Zone euro : des déséquilibres toujours persistants

Par Grégoire Normand  |   |  930  mots
(Crédits : Dado Ruvic)
Déséquilibres internes croissants, Italie face au double piège de la dette et de la croissance faible. À quelques jours des élections européennes, les économistes de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ont alerté sur les défis économiques qui attendent le prochain Parlement pour les cinq prochaines années.

Vingt ans après la création de la zone euro, les déséquilibres économiques restent bien ancrés. La crise économique de 2008, les changements de rapports de force politique avec la montée des populismes, ont contribué à accroître les divisions au sein de la zone monétaire. À quelques jours des élections européennes, le président de l'observatoire, Xavier Ragot, regrette que le débat « se concentre en France sur des événements comme le Brexit [...] Or, c'est le temps long qui est inquiétant, d'ici cinq ans », a-t-il prévenu. « Il y a des questions essentielles pour les années qui viennent qui engagent l'orientation des politiques économiques et qui ne sont pas discutées » dans la campagne, a-t-il ajouté.

Face aux divergences, « l'enjeu important est l'Europe sociale avec la question du marché du travail pour faire converger l'Europe. Il faut une réflexion plus approfondie sur le salaire minimum, la portabilité des droits du travail et la réduction des inégalités, une assurance-chômage européenne ».

Lire aussi : En Europe, des inégalités encore vertigineuses

Des soldes courants toujours déséquilibrés

Les différences entre les États de l'union monétaire sont particulièrement criantes au niveau des soldes courants. Dans un précédent policy brief, les économistes du laboratoire de recherches avaient montré que « le processus de divergence des balances courantes a subi un net coup d'arrêt après 2009 et les déficits extérieurs ont disparu dans la presque totalité des pays de la zone euro ». La crise de 2008 et celle des dettes souveraines vont entraîner « une convergence ou une résorption des déséquilibres au sein de la zone euro », a expliqué Bruno Ducoudré lors d'une conférence de presse.

Mais, « c'est une résorption partielle. Il reste des divergences au sein de la zone euro et c'est une évolution asymétrique. Seuls les pays qui avaient un déficit vont réduire leur déficit alors que les pays qui avaient un excédent vont creuser leur excédent comme l'Allemagne ou les Pays-Bas. Ce constat pose des questions au niveau de la soutenabilité de la zone euro ».

Pour l'OFCE, ce déséquilibre « provient clairement de l'Allemagne et des Pays-bas ». En 2018, les prix étaient 11% trop bas en Allemagne par rapport à la moyenne de la zone euro, ce qui favorise ses exportations, alors que ceux de la France étaient 7% trop élevés. Face à cette situation, l'organisme de recherches souligne « le besoin de convergence entre les pays de l'Union européenne » et recommande « une inflation plus forte dans les pays devant perdre en compétitivité relative ».

L'Allemagne en difficulté

Pour Xavier Ragot, « le débat allemand est complexe. Il y a une volonté de reconvergence, même s'il y a une radicalisation de la droite allemande. En 2015, on ne pensait jamais que les Allemands allaient introduire un Smic à un niveau élevé. Les perspectives d'augmentation du SMIC sont assez importantes».

Face aux difficultés de l'industrie, l'Allemagne pourrait changer de stratégie commerciale.

« Deux tiers des exportations de l'Allemagne se faisaient au sein de la zone euro au moment de la création de la zone, maintenant c'est deux tiers à l'extérieur de la zone. Avec la politique commerciale de Trump, l'Allemagne devra repositionner sa machine industrielle au sein de la zone euro », a-t-rappelé.

En 2018, le moteur industriel de la première économie européenne a calé. L'adoption de nouvelles normes antipollution et le ralentissement du commerce mondial ont entraîné un essoufflement de l'industrie automobile allemande. Résultat, la croissance allemande a fortement ralenti l'année dernière à 1,5%, contre 2,1% en moyenne sur la période 2014-2017, et la Commission européenne a abaissé ses prévisions d'activité pour cette année et 2020 à 1,3% et 1,2%, contre 1,5% et 1,4% précédemment.

Le risque italien

Parmi les pays de la zone euro, la situation de l'Italie suscite particulièrement des inquiétudes. L'économie de la péninsule est confrontée au double piège de l'endettement élevé et de la faible croissance. Au niveau des finances publiques, la période qui s'étend du début des années 1980 à 1992 a vu « l'explosion de la dette publique, passée de 54% du PIB en 1980 à environ 117% en 1994 ». L'économiste Céline Antonin précise que la période de récession a entraîné « une baisse de la croissance et une charge d'intérêts qui a pesé ».

Pour la chercheuse, plusieurs facteurs peuvent expliquer ces difficultés. La première raison est que « l'industrie est spécialisée dans des secteurs à faible contenu technologique et depuis 2000, dans une concurrence accrue avec des pays à bas coûts ». Deuxième facteur, « les entreprises italiennes sont atteintes de 'nanisme'. Il y a davantage de microentreprises en Italie et sont deux fois moins productives. Ces entreprises sont spécialisées dans l'artisanat de petite taille ».

Outre la démographie d'entreprises, l'économiste met en exergue le clivage Nord-Sud toujours aussi marqué.

« II y a une baisse de la valeur ajoutée par travailleur qui a été plus forte dans le Sud que dans le Nord sachant que le niveau de productivité était déjà trois fois plus élevé dans le Nord ».

Les écarts se sont creusés et depuis 2008, « le différentiel de chômage entre le Nord et le Sud s'est accru de 25% ». Face à cette impasse, l'OFCE recommande « d'associer les investissements publics à la politique industrielle et d'exclure les investissements publics du calcul du solde structurel primaire qui sert de référence dans l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif ».