Une dirigeante « autocratique », « mauvaise »... Christine Lagarde sous le feu des critiques au sein de la BCE

Par latribune.fr  |   |  1005  mots
Christine Lagarde, en poste depuis novembre 2019, a déjà dû relever un bon nombre de défis. (Crédits : KAI PFAFFENBACH)
L'action de la présidente de la BCE serait jugée médiocre par la moitié du personnel de l'institution, selon le résultat d'une enquête interne menée par le syndicat Ipso et publiée ce lundi.

Covid-19, guerre en Ukraine et forte inflation... Christine Lagarde, en poste depuis novembre 2019, a déjà dû relever un bon nombre de défis. Mais l'action de la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) est jugée médiocre par une majorité du personnel de l'institution, contrairement à ses prédécesseurs. C'est ce que tend à montrer une enquête interne du syndicat de fonctionnaires Ipso publiée lundi. Elle est considérée aujourd'hui comme une présidente de la BCE « très mauvaise » ou « mauvaise » par près de 51% des personnels interrogés.

Il s'agit de la troisième enquête du genre, après celles réalisées à la fin des mandats de Jean-Claude Trichet en 2011 et de Mario Draghi en 2019. Cette fois, elle intervient à mi-mandat de Christine Lagarde, en poste jusque fin octobre 2027. Mario Draghi avait, lui, reçu 76% de notes positives en quittant l'institution, et 64% pour Jean-Claude Trichet.

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« Une dirigeante autocratique »

Près de 64% des quelque 1.100 personnes interrogées estiment que Christine Lagarde n'a pas amélioré la réputation de la BCE. Elles sont 53,5% à considérer qu'elle n'est pas la personne idoine pour la BCE, contre 22,8% qui jugent le contraire - 23,8% des personnes interrogées se déclarent sans opinion.

Selon près de 400 commentaires qualitatifs joints aux réponses, Christine Lagarde « est généralement décrite comme une dirigeante autocratique qui n'agit pas nécessairement selon les valeurs qu'elle proclame », résume l'enquête. Certains répondants ont même « l'impression qu'elle utilise les ressources de l'institution à mauvais escient pour améliorer son image personnelle ».

Parmi les évaluations positives, Christine Lagarde est décrite comme une « excellente dirigeante, capable également de prendre des décisions lorsque les circonstances sont incertaines ». Et 57% approuvent l'inclusion dans le mandat de la BCE de la protection de l'environnement.

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Une enquête erronée ?

Cependant, l'enquête ne fait pas l'unanimité. En tout 1.159 répondants ont participé au dernier sondage effectué en décembre, soit peu ou prou un cinquième de l'ensemble des effectifs de l'institution. L'enquête passe alors en revue, à travers une batterie de questions, des sujets relevant des conditions de travail à la BCE et d'autres se rapportant à son action en tant qu'institution monétaire.

« Cette enquête est erronée car elle comprend des sujets qui concernent le directoire (six membres) ou le Conseil des gouverneurs (26 membres), plutôt que la présidente », a réagi une porte-parole de la BCE. A noter qu'un conflit sur les salaires agite en ce moment la BCE, le syndicat Ipso ayant saisi en novembre le Tribunal de l'Union européenne pour contester une méthode d'indexation des salaires jugée défavorable.

Le directoire aussi est éreinté dans l'enquête d'Ipso, avec 59% des personnes interrogées qui sont insatisfaits de son action, soit un bond de près de 20 points depuis une autre enquête il y a un an. La BCE mène également ses propres enquêtes internes centrées sur l'institution. Il est ressorti en 2023 que 80% des salariés sont fiers d'y travailler et 89% croient en sa mission, avec environ 3.000 répondants.

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Taux : Lagarde devrait maintenir le cap

Cette enquête intervient alors que la BCE se réunit ce jeudi à Francfort. Après avoir porté ses taux directeurs à leur plus haut niveau historique, la BCE marque une pause dans ce cycle inédit de resserrement monétaire qui l'a conduit à relever ses taux à dix reprises depuis mi-2022. Et pour la troisième fois depuis octobre, elle devrait les laisser inchangés à l'issue de sa réunion cette semaine. Le principal taux directeur rémunérant les dépôts, référence pour le crédit en zone euro, campe désormais à un niveau historiquement haut de 4,00%.

Qui plus est, les banquiers centraux membres de la BCE ont été clairs lors de leurs récentes déclarations, notamment lors du forum de Davos la semaine dernière : les chances sont faibles de voir l'institution de Francfort assouplir sa politique monétaire avant l'été. Christine Lagarde a alors jugé « probable » des baisses de taux à cette période, tout en insistant sur l'importance des « données » encore à venir, sur l'évolution des prix ou des salaires.

Et la BCE veut rester vigilante dans un contexte de crises multiples : les prix de l'énergie moins prévisibles dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas et de perturbations en mer Rouge, qui font également grimper les coûts de transport. Scrutée par l'institution monétaire et la BCE, l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire corrigée des prix très volatils de l'énergie et de l'alimentation, a reculé à 3,4%, après 3,6% en novembre, mais toujours bien au-dessus des 2% visés par l'institution.

Les marchés espèrent toujours une baisse des taux au printemps

L'institution européenne continue donc de repousser les attentes de ceux qui misent sur une baisse rapide des taux grâce au recul de l'inflation. Car les marchés, eux, continuent de parier en majorité sur une première baisse des taux en avril, suivie d'autres baisses de 25 points de base à chaque réunion pendant le reste de l'année, selon les économistes.

« Le Conseil des gouverneurs devrait discuter jeudi du moment où il faudra réduire les taux, même si Christine Lagarde dira qu'officiellement aucune discussion n'a eu lieu, afin de ne pas alimenter les spéculations », estime à l'AFP Dirk Schumacher, chez Natixis.

Aux Etats-Unis, où les marchés envisagent une première baisse des taux en mars, les responsables de la Réserve fédérale ont également modéré leurs attentes, indiquant qu'il reste encore beaucoup à faire pour ramener l'inflation à 2%.

(Avec Agences)