Dans la banque, la crainte pour son emploi explose avec le digital

Par Delphine Cuny  |   |  939  mots
Les changements d'organisation, comme la mise en place d'un "accueil partagé" en agence, avec une borne d'identification du client, ne ferait "que des mécontents" estime le président du syndicat SNB/CFE-CGC, Régis Dos Santos.
Une enquête nationale sur les risques psychosociaux réalisée par des universitaires pour le syndicat SNB/CFE-CGC révèle que 37% des employés sondés estiment la sécurité de leur emploi menacée, dans un secteur autrefois protégé. La dématérialisation accroît les contraintes et le stress des personnels en agence.

« Les robots vont-ils remplacer les banquiers ? » s'interrogeait dans son numéro de décembre dernier la Revue Banque, qui a pour actionnaire principal la Fédération bancaire française (FBF), le lobby du secteur. Passage accéléré au numérique, fermetures d'agences et introduction de l'intelligence artificielle (Watson d'IBM chez Crédit Mutuel et Orange Bank par exemple) font naître des inquiétudes dans ce secteur, pendant des décennies recruteur net, qui ne l'est plus depuis quatre ans. C'est le constat le plus frappant qui ressort d'une enquête nationale sur les risques psycho-sociaux, le stress et la souffrance au travail, réalisée par des universitaires lillois pour le syndicat SNB/CFE-CGC, à laquelle ont répondu plus de 6.700 personnes.

« Jusqu'en 2014, il faisait bon d'être dans la banque, c'était un secteur protégé. Aujourd'hui, plus d'un collaborateur sur 3, précisément 37% des sondés, estime que la sécurité de son emploi est menacée, contre 28,9% en 2014 et 23,1% en 2011. C'est une progression explosive rencontrée nulle part ailleurs et une réelle inversion de tendance », analyse l'ergonome Xénophon Vaxevanoglou, psychologue du travail et directeur de Master Ingénierie de la santé à l'Université Lille 2, qui a piloté cette troisième édition de l'étude, présentée ce mardi à la presse.

En comparaison, en moyenne au niveau national, 23,8% des salariés s'inquiètent pour la sécurité de leur emploi, tous secteurs confondus. Ce niveau élevé de 37% n'est « pas encore traumatisant » : les employés du secteur ne le considèrent peut-être pas encore comme « la sidérurgie de demain », tel que le prédisaient en 1979 les économistes Michel Godet et Jean-Pierre Plas, au lendemain de la publication du rapport Nora-Minc.

« Plan Marshall » de formation professionnelle

Cette évolution s'accompagne d'une « tendance nouvelle à douter de ses compétences pour faire face aux enjeux d'avenir » : si 80% des sondés pensent avoir celles qu'il faut (-4,4 points en six ans), ils sont presque autant (79%) à envisager devoir changer de métier (+6,3 points depuis 2011), dans tous les métiers, aussi bien en « front office », en contact avec le client, au siège en « back-office », qu'en banque d'affaires. « Pour les DRH, ce constat soulève des questions sur l'attractivité du secteur, en particulier auprès des jeunes », relève l'universitaire.

« C'est évidemment lié à la montée en puissance du digital », selon Régis Dos Santos, le président du SNB/CFE-CGC, devenu majoritaire dans le secteur, hors banques coopératives. « C'est une peur très rationnelle. Les salariés de la banque n'ont pas envie de connaître le même sort que les taxis avec Uber ou les hôteliers avec Airbnb », fait-il valoir.

« La montée des doutes sur les compétences renforce notre exigence d'un plan Marshall de la formation professionnelle dans la banque, en complément des investissements. »

Cette perte de confiance serait liée aux réorganisations annoncées quasiment chez toutes les grandes banques, avec fermetures d'agences, réduction de la masse salariale et des ETP (équivalents temps plein), jusqu'ici sans licenciement sec, mais aussi « à la concurrence des banques en ligne, des acteurs non bancaires, et à l'évolution technologique, la digitalisation qui est déjà dépassée par l'intelligence artificielle et le big data », considère le psychologue du travail.

« On dématérialise le client, à son détriment »

L'étude montre aussi que « le poids des contraintes techniques (applications, digital, dématérialisation des process client) augmente et accentue les contraintes temporelles qui pèsent sur l'activité notamment des front office ». Ces « process » affectent les conditions de travail des employés de banque, qui souffrent de la « procéduralisation » de leurs activités : « Il faut renseigner les applications informatiques pour remonter les informations à la hiérarchie », relève l'ergonome : « Ce sont des contrôles invisibles qui imposent une certaine standardisation du travail. » Ainsi 66% des personnels du « front office » (agences, call centers) disent que leur rythme de travail est imposé par des contraintes techniques, et 75% des sondés qu'il l'est par « les procédures et les normes de production ».

L'universitaire dresse un constat très critique du passage au numérique :

« La relation client dans la banque est en train de se reconfigurer complètement, au détriment du client. On dématérialise le client dans des process qui ne sont pas les siens, mais ceux de la banque. Même s'il n'a rien demandé. On ne veut plus que le client aille en agence », estime Xénophon Vaxevanoglou.

Il se demande même s'il y aura encore besoin d'agences demain, alors qu'on demande au client de tout faire tout seul.

« Le gestionnaire de patrimoine n'a pas trop de souci à se faire, mais le conseiller d'agence non spécialiste, qui connaît 70 ou 80 produits, sait qu'il peut se faire remplacer par un smartphone », constate le président du SNB/CFE-CGC. « Il y a un avenir pour la banque de détail, avec moins d'agences, mais seulement s'il y a un fort investissement de formation » martèle-t-il.

Régis Dos Santos observe que les réponses apportées jusqu'ici en matière d'organisation du travail n'ont pas été concluantes :

 « Il y a des expérimentations de nouvelles organisations qui ne font que des mécontents, par exemple l'accueil partagé : le salarié qui est en rendez-vous et doit garder un œil sur la porte, le client en rendez-vous qu'on laisse en plan et le client qui attend. Personne n'apprécie et certains établissements reviennent dessus. Idem avec les agences multi-sites, dont le directeur n'est jamais là, ou des agences ouvertes seulement pour les rendez-vous l'après-midi. Toutes ces expériences n'apportent aucun plus. »