Procès Kerviel : les avocats de la Société générale refusent de comparaître comme…témoins

Par Christine Lejoux  |   |  836  mots
Les positions prises par Jérôme Kerviel avaient atteint près de 50 milliards d'euros début 2008, avec, à la clé, une perte latente de près de 3 milliards.
La cour d'appel de Versailles a pris acte de ce refus, et le procès au civil de Jérôme Kerviel face à son ex-employeur a pu débuter. Au cours des trois prochains jours, la cour d'appel devra évaluer la responsabilité de la banque dans la perte de près de 5 milliards subie en 2008, et au titre de laquelle elle réclame des dommages-intérêts équivalents à son ancien trader.

Une fois n'est pas coutume, le procès opposant Jérôme Kerviel à la Société générale va pouvoir se dérouler selon le calendrier prévu, du 15 au 17 juin, devant la cour d'appel de Versailles. Cette juridiction devra évaluer le degré des responsabilités de la banque dans cette affaire, afin de déterminer le montant des dommages-intérêts dus par l'ancien trader à son ex-employeur.

Pour mémoire, Jérôme Kerviel avait été condamné, en 2010, puis en 2012, à cinq ans de prison, dont trois ferme, pour abus de confiance, et à verser 4,9 milliards d'euros de dommages-intérêts à la Société générale. Une somme astronomique, correspondant au montant de la perte subie par la banque en 2008, en raison des positions non autorisées prises sur les marchés financiers par l'ancien trader. Mais, en 2014, la Cour de cassation avait cassé le jugement sur le montant des dommages-intérêts, estimant que la banque avait failli dans ses mécanismes de contrôle et qu'elle ne pouvait donc prétendre à une réparation intégrale du préjudice de près de 5 milliards d'euros qu'elle estime avoir subi. La plus haute juridiction française avait renvoyé le jugement sur ce volet civil de l'affaire devant la cour d'appel de Versailles, dont les audiences se dérouleront ces mercredi, jeudi et vendredi.

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« Une gesticulation médiatique habituelle »

Le maintien de ce calendrier n'était pas gagné, Maître David Koubbi, l'avocat de l'ancien trader de la Société générale, ayant déclaré vendredi dernier qu'il souhaitait entendre comme témoins... les avocats de la Société générale, Mes Jean Veil, Jean Reinhart et François Martineau. Une situation inhabituelle, qui risquait de priver la banque de sa défense durant une partie du procès, les témoins ne pouvant assister à l'audience avant leur déposition, et le secret professionnel empêchant par ailleurs les avocats de faire à la barre des révélations sur leurs clients. Invoquant justement le secret professionnel auxquels ils sont soumis, ces trois derniers ont refusé de comparaître comme témoins. Jean Reinhart a dénoncé « une gesticulation médiatique habituelle » de la part de la défense de Jérôme Kerviel et Jean Veil est allé plus loin, évoquant « une nouvelle menace ». Tout en « regrettant que Me Veil se sente menacé », David Koubbi a maintenu son souhait d'entendre les trois avocats de la Générale à titre de témoins, invoquant « des dysfonctionnements de la justice dans le cadre de l'affaire Kerviel ».

« Nous avons là des éléments qui vont être portés au dossier. Il s'agit de l'enregistrement de conversations entre la commandante de police Nathalie Le Roy et la procureure Chantal de Leiris, où l'on entend notamment dire : "le simple fait que vous me disiez que c'est un avocat de la Société générale qui a rédigé le réquisitoire, cela montre que c'était tordu" », a précisé Me Koubbi.

Et d'ajouter : « Je comprends que c'est très menaçant [pour la défense de la Société générale], car il est en effet inquiétant de savoir ce qu'il y a dans cet enregistrement. »

Quelle responsabilité pour Kerviel ?

Néanmoins, la cour d'appel de Versailles, après avoir également entendu les représentants des bâtonniers de Paris et de Versailles, qui ont, eux aussi, invoqué le secret professionnel, a pris acte du refus des avocats de la Société générale de comparaître. Le procès a donc pu prendre un cours normal, avec la lecture, par le président d'audience, du rapport sur l'affaire Kerviel/Société générale. Un rapport qui a notamment rappelé l'énormité des positions directionnelles non couvertes prises par Jérôme Kerviel sur les marchés entre 2005 et 2008, positions qu'il masquait par des opérations fictives.

Ces positions avaient atteint près de 50 milliards d'euros début 2008, avec, à la clé, une perte latente de près de 3 milliards. C'est à cette époque que sa hiérarchie avait exigé du trader les explications qui avaient conduit la banque à prévenir les autorités boursières et bancaires, et à déboucler la position afin de tenter de limiter la casse. En trois ans, ce n'était pas la première fois que ses supérieurs demandaient des comptes à Jérôme Kerviel, mais les précédentes alertes avaient fait l'objet d'un « manque de suivi », selon le rapport lu par le président d'audience, qui pointe également du doigt « un faible contrôle de la détection de fraudes », ainsi qu'une « mauvaise organisation du service de déontologie » de la banque. Des fautes ont-elles réellement été commises par la Générale, ce qui limiterait la responsabilité de Jérôme Kerviel ? C'est la question à laquelle la cour d'appel de Versailles va devoir répondre.