Evasion fiscale : Bruxelles veut obliger banques, comptables et avocats à la transparence

Par Delphine Cuny  |   |  783  mots
"Il y a des procédés qui sont insupportables, pour des raisons morales et pratiques, car les Etats membres ont besoin des recettes perdues à cause de l'évasion fiscale" a déclaré Pierre Moscovici, qui a présenté la proposition de la Commissiin européenne.
Les intermédiaires devront déclarer tous les dispositifs transfrontières de "planification fiscale" pour les entreprises ou les particuliers, selon une proposition présentée par Pierre Moscovici. Une base de données centralisera les informations de tous les Etats membres pour détecter les montages abusifs.

[Article publié à 13h04 et mis à jour à 18h05]

Jusqu'où l'optimisation fiscale est-elle acceptable et quand les pratiques tombent-elles dans le registre de l'évasion fiscale ? Bruxelles veut aller plus loin dans la transparence sur les dispositifs de contournement des impôts, un an après les révélations des Panama Papers : Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et aux Douanes, a présenté ce mercredi une proposition instaurant de nouvelles règles pour les intermédiaires en matière de « planification fiscale. »

Sont concernés les banques, les avocats, les comptables, les conseillers fiscaux, pour les entreprises et les particuliers.

 « Aujourd'hui, nous nous concentrons sur les professionnels qui encouragent les pratiques fiscales abusives. Les administrations fiscales devraient disposer des informations dont elles ont besoin pour contrecarrer les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif », a expliqué Pierre Moscovici.

« Notre proposition fournira une plus grande sécurité aux intermédiaires qui respectent l'esprit et la lettre de notre législation et rendra la vie très difficile à ceux qui ne le font pas.»

Les agents sportifs seront aussi concernés, a-t-il précisé lors d'une conférence de presse. Une allusion aux montages de certains footballeurs professionnels, comme Lionel Messi, condamné pour fraude fiscale par la justice espagnole pour avoir dissimulé les gains de ses droits à l'image dans un réseau de sociétés-écrans au Royaume-Uni, en Suisse, au Belize et en Uruguay. Ronaldo est convoqué fin juillet par la justice espagnole pour être mis en examen pour fraude fiscale dans le cadre d'un montage similaire, après des révélations des "Football Leaks".

Sanctions dissuasives

Concrètement, ces intermédiaires seront tenus de déclarer à leur autorité fiscale tout dispositif transfrontières ayant un certain nombre de caractéristiques (l'utilisation des pertes pour réduire la charge fiscale, le recours à des régimes fiscaux spéciaux favorables, le passage par des pays ne répondant pas aux standards internationaux de bonne gouvernance) dans les cinq jours suivant la mise en place du montage. Soit très en amont. Si l'intermédiaire est tenu au secret professionnel ou n'est pas établi dans l'Union, ou s'il s'agit d'un montage réalisé en interne, ce sera au particulier ou à l'entreprise bénéficiaire de le déclarer.

« Les Etats membres seront tenus d'appliquer des sanctions efficaces et dissuasives », écrit la Commission dans son communiqué.

Libre à eux cependant de décider du type de sanction.

Une base de données centralisée permettra aux Etats membres d'échanger automatiquement les informations qu'ils reçoivent. Un élément clé du fait de la complexité des montages, passant par plusieurs juridictions, comme le "double irlandais" et le "sandwich hollandais" dont sont friands les géants du Web. L'objectif est de « détecter suffisamment tôt les nouveaux risques d'évasion et de prendre les mesures pour neutraliser les dispositifs dommageables » : les Etats pourront cibler leurs audits et traiter les failles dans la législation. Le but est aussi dissuasif.

« Aujourd'hui, nous proposons de mettre devant leurs responsabilités les intermédiaires qui créent et vendent des dispositifs d'évasion fiscale. Au bout du compte, les recettes fiscales des États membres s'en trouveront accrues », fait valoir Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, en charge des services financiers.

La mort des intermédiaires ?

A ceux qui estiment que sa mesure va assassiner ces intermédiaires, l'ex-ministre de l'Economie a répondu :

« Nous n'attaquons pas une profession en particulier, nous demandons simplement à ces professionnels de travailler de façon transparente. »

Il faut selon lui « faire évoluer le modèle économique de ces activités les pratiques ». S'il n'y a pas de seuil spécifié sur les montants, la Commission précise que ce sont les situations à haut risque, et non les PME ou les particuliers sauf très fortunés qui sont concernés. « En pratique, l'obligation de déclaration n'affectera que les plus grandes entreprises contribuables et les très grandes fortunes », assure la Commission.

La Commission rappelle que l'évasion fiscale prive les budgets des Etats membres de 50 à 70 milliards d'euros de recettes par an, selon une étude du Parlement européen.

La proposition, qui prend la forme d'une modification de la directive sur la coopération administrative, sera soumise au Parlement européenne pour consultation et au Conseil pour adoption. Ces nouvelles obligations déclaratives devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2019. Les Etats membres seraient alors tenus d'échanger automatiquement leurs informations tous les trois mois.