Comment Paris va lutter contre les survols illicites de drones

Par Michel Cabirol  |   |  1629  mots
La direction générale de l'aviation civile (DGAC) estime qu'il y aurait entre 150.000 et 200.000 drones de loisir en France, dont 98 % de micro-drones (masse inférieure à 2 kg).
Le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale recommande un nouveau cadre juridique pour mieux lutter contre les survols de zones sensibles par des drones.

C'est jusqu'ici un échec pour le gouvernement. Un échec qui ne pouvait perdurer tant les survols de zones sensibles, notamment de centrales nucléaires, par des drones non identifiés est jugé intolérable dans le contexte actuel de menace terroriste. Pour trouver des solutions, une mission a été confiée au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN). Et le constat du SGDSN est sans appel. "La multiplication des survols de zones sensibles, à partir de l'automne 2014, a mis en évidence l'utilisation croissante de l'espace aérien par ces appareils et la difficulté des services de l'État à faire respecter les interdictions de survols existantes ainsi qu'à identifier les contrevenants", a confirmé le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, Louis Gautier.

Dans ce contexte tendu, 78 survols illégaux de drones ont été répertoriés par le SGDSN entre le 10 septembre 2014 et fin août 2105, dont 49 au-dessus d'installations nucléaires, 13 en environnement urbain, 9 sur des sites militaires, 6 sur des complexes industriels, et, enfin, 1 à proximité d'un aéroport. Et le problème risque de s'accentuer avec l'essor programmé de la filière drone, en dépit des lourdes contraintes réglementaires qui pèsent déjà sur ce secteur.

Selon le rapport du SGDSN, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) estime qu'il y aurait entre 150.000 et 200.000 drones de loisir en France, dont 98% de micro-drones ayant une masse inférieure à 2 kg. Ce qui génère environ 3.000 emplois dans le domaine du drone professionnel à fin 2014. La flotte mondiale de drones civils est évaluée à environ 1 million d'unités à la fin 2015, dont 300.000 vendus durant cette seule année.

Des drones à des fins d'espionnage et de terrorisme

Pour le SGDSN, le défi est double. Comment trouver des solutions pour mieux contrôler ce marché sans en entraver la croissance. Pour le SGDSN, il est clair que "le défaut de maîtrise ainsi que les agissements malveillants commis à l'aide de drones aériens civils" ne peuvent perdurer. Car les drones, qui peuvent être aussi bien utilisés pour capter des informations (espionnage) que pour des actions terroristes, "constituent potentiellement un risque pour les personnes, les biens et la protection du secret de la défense nationale ou de la vie privée".

"Un drone peut être utilisé pour porter directement atteinte aux personnes, pour blesser ou pour tuer, qu'il s'agisse ou non d'action terroriste, affirme le SGDSN. Cette menace peut viser des personnalités ou, lors d'un rassemblement, les forces de l'ordre ou la foule. Les drones civils peuvent en effet être facilement détournés de leur usage pour servir d'arme par impact direct ou pour transporter des charges létales explosives, radiologiques, bactériologiques ou chimiques (ERBC). Et le SGDSN de rappeler que "le 26 janvier dernier, un petit drone a survolé la Maison Blanche à Washington, avant de s'y écraser. Au Japon, en avril 2015, un drone transportant du sable radioactif, en quantité insuffisante pour présenter un danger, s'est posé sur le toit de la résidence officielle du Premier ministre japonais Shinzo ABE à Tokyo".

En dépit de ces menaces, les forces de l'ordre ont de réelles difficultés pour constater les infractions, identifier et sanctionner leurs auteurs. Cela peut "donner le sentiment d'une impuissance à réagir face à des actions provocatrices, illégales, voire dangereuses", estime le SGDSN. Plus précisément, le survol de sites sensibles par des drones non identifiés depuis l'automne 2014 démontre, selon le SGDSN, que "la réglementation en vigueur est inadaptée et doit être réformée pour mieux prévenir et contrer les actes malveillants".

Ce qui est vrai pour la France, l'est également pour un certain nombre d'autres pays, y compris aux Etats-Unis où 650 incidents impliquant des drones à proximité de plateformes aéroportuaires ont été recensés entre janvier et août 2015 (soit près du triple par rapport à toute l'année 2014).

Vers un nouveau cadre juridique

Le SGDSN constate que l'actuel cadre juridique présente "de nombreuses limites", notamment "la notion de drone n'existe pas dans le droit positif, ce qui ne permet pas l'application d'un ensemble cohérent de règles à ces aéronefs particuliers". En outre, en matière de détection, les micro-drones (moins de 2 kg) et les mini-drones (moins de 25 kg), qui représentent la grande majorité des survols, ne sont pas vus des systèmes actuellement en service, en raison de leur petite taille, de leur faible vitesse et de leur signature radar réduite. Pour neutraliser ces drones de faibles dimensions, les armes à la disposition de la défense aérienne sont inadaptées.

Le SGDSN recommande donc une évolution de la réglementation en vigueur. Ce qui permettrait "de mieux encadrer l'usage des drones". L'aménagement du dispositif actuel implique la réforme de plusieurs codes et doit être mené en concertation avec des pays partenaires et au sein des instances internationales. "Cette adaptation doit viser principalement deux buts : responsabiliser les usagers et identifier les usages, explique le SGDSN. Pour contrer la menace asymétrique que peuvent représenter les drones de faibles dimensions, la réponse des pouvoirs publics français, qui sera mise en œuvre notamment au travers d'une nouvelle législation, doit être multiple afin de maximiser son efficacité".

Ce cadre juridique rénové devrait conduire à la réduction des difficultés engendrées par la méconnaissance des règles applicables par les utilisateurs de drones de loisir. Il devrait permettre aux pouvoirs publics de distinguer plus rapidement un drone malveillant d'un drone régulier et, donc, d'agir plus efficacement contre le premier.

Quelles solutions?

Selon le SGDSN, une première étape consiste à réviser, avant la fin de l'année 2015, les deux arrêtés édictés en 2012 qui réglementent l'utilisation de l'espace aérien par les drones. Il recommande également de nouvelles obligations pour que les utilisateurs de drones connaissent mieux le cadre juridique et pour faciliter le travail de la police du ciel et des forces de sécurité publique face aux survols illicites.

"Les pistes d'évolution, issues d'un travail de concertation interministériel mené avec les différentes parties prenantes, explorent quatre directions :  l'information de l'ensemble des utilisateurs, la formation des utilisateurs de loisir, l'immatriculation et l'enregistrement, le signalement électronique et lumineux.

Par ailleurs, les notions de drone et de télépilote vont être précisées juridiquement. Pour permettre la mise en œuvre de nouvelles obligations, deux seuils de masse sont en outre apparus pertinents au SGDSN : un seuil de 1 kg, fondé sur un critère d'emport de l'aéronef, et un autre de 25 kg.

Pourquoi ? "La capacité d'emport représentant environ 30 % de la masse totale d'un drone, à partir de 1 kg, un drone est en mesure d'emporter une grenade légère, par exemple", explique le SGDSN. Le seuil de 1 kg est également celui retenu par l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) pour différencier les drones jouets des autres engins. Sur les 200.000 drones utilisés en France, 30.000 environ ont une masse supérieure à 1 kg.

Le SGDSN recommande également que "tout pilote, quelle que soit sa nationalité et dès lors qu'il utilise, en France, un drone dont la masse est supérieure ou égale à 1 kg, pourrait être soumis à une formation en ligne". En outre, l'immatriculation, qui est une opération lourde, pourrait être restreinte aux seuls drones de plus de 25 kg et à ceux bénéficiant d'une certification aéronautique. Cette immatriculation serait réalisée par la DGAC.

Les drones de moins de 25 kg et ceux bénéficiant d'une certification aéronautique pourraient être exemptés d'immatriculation. Ils seraient simplement soumis à une procédure d'enregistrement dématérialisée. Cette dernière mesure permettrait à l'administration de disposer de données utiles sur les détenteurs de drones et l'évolution des usages.

Enfin, une réflexion interministérielle est en cours pour adapter la chaîne de décision permettant aux pouvoirs publics de réagir plus efficacement à un survol illicite. Une nouvelle organisation sera proposée, permettant de déclencher une intervention dans des délais compatibles avec un court préavis, de l'ordre de quelques minutes, face à des aéronefs de faibles dimensions.

Comment détecter, identifier et, si nécessaire, neutraliser

Afin de faciliter leur repérage, explique le SGDSN, les drones d'une masse supérieure à 1 kg vont être équipés d'un radar-balise permettant de transmettre par ondes de type GSM (Global System for Mobile communication) ou RFID (Radio Frequency IDentification) certains renseignements (identité du propriétaire, numéro de téléphone, numéro d'enregistrement du drone, coordonnées géographiques en trois dimensions de la position de l'appareil).

En dépit des efforts menés par l'Onera, avec l'aide du centre d'expertise aérienne militaire (CEAM) de l'armée de l'air, l'évaluation de 40 systèmes mis au point par vingt industriels "a montré qu'il n'existait pas encore, à ce stade, de solution intégrée capable d'assurer en propre ou de coordonner la détection de drones, leur identification et leur neutralisation", a constaté le SGDSN. À l'issue des tests, il est néanmoins apparu que les familles de systèmes les plus prometteuses sont le radar pour la détection, l'optique pour l'identification, le brouillage électronique pour la neutralisation.

"Les expérimentations méritent cependant d'être poursuivies car elles ont été menées en zone rurale, dans un environnement naturel sans perturbation. Afin de vérifier la pertinence des résultats obtenus en mars dernier, des travaux supplémentaires ont été engagés en milieu urbain où les bruits de fond et les interférences sont plus nombreux et l'horizon souvent beaucoup moins dégagé".