Les quatre raisons du succès du Rafale en Egypte

Par Michel Cabirol  |   |  2510  mots
Le Rafale de Dassault Aviation a décroché sa première commande à l'export en Egypte
Treize ans après la mise en service du Rafale dans la Marine, l'avion de combat tricolore a enfin trouvé une première commande à l’export, en Egypte. Le contrat, qui porte sur 24 avions, une frégate multimissions FREMM et leurs armements, pour un montant global de 5,2 milliards d’euros, a été signé ce lundi au Caire en présence du ministre de la Défense et des dirigeants des groupes concernés, Eric Trappier (Dassault Aviation) et Hervé Guillou (DCNS). Pourquoi est-ce enfin l’heure du succès pour le fleuron français de l’armement ?

Ce qui devait arriver, est enfin arrivé. En dépit du « French Bashing » souvent très franchouillard subi par le Rafale depuis des années, le dernier né des avions de combat de Dassault Aviation a logiquement trouvé son premier client à l'export treize ans après sa mise en service dans la Marine française (2002). C'est finalement l'Égypte du président Abdel Fattah al-Sissi, qui est le premier client export du Rafale. Personne n'aurait misé un euro sur l'Égypte, ne serait-ce il y a un an. Mais c'est aussi un clin d'œil de l'histoire, Le Caire ayant également été le premier client export du Mirage 2000.

Certes, le Rafale a connu bien des vicissitudes à l'étranger, souvent battu par des appareils américains (F-15, F-16, F-18 et F-35) toujours très fortement soutenus par Washington, dont l'objectif stratégique a été de couper coûte que coûte les ailes de l'avion tricolore à l'export. Car le Rafale est l'un des très rares appareils au monde à faire de l'ombre aux avions américains, dont certains sont vieillissants (F-15, F-16 et F-18) et d'autres pas encore matures (F-35).

Bref, le Rafale était toujours placé, mais jamais vainqueur jusqu'à l'Égypte... dont les États-Unis se sont - ironie de l'histoire - éloignés depuis le renversement des islamistes par les généraux. Ce dont a profité Paris pour soutenir la politique du président al-Sissi à la tête d'un pays considéré comme un des verrous majeurs face aux islamistes de tout poil. De bonnes relations qui remontent à la position diplomatique de la France avec le retour des militaires au pouvoir en juillet 2013.

En avril 2014, le ministère des Affaires étrangères rappelait que la France avait "décidé de poursuivre son dialogue politique avec l'Égypte et de maintenir, au service du développement du pays, la coopération franco-égyptienne". Contrairement aux Etats-Unis, qui ont alors beaucoup déçu les militaires égyptiens. Et Paris enfonçait le clou en mai dernier se félicitant de "l'importance d'élections crédibles et transparentes, permettant la participation de tous et répondant aux normes internationales".

1/ Pourquoi l'Égypte a voulu s'offrir le Rafale

C'est dans ce contexte que l'Égypte, qui avait besoin de renouveler une partie de sa flotte d'avions de combat, se tourne vers la France... et la Russie. En septembre, lors d'une visite au Caire du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, le président al-Sissi, lui fait part de sa volonté de s'offrir rapidement 24 Rafale. Paris joue le jeu. L'Égypte fait partie de ces pays soucieux d'acquérir un appareil certifié "combat proven" pour disposer d'un outil de puissance capable de se projeter sur un théâtre d'opérations complexe.

L'ex-maréchal ne veut pas d'un avion pour épater la galerie lors des parades militaires et de police du ciel. Car Le Caire vit sous la menace d'une Libye, qui concentre actuellement la plupart des difficultés de la région (guerre civile, trafic d'armes, immigration clandestine, radicalisme islamiste et défaillance de l'État) et qui dispose de frontières poreuses. Trop poreuse pour la tranquillité de l'Égypte. Sur RMC, Jean-Yves Le Drian a défendu ce contrat en soulignant le rôle de verrou stratégique de l'Égypte, en partie aidée pour moderniser son armée par les Emirats Arabes Unis (EAU) et l'Arabie Saoudite : "le président al-Sissi a d'abord une nécessité stratégique: assurer la sécurité du Canal de Suez par lequel passe une grande partie du trafic mondial. C'est la première raison de l'urgence d'avoir à la fois les capacités navales et aériennes pour assurer cette sécurité." Autre raison, l'anarchie qui règne en Libye où l'Égypte a bombardé lundi des positions de l'État islamique pour venger les 21 chrétiens coptes égyptiens décapités. Le contexte géopolitique a donc joué un rôle majeur dans la conclusion rapide de la vente.

En outre, Le Caire, qui a longtemps beaucoup dépendu des États-Unis pour ses achats d'armes, souhaite aujourd'hui diversifier ses approvisionnements en matériels militaires pour ne pas rester dans les mains d'une seule puissance capable d'exporter ce type de matériel. C'est donc une vraie chance pour le Rafale, qui a bénéficié de la nouvelle posture stratégique de l'Égypte. En outre, elle pourra bénéficier d'un emploi  opérationnel beaucoup plus souple pour ses Rafale que pour ses F-16. Ce qu'a pu déjà constater les Émirats Arabes Unis. Sans ses Mirage 2000-9, la chasse émiratie n'aurait jamais sans doute pu intervenir en coopération avec l'Égypte aussi rapidement en Libye contre des positions islamistes l'été dernier. Pas sûr que les États-Unis auraient donné non seulement leur accord et mais aussi dans les temps pour une opération engageant des F-16, fussent-il propriétés des Émirats Arabes Unis.

Les bonnes relations entre Paris et Le Caire ont indéniablement favorisé la signature du contrat Rafale. Jean-Yves Le Drian le reconnaissait déjà volontiers mi-septembre à l'Assemblée nationale : "L'Égypte est désireuse de travailler avec la France et notre relation est de grande qualité". Les deux pays entretiennent également une très bonne relation dans le domaine de l'armement. Ils ont notamment créé une commission militaire armement stratégie franco-égyptienne (CAMAS), qui permet chaque année aux deux états-majors de balayer l'ensemble des dossiers de coopération entre les deux pays.

Du coup, la signature du contrat Rafale va rapprocher un peu plus les deux pays. La France a réussi à verrouiller ce grand pays qu'est l'Egypte pendant 30 ans de plus dans ce qu'il a de plus stratégique et intime : sa défense. "Un partenariat qui existe déjà depuis plus de 30 ans avec les Mirages 2000, les Mirages 3. Ce partenariat est reparti pour au moins 30/40 ans...", a expliqué le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier sur RTL.

2/ Le Rafale a fait ses preuves en opérations

Les fameuses OPEX, opérations extérieures décidées par Nicolas Sarkozy en Libye, puis par François Hollande (Mali, Irak), ont été une vitrine commerciale pour le Rafale (combat proven). D'où les nombreuses expressions d'intérêt formulées par une petite dizaine de pays pour l'avion tricolore : Qatar, Inde, Émirats Arabes Unis, Égypte, Malaisie, Indonésie, Belgique et pourquoi pas la Finlande. Car l'appareil développé et mis au point par Dassault Aviation et ses partenaires au sein du GIE Rafale (Thales et Safran) a aujourd'hui atteint un degré de maturité opérationnel de très haut niveau.

Ses nombreuses interventions en Libye, où il est entré en premier dans l'espace aérien libyen, en Afghanistan, au Mali et aujourd'hui en Irak, ont été suivies avec beaucoup d'attention par la plupart des armées de l'air du monde entier. Et cela compte même si cela ne fait pas gagner un contrat à coup sûr. Rien de plus facile pour le chef d'état-major de l'armée de l'air français, le général Denis Mercier, de captiver lors de rencontres bilatérales et/ou multilatérales, ses homologues en racontant les missions de combat du Rafale dans le ciel libyen, afghan, malien et irakien. Alors que d'autres ne peuvent raconter que des scénarios de missions... Et le général Mercier a le choix. Rien que pour l'opération Harmattan (Libye), les Rafale de l'armée de l'air ont effectué 1.039 sorties pour 4.539 heures de vol tandis que ceux de la  Marine, 616 sorties pour 2.364 heures de vol. Le premier jour de guerre - le 19 mars -, les huit Rafale de l'armée de l'air ont parfaitement démontré leur parfaite aptitude à entrer en premier au-dessus d'un territoire ennemi.

"La capacité de la France à intervenir en premier, avec des matériels capables de traiter les cibles de manière précise - bien plus qu'en envoyant une centaine de Tomahawk dans la nature -, et d'y effectuer des missions longues - directement entre Saint-Dizier et le Mali - a été appréciée, avait estimé en 2013 Eric Trappier. Non seulement elle l'a été sur le plan politique - car n'importe quel pays n'a pas une telle capacité d'intervention -, mais elle l'a été aussi sur le plan des moyens matériels et de la faculté à opérer parfaitement les manœuvres. Cela s'est vu un peu partout dans le monde. L'opération au Mali a donc eu une influence positive sur l'image du Rafale, comme avant, celle effectuée en Libye".

3/ Un armement très performant

Ce qui fait la force du Rafale, outre ses capacités de détection, c'est son armement sophistiqué. L'avion de combat bénéficie de missiles extrêmement performants qui séduisent les pays intéressés. Grâce notamment à MBDA et à un degré moindre Safran avec la bombe guidée AASM Hammer. C'est d'ailleurs pour cela que Dassault Aviation empêche, - souvent avec succès -, MBDA et Safran de fournir d'autres avions de combat concurrents. Dans le cas de l'Egypte, Le Caire a obtenu l'autorisation d'acheter des missiles de croisière Scalp.

"Le Rafale est le seul chasseur au monde capable de porter 1,5 fois sa propre masse", grâce à ses capacités de 14 points d'emport, assure Dassault Aviation. Et de préciser que "deux Rafale représentent un potentiel équivalent à six avions de la classe Mirage 2000". Le Rafale a été conçu pour accomplir toutes les missions de l'aviation de combat : interception et combat air-air avec canon de 30 mm, missiles Mica IR/EM et missiles Meteor (à partir de 2018) ; appui au sol avec canon de 30 mm, bombes guidées laser GBU-12/24, bombes guidées GPS AASM (utilisés en Afghanistan, en Libye et au Mali) ; frappes dans la profondeur avec missiles de croisière Scalp-Storm Shadow (utilisés en Libye) ; attaque à la mer avec missile Exocet AM39 Block 2 ; reconnaissance tactique et stratégique en temps réel avec nacelle Areos (utilisée en Afghanistan, en Libye et au Mali) ; ravitaillement en vol d'un Rafale à un autre ("buddy-buddy") et enfin dissuasion nucléaire avec missile ASMP-A.

4/ Le Drian-Hollande, un duo de choc à l'export

Longtemps en difficulté sur le plan intérieur, François Hollande "se débrouille comme un chef" pour évoquer les dossiers export dans le domaine de l'armement avec ses homologues, explique un vieux routier de l'industrie de l'armement habitué à suivre les campagnes export. "Il a un réel savoir-faire", confirme un grand commercial, pourtant peu suspect de sympathie pour le président. Bref, François Hollande séduit les grands industriels de l'armement. D'autant que, contrairement à des pratiques encore récentes, ils estiment le climat des négociations sain. Sous-entendu sans aucune intervention d'intermédiaires plus ou moins désirés...

François Hollande bénéficie du travail en profondeur de Jean-Yves Le Drian. Le ministre de la Défense entretient de bonnes relations avec la plupart de ses homologues et des principaux dirigeants de la péninsule arabique. Sa méthode ? L'accompagnement politique. "Dès les premières rencontres, chacun doit bien jouer sa partition dans son domaine, explique-t-il. Ce n'est pas au ministre de la Défense d'arriver dans un pays avec le catalogue de produits des industriels. En revanche, je m'attache à créer une relation politique de confiance entre la France et les pays intéressés par les équipements français à travers un partenariat stratégique. Enfin, je facilite si nécessaire la mise en place d'une coopération industrielle pour réunir le maximum de chances d'aboutir à une décision favorable pour la France". Et ça marche... Depuis deux ans, les chiffres de commandes à l'export explosent : 4,8 milliards d'euros en 2012, 6,9 milliards en 2013 et 8 milliards en 2014. Un montant qui devrait être encore dépassé en 2015 avec le contrat égyptien (5,2 milliards).

Pourquoi autant d'échecs auparavant ?

Alors pourquoi tant d'échecs pour le Rafale auparavant ? Pour des raisons surtout liées au poids des États-Unis en Corée du Sud et Pays-Bas en 2002 et à Singapour en 2005. En Corée du Sud, "il faudra l'intervention de George Bush en personne lors d'une visite à Séoul quelques jours avant le choix pour que les autorités sud-coréennes choisissent le F-15", se souvient un familier de ces négociations. Car le Rafale, à la grande surprise des pilotes coréens, est largement au-dessus du F-15 lors des évaluations opérationnelles. Il est classé devant l'avion américain et déjà le Typhoon.

Mais au final, c'est bel et bien Boeing qui remporte la vente de 40 avions de combat sur des critères politiques introduits au dernier moment par les autorités sud-coréennes. Dassault Aviation déposera une plainte devant le Tribunal du district de Séoul pour lui demander de geler le processus de sélection en raison de l'iniquité de la procédure dans l'attribution de ce contrat estimé à près de 3,5 milliards de dollars. En vain.

Mais des maladresses incroyables de la France (politiques et organisationnelles) ont également été à l'origine de l'échec commercial du Rafale. Paris a mené des campagnes politico-commerciales prometteuses mais gâchées au final par des décisions contraires à la vente du Rafale. Notamment au Maroc (2007), en Suisse (2011) et au Brésil (2013). Au Maroc pourtant prêt à s'offrir l'avion de combat français, la France n'a pas su répondre à temps à une demande de financement pourtant récurrente du royaume pour l'achat de 18 Rafale (2,1 milliards d'euros). Et les États-Unis s'engouffreront dans la brèche faisant une proposition moins chère que celle des Français dépassés. Avec succès.

En Suisse, alors que Dassault Aviation croit dur comme fer à un premier succès export, Nicolas Sarkozy douche tous les espoirs de l'avionneur en accusant Berne d'être toujours un paradis fiscal, lors du G20 à Nice en novembre 2011. Furieuse la Suisse, pourtant elle aussi intéressée par le Rafale, lui préfère fin 2011 le Gripen, pourtant classé bon dernier lors des évaluations de l'armée de l'air suisse.

Enfin, au Brésil, la relation entre le président brésilien Lula et Nicolas Sarkozy est excellente jusqu'en 2010. Mais mi-2010, Paris ne soutient pas Brasilia, qui attendait pourtant l'aide de la France, sur le dossier du nucléaire en Iran. Lula, qui était deux doigts d'acheter 36 Rafale en 2009, en prend ombrage. En outre, Paris ne soutient pas non plus Lula empêtré dans une négociation difficile entre le Brésil et l'Union européenne sur un dossier concernant l'exportation de volailles. Enfin, d'autres raisons un peu plus occulte ont également été avancées. Des raisons qui empêcheront le Rafale de voler dans le ciel brésilien.

Reste enfin le Qatar, et un jour l'Inde, avec qui les négociations trainent en longueur pour un contrat de 126 Rafale dont la majeure partie serait produite en Inde (108 appareils fabriqués par Hindustan Aeronautics Limited). Pour Eric Trappier, ce contrat égyptien ne va pas forcément déclencher les autres, mais au niveau de l'image, "une barrière psychologique est désormais franchie"...