Franc suisse : des collectivités françaises en faillite ?

Par Mathias Thépot  |   |  943  mots
L'appréciation du franc suisse risque d'avoir des conséquences désastreuses sur les collectivités locales victimes de l'affaire des crédits toxiques.
L’appréciation du franc suisse par rapport à l’euro ce jeudi met en grand danger les collectivités locales ayant souscrit des emprunts indexés sur la parité euro/franc suisse. Les taux d’intérêt annuels dont elles devraient s’acquitter pourraient bondir pour certaines jusqu'à 25% du capital !

Cela ne pouvait pas tomber au plus mauvais moment pour les collectivités locales françaises. La hausse du franc suisse ce jeudi, qui s'est stabilisé au moment de la rédaction de cet article à 1,04 franc suisse l'euro, pourrait avoir des conséquences dramatiques pour un peu plus de 900 collectivités qui ont souscrit des emprunts -très répandus durant les années 2000- dont le taux d'intérêt est indexé sur l'évolution de la parité euro/franc suisse.

En effet, à chaque fois que le franc suisse s'envole, les collectivités concernées voient le taux d'intérêt annuel qu'elles paient sur leur emprunt croître, voire bondir comme cela risque d'être le cas dans les prochains mois. La faute à une vieille croyance de banquiers d'avant crise de 2008 qui disait que rien ne pourrait atteindre la stabilité de la sacrosainte parité euro/franc suisse. Ils n'avaient en rien anticipé que les marchés financiers considéraient le franc suisse comme valeur refuge par excellence à chaque période d'incertitude, le faisant s'apprécier.

L'ardoise risque d'être salée pour les collectivités

Ce cas de figure est donc à nouveau en train de se produire et les collectivités risquent, encore une fois, d'en payer les frais. Mais ce coup-ci, l'ardoise risque d'être très (trop ?) salée pour certaines d'entre elles. En effet, dans les pires des cas, c'est-à-dire pour celles qui ont été contraintes de souscrire ces prêts dits "toxiques" entre 2007 et 2009 à l'époque où l'euro était au plus haut par rapport au franc suisse - le taux de change est montée à cette époque jusqu'à 1,66 franc suisse l'euro -, les taux d'intérêt des emprunts pourraient s'élever à... un quart du capital restant dû.

Les banques, la défunte Dexia en tête, ont souvent introduit dans leurs contrats de prêt une parité « pivot » de 1,44 franc suisse l'euro en dessous de laquelle il est prévu que les intérêts des emprunts s'envolent. Fixe à environ 4,5% lorsque la parité se maintenait au dessus de 1,44, le taux d'intérêt de ces emprunts est devenu variable lorsque la parité est passée en dessous de cette parité pivot. La variation devenant égale à la différence entre le taux de parité pivot et la parité réelle euro-franc suisse divisée par deux, majorée du taux d'intérêt fixe initial.

Concrètement, lorsque la parité réelle était d'1,24 franc suisse l'euro, le taux d'intérêt annuel payé par la collectivité ayant souscrit ce type de prêts s'établissait à (1,44-1,24)/2 + 4,5, soit 14,5% du capital restant dû.
Désormais, avec la nouvelle parité à 1,04, le taux annuel sera de (1,44-1,04)/2+4,5% soit 24,5% du capital restant dû ! Déjà très mal en point, certaines collectivités -qui n'auraient du reste jamais dû souscrire ces prêts- risquent de se retrouver au bord du précipice.

La sollicitation du fonds obsolète ?

Cette catastrophe tombe mal, puisque les collectivités ont jusqu'à la mi-mars pour constituer un dossier et signer un protocole pour bénéficier d'un fonds d'aides public-privé qui leur est dédié. Elles doivent pour ce faire se résigner aussi à attaquer leur banque en justice.

Le fonds est abondé par l'État et les banques mais est insuffisamment doté : seulement 1.5 milliard d'euros sur quinze ans, alors que l'indemnité de remboursement anticipée globale dont devraient s'acquitter les collectivités pour sortir de cette affaire s'élèverait à environ 6 milliards d'euros, dit-on dans les couloirs de la Sfil, la société détenue par l'État français. Cette dernière a repris dans son bilan l'écrasante majorité des prêts « toxiques » de la défunte Dexia, l'ancien leader du marché.

Or, à une parité d'1,04 franc suisse l'euro, l'indemnité de remboursement anticipée globale risque de bondir de plusieurs milliards ! Et de rendre l'aide du fonds encore plus insuffisante qu'elle ne l'était. Les collectivités ont donc encore plus intérêt qu'avant à continuer leurs assignations en justice contre les banques - dont la principale est la Sfil - d'autant qu'elles ont encore des possibilités de l'emporter.

Plusieurs problèmes (insolubles ?) se posent

Du reste, plusieurs questions se posent désormais : en premier lieu, y a-t-il une possibilité que le franc suisse se déprécie par rapport à l'euro, ce qui redonnerait de l'air aux collectivités ? A court et moyen terme, c'est peu probable "si la Banque nationale suisse a supprimé son taux plancher de 1,20 franc suisse l'euro, c'est parce qu'elle n'a plus les moyens de le tenir. Il est donc difficile de penser que cette parité puisse remonter à court et moyen terme", estime Philippe Gelis, président de Kantox, un spécialiste du marché des changes.

Autre question : si elle est durable, qui paiera cette appréciation du franc suisse ? Si ce sont les collectivités locales, certaines risquent le défaut de paiement ; d'autres réduiront drastiquement leurs investissements, moteur de l'économie des territoires ; et d'autres seront contraintes d'augmenter la fiscalité du contribuable local.
Si c'est l'État par le biais du fonds, ce seront quelques centaines de millions, voire quelques milliards supplémentaires dont devront s'acquitter les contribuables nationaux pour payer, une nouvelle fois, les errements de Dexia.

Et si ce sont les banques, et donc principalement la Sfil, cette dernière risque de faire faillite, ce qui engendrerait un risque certain sur les marchés. Quant aux autres banques, elles ont pour beaucoup déserté ce marché il y a plusieurs mois, et on voit mal le pouvoir en place les solliciter pour sauver ce qui reste d'une ancienne concurrente défunte...