L’union des marchés de capitaux, le retour en grâce de la finance à Bruxelles

Par Christine Lejoux  |   |  981  mots
Lord Hill souhaite mettre en place d'ici à 2019 un "véritable marché intérieur des capitaux."
Jonathan Hill, le commissaire européen aux services financiers, a lancé le 18 février une consultation sur son projet d’union des marchés de capitaux. L’objectif étant de faciliter le financement des entreprises européennes, encore très dépendantes des banques, par les marchés.

Changement de statut pour la finance européenne. D'ennemi à encadrer par tous les moyens il y a six ans à peine, elle devient un allié indispensable des autorités politiques dans le cadre de leurs plans de relance de la croissance.

Aujourd'hui, selon le commissaire européen aux services financiers Jonathan Hill, qui a présenté mercredi 18 février un projet d'union européenne des marchés de capitaux, "le facteur de risque le plus important pour la stabilité (financière et économique), c'est l'absence de croissance." Et non plus la finance et ses dérives, qui, en 2008, avaient plongé le monde dans la plus grave crise financière depuis la Grande Dépression des années 1930.

Au contraire, Bruxelles, mais également Paris, redécouvre aujourd'hui les vertus de la finance. Pour la simple raison que, si les entreprises européennes manquent de financements le jour où elles auront enfin repris goût à l'investissement, la croissance économique ne redécollera pas. Pis, il deviendra plus compliqué pour les entreprises, les ménages et les États de rembourser leurs dettes. Or cette éventuelle insuffisance de financements n'est pas une simple vue de l'esprit, elle pourrait bel et bien se produire.

 Les entreprises européennes se financent
à 75% environ auprès des banques

D'abord parce qu'il faudra de moins en moins compter sur les finances publiques, très dégradées dans nombre de pays, pour dynamiser l'économie européenne. Ensuite, parce que les banques, du fait des nouvelles réglementations qui s'appliquent à elles depuis la crise financière, ont les coudées moins franches pour accorder des crédits.

"La réglementation européenne ne crée pas de croissance, elle en grignote même un peu. Mais il fallait la faire, au moment de la crise. Maintenant, il faut voir comment on peut construire un système financier plus efficace pour le financement de l'économie",

estime un proche de Jonathan Hill.

De fait, plus d'un tiers (35% exactement) des PME de la zone euro n'ont pas obtenu tout le financement bancaire qu'elles avaient sollicité en 2013, assure la Commission européenne. Un handicap de taille pour les entreprises européennes, qui se financent à hauteur de 75% à 80% auprès des banques, une proportion exactement inverse à celle des Etats-Unis, où les sociétés privilégient le financement sur les marchés de capitaux.

Sans aller jusqu'à se calquer sur le modèle américain, l'économie européenne va donc devoir rééquilibrer ses sources de financement. Ce qui n'est pas simple, les marchés de capitaux étant sous-développés en Europe : la capitalisation boursière de l'Union européenne représente 64,5% seulement de son produit intérieur brut (PIB), contre un ratio de 138% aux Etats-Unis, selon les données de la Commission européenne.

Une consultation d'une durée de trois mois

Et encore, ces 64,5% ne sont qu'une moyenne. La situation est très disparate d'un pays européen à l'autre, la capitalisation boursière du Royaume-Uni représentant 121% du PIB, alors que cette proportion est de 35% seulement en Italie. "La crise (de 2008) a entraîné une fragmentation des marchés européens, les rendant moins profonds et moins liquides", explique-t-on dans l'entourage de Jonathan Hill.

Bruxelles pointe également du doigt des "barrières nationales", à l'origine des dysfonctionnements des marchés de capitaux en Europe, comme le droit des faillites et le droit des titres qui ne sont pas les mêmes suivant les pays, sans oublier l'absence d'harmonisation fiscale. Autant de spécificités locales qui découragent les investissements transnationaux.

Dans le prolongement du plan Juncker de 315 milliards d'euros pour la croissance, Lord Hill souhaite donc mettre en place d'ici à 2019 un "véritable marché intérieur des capitaux", afin de faciliter l'accès des entreprises - en particulier des 21 millions de PME européennes - aux financements de marché. Le commissaire européen a donc publié le 18 février un livre vert sur le projet d'union des marchés de capitaux, livre qui doit servir de base de consultation pour les entreprises, les investisseurs, les banques, le Parlement européen, le Conseil et autres parties prenantes, durant trois mois.

A partir des résultats de cette consultation, qui seront rendus publics en juin, la Commission européenne échafaudera des mesures législatives et juridiques, et le projet d'union des marchés de capitaux ainsi défini sera communiqué cet été, vraisemblablement en septembre.

 La relance de la titrisation à l'étude

Quant à sa mise en œuvre, elle prendra plusieurs années. Mais, au sein de ce plan de moyen et long terme qu'est son projet d'union des marchés de capitaux, Lord Hill a identifié quelques points sur lesquels il est possible d'agir rapidement. Comme une éventuelle révision de la directive prospectus, un sujet qui fera également l'objet d'une consultation durant les trois prochains mois, l'objectif étant de faciliter les démarches administratives des PME qui souhaitent lever de l'argent sur les marchés.

De la même façon, la Commission européenne vient de lancer une consultation sur la relance de la titrisation, pourtant accusée d'avoir provoqué la crise des subprimes (crédits hypothécaires américains risqués) en 2007.

Cette technique très décriée consiste, pour les banques, à transformer des créances en titres cédés sur les marchés, afin de récolter des fonds susceptibles d'être utilisés pour financer de nouveaux prêts. Pour mémoire, le marché de la titrisation des créances de PME européennes, qui ne pèse plus que 36 milliards d'euros aujourd'hui, s'élevait à 77 milliards d'euros en 2007, avant l'éclatement de la crise des subprimes.

Son potentiel dans le financement des PME semble donc évident. Il n'en reste pas moins que ce projet de relance de la titrisation constitue le meilleur symbole du changement d'attitude de Bruxelles à l'égard de la finance. Nécessité fait loi.