Ce que peut (et ne peut pas) faire Hollande dans la défense

Par Michel Cabirol  |   |  1089  mots
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Le nouveau chef de l'Etat veut relancer la coopération européenne et recomposer l'industrie de la défense française. Il souhaite limiter l'influence de la maison Dassault, notamment dans le groupe d'électronique Thales.

En matière de défense, François Hollande ne sera pas un révolutionnaire... Bien sûr, le tout nouveau chef de l'Etat fera entendre sa propre musique. Notamment sur le plan industriel. Il a dit et redit qu'il souhaitait « construire une politique industrielle de Défense », qui devrait être pilotée - sauf surprise - par un fidèle parmi les fidèles de François Hollande depuis trente ans, Jean-Yves Le Drian en tant que ministre de la Défense. "Pendant cinq ans, il n'y a pas eu de politique industrielle de défense mais plutôt de l'opportunisme", estime-t-on au PS.

L'Europe, l'Europe et l'Europe

Deux axes président à cette politique industrielle. Le premier est de créer, explique-t-on, "des champions européens sur le modèle EADS" en favorisant "des rapprochements". Pour François Hollande, "l'Europe de la défense est notre horizon et notre ambition. L'alternance politique en France devra être l'occasion d'une vigoureuse relance de la construction européenne". Il faut donc, selon lui, "reprendre les travaux laissés en plan sur le concept stratégique de l'Union européenne, en envisageant de les prolonger par un inventaire des capacités et des technologies indispensables à la défense et à la sécurité future l'Europe". Trois priorités pour faire vivre ce projet européen : poursuivre les relations bilatérales avec la Grande-Bretagne, qui vient pourtant de tourner le dos à la France en interdisant au Rafale d'apponter sur les porte-avions de Sa Majesté, "revivifier" la coopération franco-allemande et favoriser les convergences avec tous les partenaires européens, notamment la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Pologne.

L'Europe est aussi le moyen (voire le seul) de faire des économies grâce à la mutualisation et à la programmation collective des équipements militaires dans les pays d'Europe et au renforcement des capacités communes. Mais pour mutualiser et rapprocher, il faudra trouver des programmes nouveaux afin de fédérer les industriels. Mais on sait aussi que les programmes en coopération, à l'image de l'avion de transport militaire A400M, sont souvent très onéreux en raison d'un découpage industriel jamais très... industriel.

Dassault dans le viseur de François Hollande

Le second axe est de limiter l'influence de Dassault sur le monde de la défense. Et François Hollande a été clair là-dessus : "Je veux une industrie de défense forte, cohérente et contrôlée. (...) Je n'entends donc déléguer à quiconque cette responsabilité de tracer l'avenir de ces grands groupes industriels de défense et certainement pas à des intérêts privés ou financiers à qui le gouvernement sortant s'est trop souvent plié. (...) Les coopérations industrielles avec des partenaires européens seront encouragées, car elles sont gages de succès futurs".

La maison Dassault est clairement dans le viseur de François Hollande. Nicolas Sarkozy avait confié au célèbre avionneur les destinées de Thales, censé devenir le pivot de la consolidation en France avec les rapprochements programmés du groupe naval DCNS et de la société publique d'armements terrestres Nexter. Selon l'entourage du nouveau président, les deux décisions prises, à savoir le contrôle de Thales par Dassault Aviation, puis l'entrée de Thales dans DCNS soulèvent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent car elles ne répondent pas à des logiques industrielles pérennes. Ces décisions relèvent plus d'une approche financière et patrimoniale qu'industrielle, selon ses proches.

Fin du pacte d'actionnaires ?

Comment réduire l'influence de Dassault Aviation chez Thales ? "Les modalités ne sont pas encore déterminées", précise-t-on. Mais une des pistes de travail s'orientait vers la rupture du pacte d'actionnaires entre l'Etat (27 % du capital de Thales) et Dassault Aviation (25,89 %). Ce qui alors marginaliserait l'avionneur au sein du groupe d'électronique. Une chose est sûre, le gouvernement de gauche ne facilitera pas la vie de Dassault au conseil d'administration de Thales. Tout sera fait pour que l'avionneur quitte de gré ou de force l'électronicien. Quid du PDG de Thales, Luc Vigneron ? Selon plusieurs sources concordantes, il pourrait être débarqué. Il serait dans le viseur de la gauche depuis un certain temps.

Le difficile chemin des économies

Confronté à une situation économique inextricable en France, la Défense n'échappera pas à de nouvelles économies. Mais peut-elle être une variable d'ajustement ? Non, a juré François Hollande mais "il y aura des efforts à faire, la situation de notre économie et de nos finances publiques nous y contraint. Il y va de notre indépendance même. La défense y contribuera dans les mêmes proportions que les autres missions de l'Etat". Faut-il toutefois rappeler que les dépenses dans la défense entretiennent une filière industrielle d'excellence en France - qui paie ensuite des impôts... à l'Etat - tant au niveau de l'emploi très qualifié et de l'innovation. Le ministère de la Défense, à travers l'activité de la Direction générale de l'armement (DGA), a investi 10,7 milliards d'euros dans l'industrie au titre des programmes d'armement et de la recherche en 2011.

"Tout l'édredon ne rentrera pas dans la valise"

Contraint de faire des économies, François Hollande va devoir arbitrer dès 2013. Et va se trouver confronté à l'expression consacrée des budgétaires quand ils évoquent les ambitions des budgets de la défense et les contraintes économiques : "tout l'édredon ne rentrera pas dans la valise". Mais entre « garder un niveau crédible de l'effort de défense » et faire des économies, le chemin est difficile d'autant que "le contexte international n'autorise aucune faiblesse", comme le rappelle lui-même François Hollande. La situation en Iran, la course à l'armement en Asie-Pacifique et l'instabilité du Proche-Orient ne lui facilite évidemment pas la tâche. Et l'influence de la France dans le monde tient surtout par son effort de défense, notamment en matière nucléaire, technologique (ventes d'armes) et opérationnel (capacité à mener des opérations extérieures de grande envergure).

Pour y voir clair, François Hollande va utiliser la bonne vieille ficelle du Livre blanc. Ce document va définir "les enjeux stratégiques" de la France, expliquait il y a peu de temps encore le candidat, qui souhaitait que soit entreprise "au plus tôt la rédaction d'un Livre blanc de la défense", suivie d'une Loi de programmation militaire avec deux objectifs : répondre aux menaces identifiées et dimensionner nos équipements aussi précisément que possible à ces enjeux.