Pourquoi la finance est encore loin d'être "maîtrisée"

Par Mathias Thépot  |   |  1382  mots
Seuls les bonus des traders seront encadrés.
Le président de la République François Hollande a assuré mardi sur les antennes de BFM TV que la finance "a été maîtrisée". Pourtant, la quasi totalité de ce qu'il avait promis durant sa campagne n'a pas été appliqué.

Pour le président de la République François Hollande, celle qu'il désignait comme son adversaire pendant la campagne présidentielle, la finance, "a été maîtrisée".
Ses propos tenus mardi matin sur RMC et BFM TV semblent pourtant aventureux si l'on détaille son bilan en matière de régulation financière. Celui-ci mérite que l'on s'y penche tant le président de la République avait fait de la moralisation de la finance un thème phare de sa campagne.

Malheureusement, la quasi-totalité de ce qu'il avait promis n'a pas été réalisée. L'exemple le plus récent est l'accord a minima sur la taxe sur les transactions financières, qui dans un premier temps concernera seulement les actions et quelques produits de couverture (dérivés) d'actions. François Hollande avait pourtant promis lors de sa campagne "une véritable taxe sur les transactions financières, et pas un ersatz, un succédané".

S'attaquer aux produits dérivés

Malheureusement, c'est la voie de l'ersatz qui a été décidé. Comme souvent sous la forte pression du lobby bancaire qui manœuvre à merveille pour anéantir les minces velléités réformatrices du gouvernement Hollande.
Une mesure véritablement efficiente aurait été d'appliquer cette taxe Tobin à l'ensemble des produits dérivés qui s'échangent de gré à gré, jusqu'ici peu contrôlés, et qui constituent l'immense partie des produits dérivés : ils sont au total adossés à 693.000 milliards de dollars de produits financiers

Ces produits s'échangent pour plus de 90% d'entre eux entre institutions financières, alimentant les interconnexions entre elles et les risques d'écroulement du système financier -un peu à la manière d'un château de carte- si par malheur un choc survenait. Appliquer une taxe de 0,01% sur les transactions de dérivés anéantirait, selon un constat d'experts repris à son compte par Bruxelles, les trois quarts des transactions qui sont pour une écrasante majorité complètement déconnectées de l'économie réelle.

La non-séparation des activités bancaires

Mais la promesse la plus symbolique non tenue de François Hollande reste la séparation des activités bancaires. Le 22 janvier 2012 au Bourget, il déclarait en grande pompe qu'il séparerait, élu, "les activités de crédits des opérations spéculatives" des banques. Pourtant, un simulacre de débat démocratique a permis aux banquiers de sauver leurs propres intérêts.

La loi de séparation des activités bancaires adoptée à l'été 2013 ne demande au final qu'à deux banques (Société générale et BNP Paribas) de créer une filiale pour loger ce qui est appelé "les activités spéculatives pour compte propre"... et qui ne représentent qu'environ 1% de leur chiffre d'affaires.

Pourquoi une si chétive séparation ? Parce que le gouvernement a dénié s'attaquer à la complexité des activités de marché des banques qui regroupent moult autres types d'opérations spéculatives, souvent déconnectées de l'économie réelle. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été averti par plusieurs experts, notamment l'ONG Finance Watch, le contre lobby bancaire européen. Mais là encore les banques ont parfaitement manœuvré, allant jusqu'à participer activement à l'élaboration du projet de loi.

La spéculation sur les matières premières agricoles est toujours possible...

François Hollande avait aussi promis pendant sa campagne que "les produits financiers toxiques, c'est-à-dire sans lien avec les nécessités de l'économie réelle seront purement et simplement interdits". Certains de ces produits toxiques sont bien connus : ce sont les activités spéculatives sur des produits dérivés de matières premières agricoles, qui ont leur part de responsabilité dans les problèmes de faim dans le monde.

Eux non plus n'ont quasiment pas été affectés par la loi adoptée à l'été 2013. Leur prohibition est pourtant revendiquée par le gouvernement, mais c'est un leurre. Par un subterfuge sémantique - la fameuse "utilité pour le client" - une banque peut toujours créer un fonds de placement indexé sur des indices de marchés de matières premières agricoles et le vendre à un fonds spéculatif, par exemple installé dans un paradis fiscal, explique Finance Watch.

Déçue par l'incapacité du pouvoir politique à prendre le dessus sur la finance, l'ONG Oxfam, qui combat la faim dans le monde, va se montrer habile, enlevant du même coup une épine du pied du gouvernement : elle a lancé en février 2013 une campagne intitulée "Banques, la faim leur profite bien". Très soucieuses de leur image, les banques ont réagi immédiatement. BNP Paribas s'est engagée à fermer certains de ses plus grands fonds indiciels, et Société Générale à les suspendre et à ne plus en créer.

...comme le financement de fonds spéculatifs

Quelques mois avant son élection, le président de la République avait aussi proposé d'instaurer une "liste noire des hedge funds (fonds spéculatifs ndlr)" et surtout d'"interdire aux banques françaises de financer ce type de fonds". "Ces hedge funds déstabilisent les banques qui les financent", déplorait-il alors.

Le projet de loi de séparation bancaire présenté en décembre 2012 prétendait ainsi "séparer des autres activités bancaires le crédit non garanti aux fonds à effet de levier, dits hedgefunds ou fonds spéculatifs". Mais là aussi, il y a embrouille, comme l'ont souligné plusieurs experts : les prêts aux hedgefunds sont toujours montés avec des garanties ! Cela revient donc à séparer une activité qui n'existe pas.

Deux mois après l'adoption de la loi, c'est le patron de la banque de marché de BNP Paribas Alain Papiasse qui va lui-même confirmer à demi-mots aux Echos les craintes des experts pro-régulation : "Notre activité avec les "hedgefunds" n'a pas vocation à être séparée puisque les opérations que nous traitons sont systématiquement sécurisées par du collatéral", expliquait-il...

Les paradis fiscaux, le miracle parlementaire

Malgré tous ces motifs d'insatisfaction, une éclaircie est toutefois apparue en matière de régulation financière. Mais ce n'est pas du fait des équipes de François Hollande ! Il promettait pourtant dans son engagement numéro 7 de campagne d'interdire "aux banques françaises d'exercer dans les paradis fiscaux". Or dans le projet de loi initial de séparation bancaire, pas une ligne n'est consacrée aux paradis fiscaux...

Il faudra en fait attendre le débat parlementaire pour que des députés EELV proposent, en accord avec le camp socialiste, des amendements qui instaurent davantage de transparence des groupes bancaires français dans les pays où ils sont implantés.
Le vote en parallèle par les députés européens d'un article qui demande 5 critères aux banques pays par pays (chiffre d'affaires, nombre d'employés, profits, les impôts payés, et les subventions reçues), va inciter le Sénat à enrichir la loi française sans que le gouvernement n'interpose. Il faut dire que nous étions alors au milieu de "l'affaire Cahuzac" et en pleine crise chypriote.
Si de bonnes bases sont posées en France et au niveau international en matière de régulation des paradis fiscaux, les spécialistes attendent désormais que les pouvoirs publics passent de la parole aux actes.

L'encadrement des bonus, seul bon point

Il n'y a en fait guère que sur le sujet de l'encadrement des bonus où le gouvernement a agi en cohérence avec la promesse présidentielle. Le texte de loi adopté prévoit ainsi d'encadrer les rémunérations variables versées aux patrons de banques et aux traders. Ses derniers ne pourront pas recevoir un bonus supérieur à leur salaire fixe. La loi prévoit tout de même une dérogation : le plafond peut disparaître si suffisamment d'actionnaires donnent leur accord.

Ce sujet n'est pas mineur, car l'appât du gain a conduit par le passé des traders et des dirigeants de banques à commettre des erreurs graves… mais cela risque de ne pas suffire.
Qu'on se le dise : le pouvoir politique est encore loin d'avoir maîtrisé la finance.