"Il faut faire durer au maximum les centrales nucléaires"

Par Tiphaine Honoré  |   |  885  mots
Pour François Lévêque des Mines ParisTech, prolonger au maximum la durée de vie des réacteurs nucléaires reste le moyen le plus économique de produire de l'électricité.
Le coût de production de l'électricité nucléaire a bondi de 21% depuis 2010, selon la Cour des Comptes. Pourtant, selon François Lévêque, professeur d'économie industrielle à l’École des Mines, les centrales nucléaires resteraient le moyen de production le plus économique car leur coût est aujourd'hui amorti.

Les politiques ont beau s'agiter en faveur d'une transition énergétique, la France reste contrainte par ses choix industriels passés : ceux du tout nucléaire.  Sa part représente aujourd'hui 75% de l'électricité produite dans l'Hexagone, mais, selon la Cour des Comptes, ses coûts de production se sont envolés de 21% en trois ans. Malgré tout, prolonger au maximum la durée de vie des réacteurs nucléaires serait encore le moyen le plus économique de produire de l'électricité, du moment que les centrales ont été inspectées et validées par l'Autorité de Sûreté du Nucléaire (ASN), pense François Lévêque, professeur d'économie aux Mines ParisTech et auteur de Nucléaire On/Off, aux éditions Dunod

La Tribune. Entre 2010 et 2013, le coût de production pour EDF de l'électricité nucléaire est passé de 49,5 euros à près de 60 euros le mégawatt/heure (MHw). Cette forte augmentation était-elle prévisible?

François Lévêque. Oui, car l'ensemble des coûts d'exploitation ont augmenté, y compris les impôts et les taxes prélevées sur les tarifs d'électricité qui ont progressé de 33%. L'autre explication réside dans la hausse des coûts de maintenance pour conserver les réacteurs en état de marche et améliorer leur sûreté. Car l'ASN vérifie régulièrement leur état pour prévenir des éventuels risques et préconisent des améliorations. Ces investissements dans l'entretien sont très importants dans le budget d'EDF : 4 milliards d'euros en 2013. L'entreprise se prépare au prolongement de la durée de vie de ses centrales, et pour cela elle remplace d'énormes éléments comme les générateurs de vapeurs. Il faut changer de nombreuses pièces vieillissantes. Pour vous donner une idée, la moyenne d'âge actuelle des réacteurs est de 28 ans... 

Mais au vu de ces coûts si importants, le nucléaire reste-t-il l'énergie la moins chère ?

C'est le mégawatt/heure (MWh) le meilleur marché. Même avec les récentes augmentations, produire un MWh avec le nucléaire coûte selon la Cour des comptes 60 euros, contre 90 euros pour l'éolien terrestre, 120 euros pour l'éolien offshore et entre 150 et 250 euros pour le MWh venant du solaire. Tout simplement car ces installations sont encore trop récentes pour être rentables. Si on produisait de l'électricité nucléaire avec des structures neuves, il en coûterait de 90 à 120€ du MWh.

Le nucléaire reste compétitif car les investissements réalisés dans le passé ont été largement amortis. C'est comme un bonne voiture d'occasion, ça coûte moins cher de la faire durer que d'en racheter une neuve. Si on veut faire le plus d'économies, il faut fermer les centrales le plus tard possible. Par contre, si l'on devait remplacer chacun des anciens réacteurs par des neufs, le coût de construction serait très élevé.

Ce qui est fait aujourd'hui, c'est qu'on adapte progressivement l'ancien pour le faire durer. Bien sûr, cela ne pourra pas continuer éternellement. Un jour, dans 50, 60 ou 80 ans, l'ASN exigera la fermeture des vieilles centrales ou réclamera des travaux pour le maintien de la sûreté, correspondant à un montant tel d'investissements qu'ils réduiraient drastiquement la rentabilité du vieux nucléaire. A ce moment, il faudra les remplacer par de l'éolien, du solaire ou du gaz.

Malgré tout, les coûts de l'électricité continuent d'augmenter et vont avoir un impact sur les factures des consommateurs...

Certainement, mais ce sera très progressif. Et puis ce n'est pas forcément une mauvaise chose que les prix augmentent. Cela permet d'inciter les Français à économiser sur leur consommation d'énergie, ce qui est positif du point de vue de la planète. En revanche, l'État doit accompagner les plus démunis pour les aider à faire face à ces augmentations, en mettant en place des mesures de protection des ménages en situation de précarité énergétique. Certains foyers ne peuvent pas se permettre de voir leurs factures s'alourdir sans un soutien extérieur, surtout ceux qui vivent dans des logements qui s'apparentent à des "passoires énergétiques".

En France, les décideurs politiques ont toujours du mal à autoriser des hausses de prix pour des raisons souvent démagogiques ou électorales, au risque de creuser l'écart entre coût de production et prix de vente. Il faut faire attention de ne pas administrer des prix trop en deçà de ces coûts. La Commission de régulation de l'énergie a déjà tiré la sonnette d'alarme pour indiquer qu'ils étaient trop bas. 

De manière générale, on récolte aujourd'hui les fruits du programme nucléaire décidé dans les années 1970 qui nous permet d'avoir de l'électricité à pas cher. Mais l'État a toujours voulu que ces bénéfices aillent dans la poche des consommateurs plutôt que dans celle des actionnaires-contribuables. Je m'explique : étant donné qu'il est l'actionnaire principal d'EDF, les contribuables français le sont donc aussi indirectement. S'il avait fait le choix de diriger les profits - non négligeables- vers les actionnaires (c'est-à-dire lui même) plutôt que vers les consommateurs, cela lui aurait beaucoup rapporté.