LA TRIBUNE - Le comité chargé d'évaluer le plan de relance vient de livrer ses conclusions dans un épais rapport dévoilé par France Stratégie. Quel bilan global tirez-vous de France Relance, lancé en septembre 2020 ?
XAVIER JARAVEL - Après trois années de travaux, le bilan global permet de montrer que le plan de 100 milliards d'euros a permis de relancer l'activité économique. Il a permis aussi quelques changements structurels. Le bilan est globalement positif. Mais il reste néanmoins des points de vigilance sur plusieurs dispositifs à améliorer, par exemple s'agissant des dispositifs de soutien à la modernisation de l'industrie, qui n'ont pas toujours été ciblés sur des technologies de pointe.
Quel est son impact macroéconomique sur l'activité et l'emploi ?
Notre modèle a montré que l'impact sur le produit intérieur brut (PIB) a été de 1,4 point supplémentaire en 2022. L'économie française est revenue à son niveau d'activité de 2019 en 2022. Sans plan de relance, la France aurait retrouvé ce niveau en 2023. Le plan de relance a permis d'accélérer la reprise. Le modèle keynésien a surtout pris en compte les effets du plan sur la demande. Or, le plan avait un volet important sur l'offre et la compétitivité. Même avec beaucoup de mesures favorables à la compétitivité, beaucoup de canaux ont permis de soutenir la demande.
France Relance s'articulent autour de trois piliers : « Écologie », « Compétitivité » et « Cohésion ». Le plan de relance a-t-il réussi à tenir ses objectifs ? Il semble que le volet compétitivité accusait un sérieux retard en fin d'année 2023...
Les sommes engagées du plan de relance s'élevaient à 93% du total à la fin de l'année 2023. Les sommes qui ne sont pas engagées concernent principalement le Ségur de la Santé. S'agissant des sommes décaissées, c'est-à-dire effectivement dépensées, certains projets ont pris plus de temps. C'est par exemple le cas de l'hydrogène. A partir du moment où ces projets permettent de transformer l'économie et qu'il n'y a pas d'effet d'aubaine, ce délai n'est pas vraiment inquiétant.
La plupart des territoires ont pu profiter de cette enveloppe de 100 milliards d'euros. Le plan de relance a-t-il cependant contribué à creuser les inégalités régionales ?
Le plan de relance n'a pas contribué à renforcer les inégalités régionales. On aurait pu le craindre, car les aides à la compétitivité ont tendance à bénéficier davantage aux zones les plus dynamiques. En fait, le plan a proposé un ensemble de mesures très différentes de sorte qu'il n'a pas augmenté les inégalités territoriales. Par exemple, le dispositif Ma Prime Rénov a permis de cibler des ménages modestes dans des zones moins favorisées socialement.
Quel est l'impact de la baisse des impôts de production sur l'activité et l'emploi ?
Le chapitre consacré à la baisse des impôts de production a permis de montrer quelles étaient les entreprises qui avaient pu bénéficier du plan de relance. La baisse des impôts de production a davantage favorisé l'industrie. Dans l'industrie, les entreprises avaient moins bénéficié des baisses de cotisations sociales des cinq dernières années. En revanche, le travail n'a pas pu étudier les effets sur les exportations, l'emploi. Des travaux sont encore en cours sur ces effets.
Au début de la mise en œuvre du plan de relance, certains économistes avaient pointé un risque d'effet d'aubaine. Qu'en est-il trois ans après ?
Sur les mesures évaluées, les résultats sont plutôt encourageants. Les coûts par emploi créé ne sont pas très élevés. S'agissant des aides exceptionnelles à l'apprentissage, il y avait beaucoup d'inquiétudes sur les effets d'aubaine. En réalité, les entreprises bénéficiant de ces subventions ont davantage embauché. Le coût par emploi créé est de l'ordre de 20.000 euros. Ce qui est relativement faible par rapport aux politiques de l'emploi habituelles. Sur les aides à la construction de 18 milliards d'euros, le coût par emploi est de 60.000 euros.
L'évaluation des mesures pour la réduction des émissions de CO2 a montré des résultats plus contrastés. Les mesures pour décarboner l'industrie ont représenté un coût assez faible de l'ordre de 20 euros la tonne évitée. A l'opposé, les aides à l'achat de véhicules hybrides et électriques ont représenté un coût très important de l'ordre de 600 euros la tonne évitée. Ces chiffres permettent d'anticiper les coûts budgétaires de transformation de plusieurs secteurs.
Xavier Jaravel lors de la remise du prix du meilleur jeune économiste par le Monde et le cercle des économistes. Crédits : Emmanuel Littot.
Le plan de relance a pu donner l'impression d'un saupoudrage avec la multiplication des mesures. Quel est votre sentiment ?
Il est difficile de se prononcer sur l'organisation optimale d'un plan de relance. Le comité a pu évaluer que l'effet sur l'emploi et l'activité est relativement important. Nos points de vigilance concernent moins le risque de saupoudrage, mais plutôt des mesures qui auraient pu être mieux ciblées. C'est par exemple le cas sur la modernisation de l'industrie. Comme il fallait décaisser l'argent assez vite, certains porteurs de projet ont pu demander des subventions pour des machines un peu anciennes alors que le plan visait à accélérer l'industrie du futur.
La productivité en Europe n'a toujours pas retrouvé son niveau précédant la crise sanitaire. Comment l'expliquez-vous ?
Sur le long terme, la productivité française a ralenti par rapport aux Etats-Unis et à l'Allemagne. Avant 2010, la France avait une productivité horaire supérieure à ces deux pays. Nous avons, depuis, pris du retard. C'est un changement radical sur la manière de réfléchir aux priorités à mener pour l'économie française : le problème de l'économie française n'est pas seulement le nombre d'heures travaillées, mais aussi la productivité par heure travaillée.
Les travaux du conseil d'analyse économique (CAE) ont montré que le décrochage éducatif est une des causes fondamentales de ce ralentissement de la productivité. La main-d'œuvre moins bien formée, elle a moins de capacités pour adopter les innovations et les diffuser dans l'économie. Cela ralentit la productivité française.
Quel est le manque à gagner pour l'économie tricolore ?
Entre 2004 et 2019, ce retard a engendré un manque à gagner de 140 milliards d'euros. Depuis la crise sanitaire du coronavirus, la productivité s'est effondrée. Et en particulier, dans l'industrie. La valeur ajoutée dans le secteur n'est pas revenue à son niveau de 2019, malgré tous les discours positifs sur l'industrie (qui se focalisent sur la création d'emplois dans l'industrie). C'est frappant. Pour l'instant, nous n'avons pas encore d'explication convaincante à ce stade. Mais c'est tout à fait préoccupant.
Les récentes enquêtes Pisa ont soulevé de vives inquiétudes sur le niveau des élèves en France. De nombreux travaux ont montré que le système éducatif français était inégalitaire. Comment les politiques publiques peuvent-elles réduire ces inégalités scolaires ?
La France affiche de mauvais résultats, y compris pour les bons élèves. Les enquêtes nationales et internationales montrent que cette baisse du niveau concerne les enfants issues de toutes les catégories socio-professionnelles. Dans le même temps, la France est l'un des pays avec les plus fortes inégalités scolaires au sein de l'OCDE. Le dédoublement des classes de CP et de CE1 a permis de réduire les inégalités en France - plus précisément, de faire baisse d'un tiers les inégalités scolaires entre les zones d'éducation prioritaires et le reste du territoire en CP et CE1.
Le problème est que cette mesure ne concerne pas d'autres niveaux. Une des pistes serait de dédoubler d'autres niveaux dans le primaire et le secondaire. En tous cas, il faut faire beaucoup plus en la matière.
Propos recueillis par Grégoire Normand