« Il faut un marché mondial des droits à polluer »

Par Propos recueillis par Ivan Best  |   |  924  mots
Christian Gollier est professeur invité de l'université de Columbia et de la Toulouse School of Economics.
[ La #COP21 des économistes 1/4 ] Les économistes spécialistes du climat ne croient pas outre mesure à la méthode employée par la COP21. La plupart militent pour la mise en place d'outils permettant de faire émerger un prix du carbone. Le seul moyen d'inciter fortement entreprises et consommateurs à changer leurs habitudes. "La Tribune" a questionné quatre spécialistes, pour quatre approches différentes. Aujourd'hui, Christian Gollier, professeur invité de l'université de Columbia , Toulouse School of Economics.

LA TRIBUNE - Vous défendez la nécessité d'un prix mondial, unique, du carbone. N'est-ce pas un peu théorique et utopique ? D'autres solutions ne sont-elles pas envisageables ?

CHRISTIAN GOLLIER - Le point de départ, c'est tout simplement le principe du pollueur-payeur. Si j'utilise ma voiture plutôt que les transports en commun, j'intègre dans mon choix le prix de l'essence consommée, mais pas les dommages environnementaux que je vais provoquer pendant mon trajet. Des dommages qui concernent toute la planète. Le meilleur moyen d'inciter les gens à ne pas provoquer ces dommages, c'est de leur en faire payer le prix. Et pour que cela fonctionne, puisqu'il s'agit d'un sujet qui concerne toute la planète, il faut que tout le monde paie.

Tous les économistes sont peu ou prou d'accord avec l'idée d'un prix du carbone. Mais beaucoup contestent celle d'un prix unique à travers le monde. L'argument de vos détracteurs, c'est que les pays pauvres ne peuvent assumer un prix élevé du carbone, déconnecté de leur niveau de vie...

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la lutte contre le changement climatique ne peut fonctionner si la pollution est plus taxée ici que là. C'est pourquoi il faut un prix mondial, qui peut être atteint via l'instauration d'un marché de droits à polluer. Comment répartir ces droits ? Dans l'idéal, à moyen-long terme, dix ou vingt ans, le mécanisme devrait être fondé sur un principe éthique : un droit d'émissions de carbone équivalent pour chaque habitant de la planète. Ce pourrait être un permis d'émissions attribué gratuitement, équivalent à cinq tonnes de CO2 par an et par individu. Pourquoi certains auraient-ils plus le droit de polluer que d'autres ?

Oui, mais s'il aboutit à un prix unique dans le monde, de 30 euros la tonne de carbone, puisque cela semble être l'objectif, comment les pays pauvres pourront-ils faire face à un tel coût de l'énergie ? Selon l'économiste Olivier Godard, il faudrait effacer intégralement les inégalités économiques de développement pour qu'un prix unique maximise le bien-être mondial...

Absolument pas. Je ne crois pas qu'Olivier Godard ait tout compris. Le système que je propose est parfaitement juste pour les pays pauvres. Quel est le mécanisme ? L'émission de carbone, dans beaucoup de ces pays, est - c'est un ordre de grandeur - de deux ou trois tonnes par an et par habitant. Or, des droits d'émissions leur seraient attribués gratuitement, comme partout ailleurs, à hauteur de cinq tonnes pour chaque personne. Les trois tonnes non « consommées » pourraient être revendues sur le marché, cela constituerait un revenu non négligeable pour ces économies. Sans que les incitations à moins polluer disparaissent : si des efforts sont faits pour ramener les émissions de deux à une tonne par habitant, c'est autant de revenu supplémentaire, via la vente des droits.

Avec ce système, les Américains devraient payer beaucoup, avec des émissions bien supérieures aux cinq tonnes que vous évoquez, autour de 20 tonnes...

C'est bien le problème. Voilà pourquoi je pense que cet idéal n'est atteignable qu'à long terme. Dans l'immédiat, l'allocation des permis d'émissions devrait faire l'objet d'une négociation internationale.

Est-il plausible de convaincre le monde entier d'intégrer ce système ? Qui le gérerait, du reste ?

Il pourrait être géré par une organisation internationale, attribuant les droits à polluer. Quant à convaincre tout le monde, c'est bien sûr difficile. Mais il est envisageable, dans un premier temps, de constituer des coalitions climatiques, regroupant des pays acceptant de jouer le jeu de la lutte contre le changement climatique. Du coup, les industries opérant ailleurs, dans les pays refusant ce prix du carbone, seraient de fait avantagées. Il est possible de contrer cela : il faudrait que les pays vertueux taxent à l'importation les produits provenant des zones non coopératives. L'économiste William Nordhaus estime qu'une taxe de 5 % sur ces produits suffirait à égaliser les conditions de production dans le monde : les industriels opérant dans les zones sans prix du carbone n'auraient plus d'avantage sur ceux présents dans les pays vertueux. Bien sûr, ce devrait être coordonné avec l'Organisation mondiale du commerce, je ne propose pas là de revenir à des politiques protectionnistes régressives...

Pour donner un prix au carbone, le marché de droits à polluer est-il plus efficace qu'une taxe ?

En théorie, c'est équivalent. Mais une taxe suppose une procédure plus lourde, un nombre de votes considérable dans tous les parlements. Au niveau européen, il aurait fallu l'accord de tous les pays, alors que le marché de droits à polluer qui a été instauré n'a nécessité qu'une majorité qualifi ée.

Justement, ce marché européen ne fonctionne plus depuis le début de la crise, le prix du carbone y ayant chuté...

Il ne fonctionne plus, mais pas pour des raisons techniques. Devant l'effondrement des prix lié à la crise de 2008, on aurait pu imaginer des achats de droits par la BCE, par exemple, pour faire remonter les cours. Mais l'abandon de ce marché a été une décision politique, liée à l'absence totale d'engagement de la part des autres zones économiques. On ne peut pas taxer l'industrie européenne si les mêmes productions sont exonérées ailleurs, en Chine par exemple.

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