Espace : que va faire Poutine après le nouvel échec de la fusée russe Proton

Par Michel Cabirol, avec agences  |   |  968  mots
Le lanceur Proton à Baikonour
L'espace est l'une des priorités du président russe. Vladimir Poutine pourrait à nouveau réorganiser la filière spatiale russe... un an à peine après avoir déjà limogé des hauts responsables de l'Agence spatiale russe après une série d'échecs.

C'est un coup très dur pour la filière spatiale russe. D'autant que la fusée  Proton-M qui a explosé ce mardi juste après son lancement du cosmodrome russe de Baïkonour au Kazakhstan, devait mettre sur orbite trois satellites pour le système de navigation Glonass, l'une des fiertés russes mais également un système stratégique pour le pays. La fusée Proton, dont le lancement a été retransmis en direct par l'Agence spatiale russe (Roskosmos) et la chaîne de télévision publique Rossia 24, a changé de trajectoire 16 secondes après son décollage à 02H38 GMT, car "ses moteurs ont cessé de fonctionner", selon un communiqué de Roskosmos. La fusée a presque aussitôt explosé, retombant à environ 2,5 km du lieu du lancement, selon Roskosmos.

Pourtant avec quatre succès pour autant de lancements, Proton était à nouveau redevenu fiable et, surtout, le concurrent le plus dangereux pour Ariane 5. Les difficultés de ces dernières années - Proton a connu sept échecs en sept ans - semblaient derrière le lanceur russe. Car depuis la reprise des tirs le 27 mars (avec le lancement de SATMEX 8, puis le 16 avril d'ANIK G1 et enfin le 14 mai, Eutelsat 3D), il avait réussi son quatrième lancement d'affilée. Le lanceur est exploité par la société ILS (International Launch Services), une compagnie américaine, majoritairement détenue par la société russe, Khrunichev depuis mai 2008.

Pollution toxique

Selon une source à Baïkonour citée par l'agence Interfax, un cratère de 150 à 200 mètres de diamètre s'est formé à l'endroit où est retombée la fusée. "Il semble que ce lancement va se solder par une catastrophe", avait commenté le présentateur de Rossia 24, juste avant que la fusée n'explose. "Selon de premières informations, l'accident n'a pas fait ni victime, ni dégâts", a souligné Roskosmos. Mais l'accident a provoqué une "fuite de combustible" de la fusée, a indiqué l'Agence spatiale kazakhe (Kazkosmos). Le lanceur transportait environ 600 tonnes d'heptyle, d'amyle et de kérosène, selon le patron de Kazkosmos, Talgat Moussabaïev cité par l'agence Interfax. "Un nuage de fumée provoqué par la combustion de l'heptyle s'est formé au-dessus du territoire du cosmodrome", a-t-il précisé.

Des responsables kazakhs ont indiqué que les fumées pouvaient présenter un danger pour la population locale. Les habitants de plusieurs villes aux alentours du cosmodrome ont reçu pour instruction de rester chez eux et de ne pas ouvrir leurs fenêtres, a indiqué à l'AFP une porte-parole du ministère kazakh des Situations d'urgence, Kristina Mokhamed. Une partie du personnel de Baïkonour a été évacuée en raison de ce "nuage toxique", a affirmé pour sa part une source au sein du cosmodrome, citée par Interfax.

Le directeur du centre Khrounitchev, le concepteur des fusées Proton, a toutefois minimisé les risques de pollution toxique provoqués par cet accident. "Il pleuvait au moment de l'explosion. Cela va réduire considérablement la zone de pollution. Actuellement (...) le nuage s'est pratiquement dissipé", a déclaré Alexandre Seliverstov, qui a assisté au lancement à Baïkonour, selon l'agence publique russe Ria Novosti.

Une série d'échecs

Une commission spéciale dirgiée par le chef de Roskosmos, Alexandre Lopatine, a été créée pour enquêter sur la catastrophe. Le porte-parole du Kremlin a indiqué que le président Vladimir Poutine avait été informé de l'accident mais qu'il était trop tôt pour l'heure pour tirer des conclusions. Le ministre kazakh des Situations d'urgence Vladimir Bojko a déclaré lors d'un conseil des ministres que selon de premières informations, l'accident a été provoqué par la panne d'un moteur du premier étage de la fusée.

La Russie a connu ces dernières années une série d'échecs dans ses lancements de satellites ou de véhicules-cargo vers la Station spatiale internationale (ISS). En décembre 2010 déjà, trois satellites Glonass lancés à partir d'une fusée Proton étaient retombés dans l'océan Pacifique après l'échec de leur mise en orbite, provoqué par une surcharge de carburant dans le lanceur. Le système Glonass a été conçu par la Russie pour rivaliser avec le système de navigation américain GPS et le futur système européen Galileo. Cette perte ayant retardé d'au moins un an la mise en service du système Glonass. L'agence spatiale russe avait été très sévèrement critiquée après cet échec.

Un secteur stratégique pour Poutine

L'espace est l'une des priorités de Vladimir Poutine, qui avait annoncé mi-avril un investissement colossal de 1.600 milliards de roubles (39,6 milliards d'euros) dans les programmes spatiaux d'ici à 2020, lors d'une visite sur le site de construction du cosmodrome Vostotchny, à la frontière chinois, lequel doit être achevé en 2015 pour permettre à la Russie de disposer d'une alternative au cosmodrome de Baïkonour, qu'elle loue au Kazakhstan jusqu'en 2050, pour mener des missions d'exploration vers la Lune et l'espace intersidéral.

En 2012, après une nouvelle série d'échecs, il avait limogé le dirigeant d'un des principaux centres spatiaux du pays alors que le pouvoir russe avait entrepris de reprendre en mains ce secteur stratégique. Vladimir Poutine avait ordonné de "libérer de ses fonctions le directeur général du centre Khrounitchev de recherche et de construction spatiale, Vladimir Nesterov", qui dirigeait depuis 2005 le centre public Khrounitchev, selon le texte du Kremlin. Lors d'une réunion dans la foulée avec le chef de l'agence spatiale russe Roskosmos, Vladimir Popovkine, il avait également ordonné la restructuration du secteur. Khrounitchev produit notamment le lanceur lourd Proton, un des piliers du domaine spatial russe avec le célèbre lanceur Soyuz, chargé notamment des vols habités.