Défense : sans industrie forte, pas de souveraineté ?

Par Michel Cabirol  |   |  759  mots
"La souveraineté de notre système de défense se construit sur une industrie forte", estime le Délégué général pour l'armement, Laurent Collet-Billon
La France a jusqu’ici su préserver ses capacités industrielles à un niveau tout juste suffisant pour conserver une autonomie de décision. Jusqu’à quand ? Ce sera l'un des débats du Paris Air Forum qui se tiendra le 16 juin à la Maison de la Chimie avec le délégué général pour l'armement Laurent Collet-Billon, le PDG de DCNS Hervé Guillou et le PDG de MBDA, Antoine Bouvier.

Pour la France, le choix de disposer d'une autonomie stratégique de décision dans le domaine de la défense a été décidé et validé par le général de Gaulle, puis mis en musique par ses successeurs. "La souveraineté de notre système de défense se construit sur une industrie forte", résume d'ailleurs le Délégué général pour l'armement, Laurent Collet-Billon. Après plus de deux décennies de coupes claires dans les budgets militaires, la France s'est enfin décidée depuis deux ans à augmenter ses dépenses de défense afin de tenir compte du contexte géopolitique de plus en instable (terrorisme islamique, montée des États puissance comme la Russie ou l'Iran, populisme...)

Dans son discours de campagne en mars dernier, Emmanuel Macron recommande d'ailleurs "une politique de réindustrialisation de défense et de mieux sécuriser nos approvisionnements, pour garantir l'autonomie stratégique de la France". Il avait précisé que les choix d'investissements futurs seront guidés par le souci de préserver la souveraineté de la France. Cette réindustrialisation doit également permettre de limiter les dépendances de la France envers des pays tiers notamment ceux qui, comme les États-Unis, n'hésitent pas à faire de leurs équipements un moyen de pression. Les entreprises de défense devront, avec l'appui de l'État, construire un avenir sans contrainte, qui existe sur certains composants.

Autonomie de décision

Pour soutenir une armée plus resserrée mais qui doit être plus performante, comme en témoignent ses interventions sur les théâtres afghan, libyen, malien et syrien, la France a su maintenir - certes a minima - ses investissements en vue de maintenir une filière industrielle la plus autonome possible en matière d'armement. A ce prix, les forces armées françaises sont encore capables d'intervenir militairement de façon autonome sur certains conflits (Mali). En outre, cette filière technologique, qui emploie des ingénieurs de très haut niveau, a exporté sur les cinq dernières années 8,6 milliards d'euros par an en moyenne d'équipements militaires (prises de commandes), souvent vers des pays liés par des partenariats stratégiques de long terme.

D'ailleurs, l'affirmation des souverainetés sur la scène internationale à l'image de pays puissances comme la Chine et la Russie, et de certains pays émergents comme le Brésil et l'Inde doit conforter plus que jamais la stratégie de la France. Et plus encore si on observe la volonté de l'Inde et du Brésil tout comme l'Arabie Saoudite de développer une industrie nationale pour acquérir cette autonomie de décision. En outre, "les États qui s'arment dans le monde, notamment en Asie, conçoivent leurs capacités militaires comme un attribut indispensable de la puissance et comme le prolongement de leur développement économique, au service de l'affermissement de leur souveraineté sur leurs espaces", explique un rapport de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

Des investissements prioritaires

La préservation de l'ensemble des secteurs industriels critiques qui concourent à l'autonomie stratégique et à la souveraineté de la France comme la dissuasion, le renseignement et la projection, reste indispensable à la cohérence de la politique de défense tricolore. A ce titre, le ministère de la Défense a investi 10,8 milliards d'euros en 2016 pour équiper les forces. Au-delà, il doit également préparer l'avenir avec comme priorité d'investir dans la R&T via des organismes comme l'ONERA, l'Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL), le CEA Tech, et dans la R&D (DGA et industrie). En 2016, le ministère a investi 804 millions d'euros dans la préparation de l'avenir. C'est peu, trop peu. Il faut tendre vers 1 milliard d'euros de dépenses par an, comme l'a expliqué dans son programme de campagne Emmanuel Macron, voire 1,5 milliard, pour rester parmi les nations les plus performantes.

Enfin, le champ du flux numérique permet d'apporter l'information nécessaire à la décision. "Il faut aussi immédiatement s'engager à relever le défi stratégique du numérique", estime Laurent Collet-Billon. Pourquoi ? La bataille de l'information est une réalité y compris pour ce qui concerne la sécurité de ses flux. La maîtrise des réseaux d'échanges de données est donc devenue un réel enjeu de souveraineté. Car leur extrême complexité et leur croissance vertigineuse rendent les réseaux d'information plus susceptibles d'être confrontés à des agressions. C'est aussi cela la guerre de demain...