Ariane 6 sera aussi le temps du sang et des larmes...

Par Michel Cabirol  |   |  690  mots
3,2,1... Mise à feu par les ministres en charge de l'espace à Luxembourg d'Ariane 6, qui va succéder à Ariane 5
L'Europe tient son nouveau lanceur européen, qui devrait voler en 2020. D'ici là, la filière lanceur va se restructurer de façon, très, très sévère.

Ariane 5 est morte, vive Ariane 6. Le progamme Ariane 6 est désormais sur orbite au niveau politique. Aux industriels maintenant de prouver qu'ils sauront faire en temps et dans les prix. Les ministres européens de l'Espace ont fait le job. Ils sont parvenus mardi à Luxembourg à un accord "historique" pour construire le futur lanceur européen, qui sera plus compétitif, s'est réjoui la secrétaire d'Etat française à la Recherche Geneviève Fioraso. Ariane 6 devrait voler dès 2020, a-t-elle annoncé."C'est un succès, j'ose même dire un grand succès", a déclaré à l'issue d'une réunion des ministres européens de l'Espace le directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), Jean-Jacques Dordain.

Mais Ariane 6, faut-il le rappeler, sera aussi le temps du sang et des larmes pour la filière lanceur, qui va être très durement restructurée par les industriels, qui ont pris le pouvoir. "Dans l'exposé du projet, il est clairement affiché l'ambition de réduire de 40 % les coûts", a rappelé les syndicats FTM-CGT du secteur spatial. Le CNES l'avait lui annoncé très tôt, en janvier 2013 : faire reculer les coûts opérationnels de 40 % par rapport à Ariane 5.

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Tom Enders a déjà un sécateur en main

Tom Enders est lui déjà dans les starting-blocks. Rappelant qu'Airbus et le motoriste Safran avaient "uni leurs forces" dans le secteur des lanceurs avec la coentreprise créée par les deux groupes, le patron d'Airbus Group a toutefois estimé lundi nécessaire d'aller encore plus loin. Comment ? En expliquant qu'il fallait "se détacher des méthodes actuelles de travail car c'est une condition préalable pour la future compétitivité de l'activité spatiale européenne". Et de préciser que "nous devons également transformer la manière d'opérer des agences spatiales et leur façon d'interagir avec l'industrie".

Pourquoi toute cette restructuration ? Pour contrer Falcon 9 de l'américain SpaceX, soulignent tous les responsables politiques, étatiques et industriels de la filière. La décision de réorganiser la filière spatiale repose pourtant sur ce postulat de départ très discutable. Avec l'arrivée de SpaceX, tous les acteurs ont sciemment mélangé coût de production et dumping, selon leurs intérêts. Le rapport de la NASA est pourtant clair : le coût moyen de fabrication et de lancement d'un Falcon 9 est de l'ordre de  140 millions de dollars sur la période 2012-2020. Loin donc des prix pratiqués par SpaceX sur le marché commercial (60 millions de dollars).

Ce n'est donc pas réellement un problème de coûts de production de la filière européenne même si cela ne doit pas l'empêcher de poursuivre ses efforts d'optimisation. Mais finalement qu'importe, les industriels se sont emparés des clés de la filière lanceur. Un rêve caressé depuis si longtemps. Chapeau à eux.

Malaise dans la filière

C'est relativement passé inaperçu mais le patron d'Arianespace Stéphane Israël est passé à deux doigts d'une grève sur le pas de tir d'Ariane 5, voire d'un report d'un lancement . Au prix d'une négociation très serrée. "Les salariés n'acceptent plus la manière dont la direction traite les problèmes réels auxquels les salariés sont confrontés", notamment une "adéquation charge de travail/effectif dans un contexte de cadence en augmentation constante", a expliqué la CGC Arianespace. A suivre car la situation reste tendue au sein d'Arianespace. Mais cela augure mal des futurs efforts demandés par la société commune Airbus et Safran.

Dans une interview accordée à La Tribune, Geneviève Fioraso avait expliqué que "l'enjeu c'est la sauvegarde de la filière lanceur et des compétences associées, dans l'industrie et la recherche. Mais le marché nous oblige à évoluer. Comme dans tout changement, des craintes peuvent s'exprimer. Les salariés ont besoin d'être rassurés". Avec la décision prise au Luxembourg, la filière s'attend maintenant à être mise sous tension.