La justice américaine de moins en moins conciliante avec le secteur bancaire

Par Christine Lejoux  |   |  790  mots
Depuis des années, la justice américaine hésite à inculper les banques, compte tenu des dommages collatéraux sur le financement de l'économie. REUTERS.
Le recours aux accords à l'amiable que trouvaient les banques pour mettre fin aux poursuites judiciaires au nom du "too big too fail" pourrait cesser d'être systématique. Sur fond d'exaspération de l'opinion publique, la justice américaine pourrait durcir le traitement de ces affaires. Elle s’apprêterait à lancer des poursuites pénales contre BNP Paribas et Credit Suisse, selon le New York Times.

Les banques "too big to fail", on connaît. Ce sont ces établissements de crédit dont le poids dans l'économie de leur pays, voire du monde, est trop important pour les laisser succomber aux difficultés financières qu'ils pourraient rencontrer. C'est pourquoi tant de banques ont été sauvées par leur gouvernement - et donc par les contribuables -, lors de la crise financière de 2008. Ces mêmes établissements sont également "too big to jail" : même en cas de malversations financières avérées, difficile de les traduire en justice, au risque de provoquer une fuite des déposants comme des investisseurs.

Ce qui signerait l'arrêt de mort de ces banques, un événement lourd de conséquences pour le financement de l'économie, ainsi que pour la majorité de leurs employés qui n'ont rien à voir avec les dérives de quelques uns, et, également, pour les actionnaires. La faillite, en 2002, du géant de l'audit Arthur Andersen, dans le sillage de son inculpation dans le cadre de l'affaire Enron, est à cet égard édifiante.

 Des arrangements à l'amiable pour solder des poursuites

Aussi, ces dernières années, nombre d'affaires impliquant des banques se sont soldées par des arrangements à l'amiable, les établissements de crédit payant de (fortes) sommes pour mettre fin aux poursuites judiciaires dont ils étaient l'objet. Ainsi, la sino-britannique HSBC avait déboursé près de 2 milliards de dollars en 2012, pour solder une enquête relative à du blanchiment d'argent en provenance de pays faisant l'objet de sanctions économiques de la part des Etats-Unis. ING, Standard Chartered, Lloyd's Banking Group, ABN Amro, Barclays et Credit Suisse avaient conclu pareilles transactions dans des cas similaires.

Sauf que, de l'affaire de la Baleine de Londres à la manipulation du Libor, en passant par celle du marché des changes, l'exaspération de l'opinion publique face à l'impunité des banques va croissant, ces dernières années. Résultat, la justice américaine serait sur le point de lancer des poursuites pénales contre deux des plus grandes banques du monde, selon le New York Times. A savoir Credit Suisse et BNP Paribas. La première est soupçonnée de favoriser l'évasion fiscale de contribuables américains. La seconde est en délicatesse avec le département américain de la Justice et le procureur de New York, en raison de paiements en dollars réalisés entre 2002 et 2009 dans des pays soumis à des sanctions économiques de la part des États-Unis, comme l'Iran, Cuba, la Libye ou le Soudan.

 Vers une amende de 2 milliards de dollars pour BNP Paribas ?

 Lors de la présentation de ses résultats annuels, en février dernier, BNP Paribas avait indiqué avoir provisionné 1,1 milliard de dollars, au titre de ce litige. Mercredi 30 avril, à l'occasion de la publication de ses comptes du premier trimestre, la banque de la rue d'Antin, à Paris, a indiqué que

"les discussions qui ont eu lieu pendant le premier trimestre 2014, au sujet des paiements en dollar US concernant des pays soumis aux sanctions des États-Unis, montrent qu'il existe une très grande incertitude sur les sanctions qui pourraient être décidées par les autorités des États-Unis."

En conséquence de quoi BNP Paribas n'exclut pas que "la pénalité [finale infligée par les autorités américaines ; Ndlr] excède très significativement la provision constituée." De fait, le Wall Street Journal évoque une amende de 2 milliards de dollars.

 BNP Paribas nourrit des ambitions en Amérique du Nord

Mais, aussi colossal soit-il, ce montant ne constitue pas l'élément le plus fâcheux de ce dossier. Non, ce qui pourrait être très grave, c'est le risque de poursuites pénales dont le New York Times se fait l'écho, compte tenu de l'effet désastreux que celles-ci auraient en termes d'image et, surtout, d'activité. "Comment voulez-vous qu'une banque continue à travailler, si elle est traduite en justice ? Ce sont des pans entiers de son activité qu'elle ne peut plus exercer, en pareil cas", a témoigné Sandy Weill, ancien patron de Citigroup, sur l'antenne de CNBC, mercredi 30 avril.

Or BNP Paribas nourrit des ambitions en Amérique du Nord, une région qui devrait représenter 12% du produit net bancaire du groupe en 2016, contre 10% en 2013, selon le plan stratégique dévoilé en mars par la banque. Dans ces conditions, la solution se trouve sans doute au milieu des deux extrêmes que sont, d'un côté une inculpation de la banque, et de l'autre un simple arrangement à l'amiable. Elle passe peut-être par la sanction de certains collaborateurs ou de filiales, mais pas de la banque tout entière. L'opinion publique s'en contentera-t-elle ? Rien n'est moins sûr.