raffiné 89% en 2022. Problème, ces métaux sont cruciaux dans la confection de nombreux objets électroniques et numériques. Selon l'Agence internationale de l'énergie (IEA), les besoins en technologies bas-carbone, notamment pour les moteurs de véhicules électriques ou les éoliennes en mer, pourraient multiplier par sept la demande mondiale, d'ici 2040, soit près de 2 millions de tonnes par an, contre 280.000 tonnes en 2022.
L'Union européenne pourrait pâtir de la guerre commerciale sino-américaine
Consciente des risques pour son économie, la Commission européenne a annoncé, mardi 4 juillet, préparer « une analyse détaillée de leur impact potentiel [ndlr, des restrictions annoncées par la Chine] sur les chaînes d'approvisionnement mondiales et l'industrie européenne », a indiqué une porte-parole de l'Union européenne. « Nous appelons la Chine à adopter une approche où les restrictions et contrôles sont basés sur des considérations de sécurité claires dans le respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) », a-t-elle ajouté.
En cas d'arrêt des exports de Gallium, germanium ou même de terres rares, « les Européens se retrouveront dans une position délicate, car les Américains et les Australiens vont trouver des sources de productions alternatives », regrette Christian Mion.
Car le Vieux continent ne dispose pas de mines pour le moment et « l'éventuelle exploitation n'interviendra pas avant dix ou quinze ans, délai minimum pour ouvrir une mine et la mettre en service » affirme le Présidente du groupe d'experts sur les ressources minérales de la transition bas carbone Dominique Viel, dans une note. À l'inverse, l'Australie et les Etats-Unis disposent déjà de nombreuses mines et produisent respectivement 8% et 15% des terres rares au niveau mondial, selon l'Institut des études géologiques des États-Unis.
« En cas d'embargo de la Chine sur les terres rares, il y aura, bien sûr, quelques frictions, car les mines américaines et australiennes, ou autres devront augmenter leurs capacités de production ce qui prendra un peu de temps. Les Européens seront probablement servis après les pays producteurs et pourraient, en conséquence, manquer de ces métaux à court terme », anticipe François Candelon, directeur monde du BCG Henderson Institute, expert de la Chine.
Malgré ces risques les Européens ont décidé de répondre à la menace... par une autre menace. L'UE pourrait ainsi envisager « des actions dans le cadre de l'OMC ». Mais « l'OMC est une coquille vide car les Etats-Unis et la Chine prennent des décisions en dehors de cette institution depuis plusieurs années », rétorque Sylvain Bersinger, qui considère cependant que « cela montre que l'Europe est prête à prendre des contre-mesures. Dans les mois à venir, nous pourrions voir d'autres sanctions croisées et des nouvelles restrictions ». Une escalade des tensions qui pourrait finir par nuire au développement des nouvelles technologies et à la transition écologique en Chine comme en Occident.
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