Plan de relance : « Le décrochage éducatif a fait chuter la productivité en France » (Xavier Jaravel, London School of Economics)

ENTRETIEN - À la tête du comité d'évaluation du plan France Relance, l'économiste Xavier Jaravel dresse un bilan globalement positif de l'enveloppe de 100 milliards d'euros annoncée en 2020 après le pic de la pandémie. En revanche, il pointe le manque de ciblage de certaines mesures. Il s'inquiète aussi de l'effondrement de la productivité tricolore depuis la crise sanitaire.
Grégoire Normand
Xavier Jaravel est également membre du conseil d'analyse économique. Il a reçu le prix du meilleur jeune économiste en 2021 et a obtenu le prix Prix du livre d'Économie 2023.
Xavier Jaravel est également membre du conseil d'analyse économique. Il a reçu le prix du meilleur jeune économiste en 2021 et a obtenu le prix Prix du livre d'Économie 2023. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Le comité chargé d'évaluer le plan de relance vient de livrer ses conclusions dans un épais rapport dévoilé par France Stratégie. Quel bilan global tirez-vous de France Relance, lancé en septembre 2020 ?

XAVIER JARAVEL - Après trois années de travaux, le bilan global permet de montrer que le plan de 100 milliards d'euros a permis de relancer l'activité économique. Il a permis aussi quelques changements structurels. Le bilan est globalement positif. Mais il reste néanmoins des points de vigilance sur plusieurs dispositifs à améliorer, par exemple s'agissant des dispositifs de soutien à la modernisation de l'industrie, qui n'ont pas toujours été ciblés sur des technologies de pointe.

Quel est son impact macroéconomique sur l'activité et l'emploi ?

Notre modèle a montré que l'impact sur le produit intérieur brut (PIB) a été de 1,4 point supplémentaire en 2022. L'économie française est revenue à son niveau d'activité de 2019 en 2022. Sans plan de relance, la France aurait retrouvé ce niveau en 2023. Le plan de relance a permis d'accélérer la reprise. Le modèle keynésien a surtout pris en compte les effets du plan sur la demande. Or, le plan avait un volet important sur l'offre et la compétitivité. Même avec beaucoup de mesures favorables à la compétitivité, beaucoup de canaux ont permis de soutenir la demande.

France Relance s'articulent autour de trois piliers : « Écologie », « Compétitivité » et « Cohésion ». Le plan de relance a-t-il réussi à tenir ses objectifs ? Il semble que le volet compétitivité accusait un sérieux retard en fin d'année 2023...

Les sommes engagées du plan de relance s'élevaient à 93% du total à la fin de l'année 2023. Les sommes qui ne sont pas engagées concernent principalement le Ségur de la Santé. S'agissant des sommes décaissées, c'est-à-dire effectivement dépensées, certains projets ont pris plus de temps. C'est par exemple le cas de l'hydrogène. A partir du moment où ces projets permettent de transformer l'économie et qu'il n'y a pas d'effet d'aubaine, ce délai n'est pas vraiment inquiétant.

La plupart des territoires ont pu profiter de cette enveloppe de 100 milliards d'euros. Le plan de relance a-t-il cependant contribué à creuser les inégalités régionales ?

Le plan de relance n'a pas contribué à renforcer les inégalités régionales. On aurait pu le craindre, car les aides à la compétitivité ont tendance à bénéficier davantage aux zones les plus dynamiques. En fait, le plan a proposé un ensemble de mesures très différentes de sorte qu'il n'a pas augmenté les inégalités territoriales. Par exemple, le dispositif Ma Prime Rénov a permis de cibler des ménages modestes dans des zones moins favorisées socialement.

Lire aussiFrance relance : quel bilan tirer pour la Bourgogne-Franche-Comté ?

Quel est l'impact de la baisse des impôts de production sur l'activité et l'emploi ?

Le chapitre consacré à la baisse des impôts de production a permis de montrer quelles étaient les entreprises qui avaient pu bénéficier du plan de relance. La baisse des impôts de production a davantage favorisé l'industrie. Dans l'industrie, les entreprises avaient moins bénéficié des baisses de cotisations sociales des cinq dernières années. En revanche, le travail n'a pas pu étudier les effets sur les exportations, l'emploi. Des travaux sont encore en cours sur ces effets.

Lire aussiImpôts de production : les ETI françaises s'inquiètent d'un éventuel report de la suppression de la taxe

Au début de la mise en œuvre du plan de relance, certains économistes avaient pointé un risque d'effet d'aubaine. Qu'en est-il trois ans après ?

Sur les mesures évaluées, les résultats sont plutôt encourageants. Les coûts par emploi créé ne sont pas très élevés. S'agissant des aides exceptionnelles à l'apprentissage, il y avait beaucoup d'inquiétudes sur les effets d'aubaine. En réalité, les entreprises bénéficiant de ces subventions ont davantage embauché. Le coût par emploi créé est de l'ordre de 20.000 euros. Ce qui est relativement faible par rapport aux politiques de l'emploi habituelles. Sur les aides à la construction de 18 milliards d'euros, le coût par emploi est de 60.000 euros.

L'évaluation des mesures pour la réduction des émissions de CO2 a montré des résultats plus contrastés. Les mesures pour décarboner l'industrie ont représenté un coût assez faible de l'ordre de 20 euros la tonne évitée. A l'opposé, les aides à l'achat de véhicules hybrides et électriques ont représenté un coût très important de l'ordre de 600 euros la tonne évitée. Ces chiffres permettent d'anticiper les coûts budgétaires de transformation de plusieurs secteurs.

Xavier Jaravel remise des prix

Xavier Jaravel lors de la remise du prix du meilleur jeune économiste par le Monde et le cercle des économistes. Crédits : Emmanuel Littot.

Le plan de relance a pu donner l'impression d'un saupoudrage avec la multiplication des mesures. Quel est votre sentiment ?

Il est difficile de se prononcer sur l'organisation optimale d'un plan de relance. Le comité a pu évaluer que l'effet sur l'emploi et l'activité est relativement important. Nos points de vigilance concernent moins le risque de saupoudrage, mais plutôt des mesures qui auraient pu être mieux ciblées. C'est par exemple le cas sur la modernisation de l'industrie. Comme il fallait décaisser l'argent assez vite, certains porteurs de projet ont pu demander des subventions pour des machines un peu anciennes alors que le plan visait à accélérer l'industrie du futur.

La productivité en Europe n'a toujours pas retrouvé son niveau précédant la crise sanitaire. Comment l'expliquez-vous ?

Sur le long terme, la productivité française a ralenti par rapport aux Etats-Unis et à l'Allemagne. Avant 2010, la France avait une productivité horaire supérieure à ces deux pays. Nous avons, depuis, pris du retard. C'est un changement radical sur la manière de réfléchir aux priorités à mener pour l'économie française : le problème de l'économie française n'est pas seulement le nombre d'heures travaillées, mais aussi la productivité par heure travaillée.

Les travaux du conseil d'analyse économique (CAE) ont montré que le décrochage éducatif est une des causes fondamentales de ce ralentissement de la productivité. La main-d'œuvre moins bien formée, elle a moins de capacités pour adopter les innovations et les diffuser dans l'économie. Cela ralentit la productivité française.

Lire aussiLa productivité est en chute libre en France, les économistes s'alarment

Quel est le manque à gagner pour l'économie tricolore ?

Entre 2004 et 2019, ce retard a engendré un manque à gagner de 140 milliards d'euros. Depuis la crise sanitaire du coronavirus, la productivité s'est effondrée. Et en particulier, dans l'industrie. La valeur ajoutée dans le secteur n'est pas revenue à son niveau de 2019, malgré tous les discours positifs sur l'industrie (qui se focalisent sur la création d'emplois dans l'industrie). C'est frappant. Pour l'instant, nous n'avons pas encore d'explication convaincante à ce stade. Mais c'est tout à fait préoccupant.

Lire aussiLe coup de frein de la productivité en France, un manque à gagner vertigineux de 140 milliards d'euros

Les récentes enquêtes Pisa ont soulevé de vives inquiétudes sur le niveau des élèves en France. De nombreux travaux ont montré que le système éducatif français était inégalitaire. Comment les politiques publiques peuvent-elles réduire ces inégalités scolaires ?

La France affiche de mauvais résultats, y compris pour les bons élèves. Les enquêtes nationales et internationales montrent que cette baisse du niveau concerne les enfants issues de toutes les catégories socio-professionnelles. Dans le même temps, la France est l'un des pays avec les plus fortes inégalités scolaires au sein de l'OCDE. Le dédoublement des classes de CP et de CE1 a permis de réduire les inégalités en France - plus précisément, de faire baisse d'un tiers les inégalités scolaires entre les zones d'éducation prioritaires et le reste du territoire en CP et CE1.

Le problème est que cette mesure ne concerne pas d'autres niveaux. Une des pistes serait de dédoubler d'autres niveaux dans le primaire et le secondaire. En tous cas, il faut faire beaucoup plus en la matière.

Propos recueillis par Grégoire Normand

Grégoire Normand
Commentaires 33
à écrit le 24/01/2024 à 10:45
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@Asimon. Être bref? Voilà le problème bien français. Préfère-t-il le jeu du troupeau ou celui de s'instruire. Non, une véritable relance keynesienne (via la demande selon l'éconcé précédant) fonctionne également si le budget de l'Etat est en déséquil...

le 24/01/2024 à 18:29
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Etre bref, ce n'est pas faire de la rhétorique comme vous et les autres l'ont appris à Sciences Pipo (je persiste et je signe). Et c'est encore moins étaler sa science (faire la grâce au petit peuple de partager ses grandes connaissances), et faire ...

à écrit le 24/01/2024 à 6:45
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Bonjour le décrochage de l'education nationale est u.e réalité... Pour le corps professoral, noys somme loins des hussards noir du début du siècle..( nom donné au maitre d"ecole du début de 1900 ). Non seulement, les bases ne sont pas acquis, ...

à écrit le 23/01/2024 à 23:00
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au lieu de passer leur temps sur tiktok et autres niaiseries comme leurs parents les gosses ilferaient mieux d etre dans leurs livres à apprendre ou bouquiner.. c est aussi de la responsabilite de leurs parents..quand aux profs le niveau aussi a bais...

à écrit le 23/01/2024 à 23:00
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au lieu de passer leur temps sur tiktok et autres niaiseries comme leurs parents les gosses ilferaient mieux d etre dans leurs livres à apprendre ou bouquiner.. c est aussi de la responsabilite de leurs parents..quand aux profs le niveau aussi a bais...

à écrit le 23/01/2024 à 19:38
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À pleurer cette confusion/ou tromperie entre politique keynésienne (relance budgétaire via la demande) et politique de l'offre (loi de Say). Lorsqu'on parle d'une véritable politique de relance de type keynésianisme, cette dernière agit en toute logi...

le 23/01/2024 à 21:49
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Soyez bref, SVP. Une relance keynesienne ne fonctionne que si le budget de l'Etat est à l'équilibre. Moralité : on fait de la fausse relance keynesienne en France depuis 40 ans. Merci à nos élites bien formées chez Sciences Pipo.

le 24/01/2024 à 10:43
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@Asimon. Être bref? Voilà le problème bien français. Préfère-t-il le jeu du troupeau ou celui de s'instruire. Non, une véritable relance keynesienne (via la demande selon l'éconcé précédant) fonctionne également si le budget de l'Etat est en déséquil...

à écrit le 23/01/2024 à 16:48
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Une réforme de fond de notre administration est indispensable. C'est une vérité bien connue des entreprenenurs: plus il y a de monde, moins ça marche. Et plus ça produit des normes... Or il est clair que même si vous avez la meilleure idée du monde, ...

le 23/01/2024 à 17:18
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Et curieusement dès que les entreprises rencontrent la moindre des difficultés vers qui elle se tournent ? réponse : l'état pardi !!! voir les promoteurs immobiliers et les entreprises du btp qui pleurnichent depuis un an pour réclamer aides et subve...

à écrit le 23/01/2024 à 11:30
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C'est pas un décrochage éducatif, c'est une réduction des inégalités dans les savoir,NUANCE!! Plus on fabrique des illettrés moins il y a d'inégalités, ce qui est bienveillant ! Tout comme la smicardisation de la société réduit les inégalités dans...

le 23/01/2024 à 12:11
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Super merci depuis Jospin et les autres la grangene des syndicats dans les écoles des professeurs des écoles les équations de l'abaissement des niveaux scolaires a aboutie Bravo les socialistes et leurs alliés

le 23/01/2024 à 15:31
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le problème, c'est que le ps produit des gens comme macron, valls ou hollande, qui n'ont menè qu'une politique de droite ! du coup votre rhétorique politique n'est pas valide ! Le déni du réel peut fonctionner lorsque l'information n'est pas disp...

le 23/01/2024 à 17:33
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Il est vrai que le problème des salaires bas ( comparés à nos voisins immédiats et lointains comme les USA) est criant de vérité. Mes amis US retraités sont de la classe moyenne +. Possède une maison et un appartement en Floride, gagnent à deux envir...

à écrit le 23/01/2024 à 11:26
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En matière d'éducation, la France est à des années lumières de ce qu'il faudrait faire. On débat du collège unique, alors qu'on devrait débattre sur les solutions pour faciliter la relocalisation des familles autour des collèges d'élite (quelques col...

le 23/01/2024 à 15:36
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Pour cela, il faudrait que ce soit les intelligents qui puissent -monter dans la société ! il est manifeste que cela n'est pas le cas et en terme de tradition encore moins ! La France a l'un des pires capitalismes, rentier, dont la reproduction s...

à écrit le 23/01/2024 à 11:12
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"le décrochage éducatif a fait chuter la productivité " et quoi plus ? et les employeurs qui veulent des jeunes diplômés avec 5 ans d'expérience payés au smic !!! et les bénéfices distribués plutôt que d'être investis dans l'innovation ? Trop facile ...

le 23/01/2024 à 13:40
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On pourrait ajouter concernant la TVA à taux réduit sur les restaurateurs que c'était là une promesse de longue date de Chirac, mais une promesse qu'il se gardait généralement bien de tenir et la Cour des Comptes avait calculer qu'un nouvel emploi in...

le 23/01/2024 à 13:41
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On pourrait ajouter concernant la TVA à taux réduit sur les restaurateurs que c'était là une promesse de longue date de Chirac, mais une promesse qu'il se gardait généralement bien de tenir et la Cour des Comptes avait calculé qu'un nouvel emploi ind...

à écrit le 23/01/2024 à 10:58
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Se pose la question de la structure de l'offre (part croissante de services depuis les années 70) et aussi des habitudes de gestion des entreprises, se pose la question du Crédit Impôt Recherche, une entreprise comme Sanofi ayant par exemple touché t...

à écrit le 23/01/2024 à 10:36
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C'est rigolo de voir comment un système construit comme une royauté, ou ce que les gens comprennent est qu'il n'y a pas de '"capitalisme" mais stato capitalisme pyramidal, et ou la plupart des revenus vont entre peu de gens qui sont identifié, des lo...

à écrit le 23/01/2024 à 10:33
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Le titre aurait dû être l'immigration fait décroché le système éducatif et de facto la productivité. Ce n'est pas politiquement correct mais proche de la vérité.

à écrit le 23/01/2024 à 10:24
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Noter que le taux d'investissement global de la France était de 25,2% PIB en 2022 (World Bank Data). Gros rebond depuis 2015 (21,5%), et au plus haut depuis les années 1970. Allemagne à 22%, UK à 18,5%. USA à 21,3% (en 2021). La France est en têt...

le 23/01/2024 à 13:32
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Vous vous consolez comme vous pouvez!!! Mais il faut regarder la réalité en face au lieu de mettre la tête dans le sable en racontant des histoires fallacieuses. La compétitivité d'un pays se mesure dans son commerce extérieur et non dans sa dette (3...

à écrit le 23/01/2024 à 10:01
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La société française est hyper-réglementée, hyper-administrée, et les tendances lourdes sont de réduire encore les libertés. Il n'y a aucune tradition de concertation avec les administrés avant de créer de nouveaux règlements. Il n'est pas raisonnabl...

le 23/01/2024 à 15:23
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Logique, les mêmes qui font l'ENA sont aujourd'hui ceux qui ont les clefs dans le public et dans le privé ! du coup le résultat est la ! la dénégation aussi, pour autant la réalité de la productivité n'est pas a aller chercher chez ceux qui sont prot...

à écrit le 23/01/2024 à 9:51
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Ce qui tue la productivité, c'est peut-être parce qu'on a depuis 20 ans fabriqué plus d'économistes et de critiques de cinéma que de soudeurs et d'ouvriers métallurgistes.

le 23/01/2024 à 10:01
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vu qu on a delocalisé la metallurgie, c ets pas debile pour un jeune de faire des etudes d economie ... Plus serieusement, vu les salaires net francais, pas etonnant que la productivite est en berne. Qui va se defoncer pour un smic et la perspective ...

le 23/01/2024 à 10:06
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Il y a surtout le fait qu'une part croissante des nouveaux emplois sont des emplois de service où les gains potentiels de productivité se traduisant traditionnellement en France par des suppressions d'emplois...

le 23/01/2024 à 15:25
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Non, juste que l'élite que nous avons a investi l'argent pour la délocalisation, du coup nous en constatons le résultat ! j'ai pu le voir a plusieurs reprises et en plus ils arrivent a vous dire que c'est la faut de l'immigration etc etc... et ça ma...

à écrit le 23/01/2024 à 9:48
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Ben oui mais faire des études pour quoi ? Pour gagner autant qu'un intérimaire ? Par ailleurs à l'ère d'internet est-ce que le système éducatif naturellement stalinien est encore adapté tandis que les jeunes osnt de plus en plus habitués à exprimer l...

le 23/01/2024 à 15:26
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Il suffit de voir l'ensemble de l'élite, qui au 19 eme était détentrice du pouvoir du savoir, mais plus au 21eme, c'est juste que le paiement des écoles garantie l'accès mais pas l'intelligence, et cela se voit.....

le 24/01/2024 à 9:42
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C'est exactement ça et ça fait très mal à la France.

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