Tous les espoirs des marchés financiers seraient-ils balayés ? Alors que ces derniers anticipent une baisse des taux directeurs dès le début de 2024, des nuages menacent maintenant leur scénario optimiste. Après pratiquement deux ans de hausse brutale des taux qui a amené la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed) à les porter respectivement à les porter entre 4 et 4,75% dans la zone euro et entre 5,25 et 5,5% outre-Atlantique, les gardiennes de l'euro et du dollar avaient laissé entendre en fin d'année qu'elles pourraient bientôt desserrer la vis. Et pour cause, l'inflation se dirigeait progressivement vers les 2%, la cible d'inflation pour toutes les banques centrales de la planète. En zone euro, la BCE table en effet sur une hausse des prix à 2,7% en 2024, 2,1% en 2025, puis 1,9% en 2026.
Fort de ces anticipations, le 14 décembre, des responsables de la Fed avaient alors évoqué une possibilité de trois ou quatre baisses l'année prochaine, pour les amener à 4,6% fin 2024. Si en Europe, la présidente de la BCE Christine Lagarde avait assuré le mois dernier qu'elle n'avait « pas discuté du tout de baisses de taux », son collègue, le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau s'est permis d'avancer mi-décembre que « Le prochain mouvement de la BCE sera, sauf surprise, une baisse ». De quoi rendre euphoriques les analystes qui, en décembre, tablaient sur une première baisse dès mai voire mars.
C'était sans compter sur un regain de l'inflation en décembre à 2,9% sur un an en zone euro après 2,4% en novembre qui a fait passer l'envie de rire aux investisseurs.
Hausse transitoire ou durable de l'inflation ?
Ce retour vers les 3% déstabilise les professionnels de la finance ayant crié victoire trop vite.
Pourtant « il n'y a pas de surprise, dans ses deux dernières réunions, la BCE avait parlé du rebond de l'inflation », assure Alexandre Baradez, responsable de l'analyse de marché des IG France. Fort d'un effet de base positif dû à l'explosion des prix de l'énergie en 2022, la hausse de cette composante de l'inflation s'était mécaniquement estompée fin 2023. Un avantage qui disparaît en 2024 mais qui ne change pas la donne selon l'analyste qui rappelle que « l'inflation cœur, en dehors de l'énergie, qui est la donnée scrutée par la BCE, a ralenti à 3,4% contre 3,6% en novembre donc la dynamique est toujours baissière. »
Reste que les incertitudes reviennent sur l'avenir des prix en Europe. « Tant que nous n'avançons pas davantage dans la transition énergétique, une grande incertitude demeure sur l'évolution des prix de l'énergie et des matières premières », pointe notamment Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste et maîtresse de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Une première baisse qui se fera attendre
Pour cette dernière « si les prix de ces derniers remontent - la situation géopolitique renforce l'incertitude - il sera difficile pour les banques centrales d'abaisser leurs taux d'intérêt directeurs ». Un scénario partagé par Patrick Artus, économiste et conseiller de la banque Natixis qui anticipe même que la gardienne de l'euro ne soit obligée de maintenir ses taux à des niveaux élevés jusqu'en 2025 à cause de la résilience de l'inflation.
Les craintes des deux économistes ne font cependant pas consensus. « Si l'inflation remonte à cause de la fin de l'effet base, la BCE va le prendre en compte et cela ne va pas chambouler son plan de politique monétaire qui s'adapte surtout aux forces structurelles que l'on voit dans l'inflation sous-jacente », nuance Christopher Dembik, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM. Pas de changement de cap donc, mais un trajet qui pourrait prendre plus de temps que prévu. « Une première baisse en mars, ce qui était le scénario des marchés, est clairement en suspens », reconnaît Alexandre Baradez. Plusieurs analystes tablent dorénavant sur une première baisse un peu plus tardive. « Il est peu probable que nous assistions à une baisse avant juin », avance même Alexandre Hezez, stratégiste chez la Banque Richelieu.
Un report d'autant plus plausible que l'influente membre du directoire de la BCE Isabel Schnabel avait rappelé en décembre que « Nous nous attendons à ce que l'inflation baisse progressivement à 2 % d'ici à 2025. Il nous reste donc du chemin à parcourir et nous verrons à quel point le fameux dernier kilomètre sera difficile. »
Ce qui n'est qu'un report pour les commentateurs est en revanche vu comme une douche froide pour les marchés financiers qui étaient jusqu'alors convaincus d'une baisse dès mars. « Le marché action avait beaucoup monté depuis mi novembre car les investisseurs étaient très optimistes. Aujourd'hui nous voyons plus de volatilité sur les cours car il y a plus d'incertitude sur la date de la première baisse des taux », explique Alexandre Baradez. Prenant progressivement conscience que leur scénario ne se réalisera pas, ces derniers ont vendu des actions pour acheter des obligations d'Etat. Ainsi, le Cac40 a délaissé 0,85% ce vendredi vers 15h quand l'indice européen Euro stoxxx 500 parfait 0,73%. Dans le même temps, le rendement de l'emprunt de l'Etat français à dix ans s'établissait à 2,7% (contre 2,5% quelques jours auparavant), quand le 10 ans américain à de nouveau touché les 4% en séance jeudi, pour la première fois depuis mi-décembre. Mais alors faut-il s'inquiéter d'une baisse durable des actions? « Non, la correction est salvatrice et intervient après un emballement des anticipations des investisseurs », tranche le stratégiste de Richelieu.Un marché action déprimé et des taux obligataires qui rebondissent