Brexit : le Luxembourg se pose en solution de repli simple et bon marché

Par Delphine Cuny  |   |  1048  mots
La Bourse de Luxembourg est le leader de la cotation des obligations internationales. En revanche, seules 27 actions y sont cotées.
Faible imposition, démarches en anglais, pôle financier de rayonnement international : le Grand-Duché met en avant ses atouts pour les banques implantées à Londres. Le pays se défend de faire du démarchage et ne croit pas en un « Brexodus » massif des banquiers vers le continent.

Dans la course à l'attractivité qui se joue entre autres, entre Paris, Berlin, Francfort et Dublin, sur fond de Brexit, il faudra aussi compter avec l'un des plus petits pays de l'Union européenne : le Luxembourg. Le Grand-Duché se défend de démarcher agressivement les banques, britanniques ou étrangères implantées à Londres, qui redouteraient de ne plus pouvoir commercialiser leurs produits et services en Europe (selon le dispositif du « passporting »), après la sortie du Royaume-Uni de l'UE.

L'ambassadeur du Luxembourg en France, Paul Dühr, a expliqué lors d'une rencontre avec la presse :

« Nous sommes foncièrement européens. Nous ne serions pas une place financière si nous n'étions pas européens. Nous ne nous réjouissons pas du Brexit. Et la place financière de Londres est très importante pour le Luxembourg ».

Toutefois, ses représentants mènent une campagne discrète, mettant en avant ses atouts, linguistiques, juridiques, et, bien sûr, fiscaux.

« Le Luxembourg ne va pas profiter du Brexit pour aller débaucher des institutions financières » assure Nicolas Mackel, le directeur général de Luxembourg for Finance, l'agence de développement du centre financier du Grand-Duché.

« Nous pouvons offrir des solutions pour que ces institutions puissent continuer leurs activités en Europe. Le Luxembourg fait de toute façon partie de la "short list" des solutions de repli. »


Leader des obligations internationales

Il y a déjà plus de 140 banques implantées sur place, pour l'essentiel internationales. Et plus de 3.800 fonds d'investissement, représentant 3.600 milliards d'euros d'actifs sous gestion : le Luxembourg est le deuxième centre mondial de fonds d'investissement après les États-Unis. Il s'est spécialisé dans les années 1980 dans la domiciliation et l'administration de fonds d'investissement.

La Bourse de Luxembourg est une place financière de premier plan, non pas pour les actions (il n'y a que 27 valeurs cotées sur plus de 40.000 lignes de cotation), mais pour les emprunts obligataires : c'est le leader de la cotation des obligations internationales. Pionnière de la finance « verte », la place traite la moitié des volumes d'échange des « green bonds ».

Selon le dernier Global Financial Sector Index, qui mesure la compétitivité des places par une série d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs, la ville de Luxembourg est le deuxième centre financier de l'Union européenne, à la 12e place, derrière Londres (Zurich est 9e, Francfort 19e, Paris 29e).

Pas de "Brexodus"


Ce pays trilingue de 576.000 habitants, résolument tourné vers l'international, veut jouer à fond cette carte de l'ouverture: on peut par exemple parler anglais au régulateur et même constituer sa société en anglais. Le dirigeant de Luxembourg for finance est convaincu que :

« Les banques veulent garder leur QG à Londres mais ont besoin de créer juridiquement des entités quelque part sur le continent et qui seront munies des agréments nécessaires pour continuer à travailler en Europe ».

« Notre vision du Brexit n'est pas celle d'une vague de milliers de banquiers traversant la Manche dans les deux prochaines années : nous ne croyons pas à un Brexodus vers le continent européen ».

Il ne s'agit pas de leur proposer une domiciliation, au sens d'une simple boîte aux lettres, ce qui ne serait pas possible sur le plan réglementaire, mais d'y installer leur tête de pont d'Europe continentale, comme l'ont fait les six premières banques chinoises.Le gestionnaire d'actifs M&G, filiale du britannique Prudential, a récemment décidé de s'implanter au Luxembourg pour être certain de pouvoir poursuivre son activité en Europe. Aussi Nicolas Mackel estime-t-il que :

« Le Brexit peut renforcer le rôle du Luxembourg de plateforme européenne pour les groupes financiers non européens ».


Régulation « business-friendly » et pro-Fintech


Multilingue, le régulateur serait aussi plus « business-friendly », ou « orienté business » comme le dit le patron de Mangopay (filiale de Leetchi, la cagnotte en ligne rachetée par Crédit Mutuel Arkéa) qui a son siège au Luxembourg. La capitale du Grand-Duché, qui recense une soixantaine de startups de la Fintech, dont leur doyenne PayPal, et des acteurs tels que CrossLend, SnapSwap et Bitstamp, a d'ailleurs l'ambition d'être « un des leaders de la finance digitale ».

« Nous adoptons une attitude ouverte : nous les aidons à rendre leur projet conforme à la réglementation », indique le directeur général de Luxembourg for finance. « Nous voulons surtout faire venir les entreprises qui aident à fournir des services à l'industrie existante, plutôt BtoB, qui se positionnent sur les Regtech, la conformité, le KYC (connaissance client) ».

Il y a d'ailleurs peu de startups du crowdfunding (financement participatif), dont la France s'est fait une spécialité.


Havre fiscal


Enfin, le Luxembourg, rentré dans le rang en matière de secret bancaire, demeure un havre fiscal. Même si ses représentants assurent que le pays est « aujourd'hui beaucoup moins intéressant que l'Irlande ». Le taux d'impôt sur les sociétés, actuellement de 29,5%, va cependant baisser à 26,5% en 2018. Les cotisations sociales sont aussi allégées.

« Nous avons fait une étude comparative qui montre que le coût salarial pour l'employeur est le moins élevé et le revenu net pour l'employé le plus élevé par rapport à nos voisins ».


Le secteur de la finance rapporte néanmoins un tiers des recettes fiscales du Grand-Duché. Environ 10% de la population active, de l'ordre de 45.000 personnes, travaillent dans le secteur, dont plus de la moitié dans les banques.

Pragmatique, le Grand-Duché ne s'attend « à ce que JP Morgan ou Fidelity déménage des milliers d'emplois après le Brexit » mais s'estime bien placé pour récupérer une partie des exilés. Et légitime aussi pour accueillir le siège de l'Autorité bancaire européenne (EBA) - convoité très officiellement par Paris, entre autres - puisque la décision du 8 avril 1965 (annexée au traité de fusion des communautés) avait prévu d'y établir les institutions judiciaires et financières européennes.

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