Sur fond de Brexit, à Londres, la France chante "mon amie, c'est la Fintech"

La secrétaire d’État au Numérique Axelle Lemaire, la BPI, l’AMF et l’ACPR participent ce jeudi à un événement organisé par Business France pour mettre en avant « l’écosystème Fintech français, dynamique et simplifié ». L’occasion de draguer les startups britanniques inquiètes par la perspective du Brexit.
Delphine Cuny
Axelle Lemaire va expliquer aux Londoniens comme la France est une terre fertlle pour les jeunes pousses réinventant la finance par la technologie.

Débarquement en force pour une offensive de charme : la crème de la scène Fintech française vient déployer ses atours à Londres ce jeudi lors d'un événement organisé par Business France. En guest star à l'heure du thé, la secrétaire d'État au Numérique et à l'Innovation, à l'anglais impeccable, et qui a vécu plusieurs années à Londres, Axelle Lemaire herself. Elle devrait livrer un discours très neuf aux oreilles d'un public britannique que l'on pourrait résumer par le slogan "Mon amie, c'est la Fintech".

La ministre interviendra en conclusion d'un après-midi de conférences et débats destiné à présenter « la Fintech en France : un écosystème dynamique et simplifié ». Et les pouvoirs publics seront là en nombre pour promouvoir l'attractivité de la place parisienne : le gendarme boursier français (l'AMF), avec le directeur de sa division Fintech, Franck Guiader, l'organe de supervision français de la banque et de l'assurance (ACPR) avec la responsable de son pôle Fintech Innovation, Nathalie Beaudemoulin, la Banque publique d'investissement avec son directeur exécutif et directeur financier Arnaud Caudoux.

Il y aura aussi des poids lourds du capital-risque, français ou francophones : le Belge Fred Destin, du fonds de venture capital américain Accel Partners (qui a investi dans des Fintech du monde entier, Venmo, Braintree, Worldremit, Gofundme, Scripbox ou Funding Circle), Frédéric Lardieg du fonds londonien en pleine croissance Octopus Ventures, Marie-Hortense Varin du fonds parisien Partech, et Yann Ranchère du fonds spécialisé en Fintech Anthemis, invités pour débattre des atouts de l'écosystème français. Du côté des jeunes pousses, la startup hexagonale Advize, robot-conseiller qui veut démocratiser l'assurance-vie en ligne, participera, ainsi que des Fintech fondées par des Français telles que Kantox (change de devises en ligne pour les entreprises) et Tramonex (transfert d'argent).

La fin du passeport européen (ou pas)

Le but à peine voilé de l'opération semble être de convaincre les Fintech britanniques de s'exiler à Paris. La maire de la capitale, Anne Hidalgo, n'a d'ailleurs pas caché cet été son ambition de "faire de Paris la première place financière européenne, dans le contexte du Brexit", mettant en avant son "Paris landing pack" pour faciliter l'implantation des startups étrangères. Officiellement, l'objectif jeudi est d'"informer", de montrer que la France a « un gros potentiel » en matière de Fintech et que l'environnement de l'autre côté du Channel est "business friendly", à travers une série de dispositifs, dont la création d'un guichet unique Fintech des superviseurs (AMF et ACPR). Au Forum Fintech en juillet dernier, Axelle Lemaire avait ainsi fait valoir que

« Une réglementation adaptée est un facteur essentiel pour assurer l'attractivité de la place financière de Paris pour les Fintech, en particulier dans le contexte actuel marqué par le Brexit ».

Au cabinet d'Axelle Lemaire, son entourage commente sa venue à Londres, tout en rondeurs diplomatiques :

« C'est une démarche que l'on aurait faite avec ou sans Brexit. Cela paraît hasardeux et prématuré de parier sur une sortie du Royaume-Uni de la zone de libre-échange ou sur la perte du passeport européen [qui permet à une entreprise ayant obtenu un agrément de l'autorité de son pays d'origine de distribuer ses produits dans toute l'UE, NDLR]. Ce serait inélégant de débarquer en criant : "youpi le Brexit !" »

Le président de l'association France Fintech, Alain Clot, par ailleurs spécialiste du secteur financier chez EY, qui intervient jeudi en introduction des débats, va davantage droit au but :

« Il y a évidemment un gros sujet Brexit. Sans mettre nos gros sabots, il s'agit de rapatrier notamment ceux qui auront un problème de « passporting ». Or les Anglais vont très probablement perdre le passporting. Délocaliser une banque ou une salle de marché c'est compliqué, une startup, ça se fait presque en quelques clics ! »

Aucune licorne Fintech française

Certains entrepreneurs vont vite en besogne. Cédric Teissier, le fondateur de Finexkap, qui affirme « dépoussiérer le secteur de l'affacturage », rêvait à haute voix en juin dernier :

« La décision britannique de sortir de l'Union européenne marque la fin d'un règne pour les startups londoniennes spécialisées en Finance. Jusqu'ici en position dominante, elles devront entamer un processus d'acquisition massif ou céder la place aux Fintech parisiennes en pleine ascension ».

Problème : l'écosystème Fintech français est encore très modeste. On parle de 750 startups mais à Bercy comme à France Fintech on en évoque plutôt plusieurs centaines, et seulement quelques dizaines régulées. Aucune startup hexagonale n'a encore atteint le statut de « licorne », valorisée plus d'un milliard de dollars, alors que plusieurs britanniques (Funding Circle, TransferWise), une néerlandaise (Adyen) et une suédoise (Klarna) font partie de ce club de jeunes pousses prometteuses et richement financées, au milieu d'une foule d'américaines et de chinoises.

Vu de San Francisco, Matthieu Soulé, analyste stratégique de l'Atelier BNP Paribas US, relativise :

« L'écosystème Fintech européen est peu visible aux États-Unis. Quelques grosses startups européennes sont présentes comme Funding Circle ou Adyen, la seule startup Fintech française qui a franchi le pas récemment est Ulule, qui s'est implantée au Canada après avoir reçu un financement d'une banque canadienne. Il n'y a pas beaucoup de startups Fintech de taille européenne : Klarna et Adyen sont les plus présentes, TransferWise essaie timidement de se déployer, N26 fait beaucoup de bruits, mais on a peu de détails par pays. Pour gagner une taille critique, une des solutions est de collaborer avec des acteurs en place. On voit que cela commence en France ou en Grande-Bretagne ».

Alain Clot, de France Fintech, relève que:

« Si les deux tiers des Fintech européennes sont à Londres, ce n'est pas pour les coûts d'exploitation (salaires, immobilier), qui sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs. Les raisons sont la présence de la première place financière européenne, le régulateur extrêmement souple, et engagé dans une mission de développement économique, et enfin le financement que l'on a trouvé, jusqu'ici, plus facilement  à Londres ».

Sur le plan de la réglementation, une nouvelle approche se met en place en France, largement inspirée de l'exemple britannique, consistant à « proportionner la supervision à la taille de l'entreprise » souligne le cabinet d'Axelle Lemaire. Cet été la ministre pointait la nécessité de « choisir une régulation soft en amont, innovante. »

En revanche, rivaliser avec la City semble mission impossible (en termes d'attractivité le classement de la place de Paris est dramatiquement bas, au 32e rang selon le GFCI - qualitatif donc subjectif - du think tank Z/Yen Global). Et du côté du financement, la France manque cruellement de "super business angels" et de très gros fonds de capital-risque (les gros VC américains sont tous à Londres notamment par proximité culturelle), comme les autres capitales continentales ceci dit.

La concurrence (très sérieuse) de Berlin

Mais l'Allemagne commence à tirer son épingle du jeu. Comme le montre la dernière étude trimestrielle sur les levées de fonds en capital-risque de KPMG-CB Insights, c'est outre-Rhin qu'a eu lieu le plus gros deal en Fintech : 33 millions d'euros pour Finanzcheck (de Hambourg), quand en France c'est la plateforme de financement participatif pour PME Lendix, avec 12 millions d'euros.

Les levées de fonds en Fintech au deuxième trimestre

D'ailleurs à Bercy on ne le cache pas

"Si on a un concurrent, c'est Berlin".

Pour le président de France Fintech :

« Une guerre impitoyable a commencé entre les grandes métropoles européennes : les Allemands envoient même des camions publicitaires dans Londres pour attirer les startups ».

L'appel de Berlin aux startups londoniennes

 Les Allemands ont en effet engagé une vaste campagne pour faire les yeux doux aux startuppers de Londres. Il semble donc de bonne guerre que Paris s'y mette.

Delphine Cuny

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Commentaires 4
à écrit le 15/09/2016 à 8:57
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" Mon amie c'est la fintech " en résonance avec " mon ennemie c'est la finance " il N y a plus beaucoup de discour à faire pour convaincre les jeunes pousses à venir s'installer chez nous. Vous ajoutez quelques manifestations contre le travail, et c...

à écrit le 15/09/2016 à 7:50
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Mais oui, avec la politique fiscale et sociale des gouvernements UMP/UDI/LR/PS successifs depuis 40 ans, les entreprises savent ce que valent ces "sirènes" qui veulent les charmer !

le 17/09/2016 à 17:39
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En effet même avec des poids lourd de la fintech la France est une terre qui n'attire plus ! Avec des parties politiques de droite ou de gauche qui se moque de tout... J'en suis même parti pour me lancer à l'étranger... La vie est belle maintenant.

le 17/09/2016 à 17:39
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En effet même avec des poids lourd de la fintech la France est une terre qui n'attire plus ! Avec des parties politiques de droite ou de gauche qui se moque de tout... J'en suis même parti pour me lancer à l'étranger... La vie est belle maintenant.

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