Royaume-Uni : le "Brexit" a le vent en poupe

Par Romaric Godin  |   |  1082  mots
La campagne en faveur de l'UE, jugée trop négative, peine à convaincre outre-Manche.
Quatre sondages sont venus confirmer une tendance claire de ces derniers jours, en dépit de résultats souvent contradictoires : les partisans du Brexit progressent. Tentatives d'explications.

Le « Brexit », la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, semble gagner du terrain à un peu plus de trois semaines du référendum du 23 juin prochain. Deux sondages sont venus, mardi 31 mai, confirmer cette tendance qui était à l'œuvre depuis plusieurs jours. L'institut ICM a réalisé pour le Guardian deux sondages, un par téléphone et l'autre en ligne, qui débouchent sur le même résultat : en excluant les indécis, les partisans d'une sortie de l'UE représentent 52% des personnes interrogées.

Dans le détail, 45% des 1.054 personnes interrogées par téléphone ont l'intention de voter le 23 juin en faveur du Brexit, 42% contre ce dernier et 13% sont indécis. Dans le cadre du sondage en ligne, 47% des 2.052 sondés sont favorables au Brexit, 44% y sont opposés et 9% sont indécis. Les positions dépendent donc encore largement des indécis, mais la tendance est claire, car à la mi-mai, le sondage téléphonique avait donné une avance de 10 points aux partisans du maintien dans l'UE et le sondage en ligne avait conclu à une majorité de 52 % en faveur du Brexit.

Renversement de tendance

L'élément le plus intéressant de ce sondage est donc le basculement spectaculaire du sondage par téléphone en faveur du Brexit, alors que cette méthode était traditionnellement favorable au vote en faveur de l'UE. Jusqu'ici, deux sondages téléphoniques seulement avaient placé le Brexit en tête. La tendance semble claire : un sondage téléphonique ORB publié lundi confirmait certes l'avancée du vote en faveur de l'UE par 53% contre 47%, mais avec une nuance : le vote pour le Brexit progresse de 4 points en deux semaines. Un sondage en ligne de l'institut BMG donne 50% pour les deux camps, avec, là encore, une progression d'un point pour le « Brexit ». Si les sondages téléphoniques prédisent progressivement des résultats plus favorables à la sortie de l'UE, le Brexit aurait de sérieuses chances de devenir réalité le 23 juin, même si la qualité prédictive des enquêtes d'opinion britanniques demeure toujours incertaine, comme l'a démontré le résultat des élections de 2015.

Les Britanniques pas effrayés par le Brexit ?

Cette poussée en faveur du Brexit a de quoi surprendre les observateurs. L'avalanche d'études économiques mettant en garde contre les conséquences d'une sortie de l'UE, à court et à moyen terme, ne semble plus inquiéter les électeurs, notamment une partie des indécis qui penchent vers le Brexit. Début mai, on avait connu une poussée nette vers le « Remain », mais désormais l'aspect apocalyptique du discours des partisans de l'UE, notamment dans les milieux économiques et chez les Conservateurs, pourrait jouer en faveur du Brexit. Un sondage Ipsos Mori montre en effet que 58% des sondés estiment qu'un Brexit n'affecterait pas leur situation financière personnelle, tandis que 11% jugent qu'ils en seraient mieux. En tout, donc, près de sept Britanniques sur dix ne croient pas aux prédictions économiques des experts.

Une campagne trop « négative » du camp pro-européen ?

Ceci a deux conséquences. D'abord, toute campagne fondée sur la crainte de la part des partisans de l'UE risque de se retourner contre eux en donnant l'impression que le tableau est volontairement noirci pour forcer la main des Britanniques. L'ancien premier ministre écossais Alex Salmond mettait, du reste, clairement en garde contre une telle campagne et réclamait une campagne « positive » pour l'Europe. Mais, à gauche, où l'on est massivement en faveur de l'UE, la campagne est souvent négative également, fondée notamment sur la crainte de laisser le pays aux Conservateurs libertariens sans la « protection » des règles communes. Résultat : la campagne pro-UE est fondamentalement « négative », elle vise à éviter un avenir sombre. Ce n'est pas un vote d'adhésion. C'est donc un vote par nature « fragile ».

Les moteurs du vote Brexit

Deuxième conséquence : le « moteur » du vote ne se situe pas sur le plan économique pour de nombreux électeurs. Si ces derniers croient que l'effet économique du Brexit sera « neutre », leur choix va être déterminé par d'autres éléments : ceux de la souveraineté et l'immigration. Or, sur ce terrain, la population britannique, notamment anglaise, écoute plus volonté les camps pro-Brexit des Conservateurs et du parti eurosceptique de droite UKIP. ICM note, du reste, une progression des intentions de vote pour l'UKIP en mai, passant de 13% à 15%. Il semble que le Labour soit incapable de mobiliser en faveur de l'UE le vote ouvrier, qui est majoritairement favorable au Brexit, à 62 % selon ICM, et qui, logiquement, se tourne vers le parti de Nigel Farage. Enfin, une partie des électeurs Tory voient dans le vote pro-Brexit un moyen d'écarter David Cameron en faveur de l'ancien maire de Londres, Boris Johnson, qui représente une aile plus conservatrice du parti.

Les partisans du Brexit vont donc appuyer leur campagne sur les questions d'immigration. Boris Johnson et Michael Gove, les deux principaux dirigeants conservateurs anti-UE, ont ainsi ce 1er juin défendu l'idée d'un système à « points » pour les migrants comparable à celui de l'Australie, reprenant ainsi une vieille idée de l'UKIP. La campagne pro-Brexit joue évidemment sur une campagne démagogique et xénophobe, mais elle pousse son avantage face à une campagne pro-UE centrée sur le seul « projet de la peur » qui peine à convaincre.

Effet sur les marchés

C'est dire si l'option du Brexit ne doit pas être écartée. Sur les marchés financiers, chaque sondage favorable à la sortie de l'UE crée un effet négatif sur la livre sterling. L'euro a ainsi gagné 1,2 penny ce mardi, passant de 76,1 à 77,3 pence. Mais cette baisse de la monnaie britannique doit être relativisée : la livre s'était beaucoup appréciée depuis début avril, date à laquelle l'euro valait 80,1 pence. Les marchés des changes réagiront certainement très négativement à un vote en faveur du Brexit, mais rien ne dit que cette réaction sera durable. De même, les investissements étrangers dont dépend beaucoup le Royaume-Uni devraient marquer une pause. Pour combien de temps ? Tout dépendra des négociations qui s'engageront alors. En cas d'incertitudes sur le nouveau régime de relations commerciales et financières entre le Royaume-Uni et l'UE, la baisse sera plus forte. Mais l'UE semble très divisée sur la stratégie à mener en cas de Brexit : la France et la Commission défendent une position dure, l'Allemagne une position plus souple.