Exportations d'armes : "La France doit prendre en compte l'Allemagne" (Thomas Gassilloud, LREM)

Par Michel Cabirol  |   |  1775  mots
"La France est prête à dire dans le cadre de l'exportation des programmes MGCS ou SCAF, qu'il faut prendre en compte les intérêts et avis de l'Allemagne", a déclaré le député du Rhône Thomas Gassilloud (LREM). (Crédits : Thomas Gassilloud)
Dans une interview accordée à La Tribune, le député du Rhône Thomas Gassilloud (LREM) appelle la France à prendre en compte "les intérêts et les avis" de l'Allemagne sur le char franco-allemand du futur (Main Ground Combat System) et sur les exportations d'armes. Il appelle l'Allemagne à s'assumer elle même pour se défendre et ne plus compter exclusivement sur l'OTAN.

La Tribune : Une petite délégation de parlementaires français (1), à laquelle vous avez participé, a rencontré en Allemagne des députés de la commission de défense du Bundestag et des hauts responsables de la défense. En tant que rapporteur du budget de l'armée de terre, avez-vous le sentiment que le programme du futur char franco-allemand est "blindé" ?
Thomas Gassilloud :
Les deux pays ont bien compris que pour construire le char du futur, qui sera un système de systèmes (programme MGCS ou Main Ground Combat System, ndlr), ils ont besoin de travailler ensemble. Seuls ils ne pourront pas continuer à être dans la course dans cette filière bien que l'actuel char allemand, le Leopard, soit une réussite commerciale mondiale et le Leclerc, un très bon char. Il y a donc une nécessité et un intérêt de travailler ensemble entre Français et Allemands. Cette volonté correspond à une demande politique très forte réaffirmée par le couple Merkel/Macron, encore récemment au travers du nouveau Traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle. Au regard de l'histoire franco-allemande sur les 20 à 30 dernières années, on se rend compte toutefois que tout n'est pas toujours si simple entre les deux pays. Dans le domaine de la défense, il y a deux sujets qui méritent d'être clarifiés : celui du portage industriel entre les industriels de part et d'autre du Rhin, qui cherchent chacun à avoir leur place dans ce grand projet, et la question des exportations...

... Justement, l'arrivée probable de Rheinmetall dans ce projet ne va-t-elle pas déséquilibrer le projet du côté allemand ?
C'est effectivement un nouvel élément à prendre en compte. Au départ, il y avait KNDS qui est l'acteur franco-allemand de référence (une société à 50/50 entre Nexter et Krauss Maffei Wegmann, ndlr) mais qui doit bien prendre en compte les autres acteurs, dont Rheinmetall. Le projet de MGCS ne réussira que si tout le monde est satisfait. Il serait bien dommage de se priver également d'un acteur aussi important. L'actuelle négociation de gouvernement à gouvernement doit faire avancer ce dossier.

Mais n'y a-t-il pas un risque réel d'avoir un déséquilibre en faveur des Allemands ?
Bien sûr sachant que l'Allemagne est leader sur le projet MGCS alors que la France l'est sur le SCAF. Dans le cadre de la négociation d'Etat à Etat, la France est attentive au fait que ses intérêts industriels soient respectés. Plusieurs pistes qui sont à l'étude pour que cet équilibre soit respecté avec potentiellement d'autres acteurs qui pourraient rentrer dans le programme.

Deuxième enjeu important, l'harmonisation de la politique d'exportation des armes entre Berlin et Paris, qui est un point divergent entre les deux pays. Avez-vous le sentiment lors de votre visite à Berlin que des points de convergences peuvent être atteints ?
Parler de la question de l'exportation est effectivement fondamental avant de se lancer dans des programmes en commun. Développer et fabriquer un programme à deux veut clairement dire que chaque pays n'est plus en mesure de produire de manière autonome cet équipement sauf à dupliquer les chaines d'assemblage, les approvisionnements... Ce qui serait absolument sous-optimal. Il faut donc effectivement harmoniser les conditions d'exportation pour qu'il n'y ait pas de blocage et donc des malentendus entre les deux pays. C'est un point qu'il faut traiter rapidement. Les programmes MGCS et SCAF peuvent être des programmes accélérateurs pour aboutir à une convergence entre la France et l'Allemagne

Faut-il moderniser le traité Debré-Schmidt ?
Le Traité d'Aix-la-Chapelle, qui doit être ratifié, prévoit déjà les grandes lignes...

... Mais il n'y a rien de concret et ni de précis dans le nouveau Traité sur ce point ?
Il y a déjà un cadre global. Une des pistes est de parvenir à un Traité Debré/Schmidt 2.0, qui vise à clarifier les conditions d'export entre les deux pays, avec potentiellement un organe consultatif de gouvernance commun. Cet organisme pourrait émettre des avis sur les licences d'exportation à accorder ou pas. Ce qui aurait permis par exemple d'éviter récemment le cas saoudien où un pays de manière unilatérale à décréter un embargo. Je ne pense pas qu'on aura un rapprochement immédiat des doctrines d'export entre la France et l'Allemagne mais on peut au moins se doter d'un organe de gouvernance commun. Chacun faisant un pas vers l'autre, on peut arriver à cheminer vers quelque chose de plus acceptable.

Estimez-vous que la France soit prête à brader un pan de sa souveraineté sur les questions d'exportation ?
Non. En revanche, la France est prête à dire dans le cadre de l'exportation des programmes MGCS ou SCAF, qu'il faut prendre en compte les intérêts et avis de l'Allemagne. C'est l'une des conditions pour être plus forts ensemble mais, en aucun cas, c'est un renoncement. Il faut que les deux pays déterminent en amont les conditions sur lesquelles ils peuvent exporter. En matière d'exportation, l'Allemagne est souvent soumise à des aléas politiques car les partis majoritaires  en Allemagne ont des visions assez différentes sur ce dossier. Il y a des risques d'une moins grande prévisibilité des décisions en fonction des équilibres politiques en Allemagne. En France, un certain consensus a été établi car chacun se rend bien compte que les exportations sont une condition de notre souveraineté, mais bien entendu qu'il faut fortement les encadrer.

Sur le plan opérationnel, pensez-vous que l'Allemagne peut se montrer beaucoup plus fluide dans le cadre des opérations extérieures, qui exigent des décisions rapides ?
Cette différence de culture stratégique et de cadre institutionnel pour recourir à la force restera encore pour quelques années entre les deux pays. L'Allemagne a connu des événements dans son histoire qui la rende beaucoup plus frileuse sur le fait d'engager son armée à l'extérieur. Pour autant, je note une évolution qui semble être confortée par des sondages d'opinion : l'Allemagne est vraiment en train de prendre conscience qu'elle doit s'intéresser de plus en plus à ces sujets de souveraineté. Et fatalement l'évolution de l'opinion aura à terme une répercussion plus politique. J'ai l'espoir que les positions française et allemande qui sont très différentes, vont finir petit à petit par converger. C'est parfois le rôle du politique de brusquer l'évolution naturelle pour arriver plus rapidement à des points de convergence. Cela a été le cas avec l'euro, qui a bénéficié d'une décision politique forte.

Ce n'est pas gagné...
... Il faut pourtant le faire en ayant bien conscience où on met les pieds et les risques qu'on prend. D'où la nécessité de bien mettre les cartes sur table. Il est à noter que l'Allemagne s'intéresse aujourd'hui aussi au conseil de sécurité de l'ONU et la France s'est engagée à l'aider sans renoncer à un pan de sa souveraineté. Il y a un en ce moment l'exemple de la brigade franco-allemande, qui est engagée dans la bande sahélo-saharienne. D'un côté les Français combattent avec les forces de Barkhane avec un mandat assez offensif, et de l'autre côté, les Allemands appuient la Minusma (Mission des Nations unies au Mali, ndlr) et l'EUTM (Mission de formation de l'Union européenne au Mali, ndlr) dans le cadre de leur politique étrangère. On peut être chacun dans notre rôle, tant que ceci sont différents, mais aboutir à des objectifs communs.

C'est quand même très paradoxal...
... La brigade franco-allemande montre que le sujet n'est pas tellement d'avoir finalement l'outil mais d'avoir un consensus sur les missions qu'on lui donne. Les militaires savent travailler ensemble. Ce qui est compliqué, c'est de s'accorder sur les missions qu'on leur donne. Nous avons un héritage institutionnel différent entre la France et l'Allemagne. En France, le président de la République, chef des armées, peut engager seul la force avec un contrôle du Parlement a posteriori. En Allemagne, des discussions importantes au Parlement sont nécessaires. Mais les Allemands se rendent compte que s'ils veulent peser sur la scène internationale, il devient de moins en moins supportable d'attendre des semaines, voire des mois avant d'engager le moindre soldat sur une opération extérieure. Pour autant, il ne faut brusquer personne, il faut qu'on soit dans la compréhension mutuelle. J'ai confiance que deux pays qui sont si proches et qui ont un destin commun finiront forcément à terme par converger. La question est dans combien de temps.

La France et l'Allemagne sont-elles condamnées à s'entendre malgré leurs divergences ?
Nos deux pays sont condamnés à s'entendre pour rester dans la course. Quand on regarde la tectonique des plaques au niveau mondial, il y a les Etats-Unis, la Chine, l'Inde. L'Inde et la Chine, c'est six fois la totalité de l'Europe en termes de population. La question que nous devons nous poser : veut-on rester dans l'histoire ou l'Europe va-t-elle s'effacer. Pour rester dans l'histoire, nous avons besoin de construire et de consolider l'espace européen. D'où l'importance capitale des prochaines échéances européennes dans quelques mois.

Dernière divergence entre la France et l'Allemagne : la France croit en l'Europe de la défense, l'Allemagne en la défense de l'Europe via l'OTAN. Comment peut-on les rapprocher ?
Nous avons le même objectif commun, qui est un objectif de souveraineté de l'Europe à terme. La France et l'Allemagne partagent le fait que l'OTAN est une structure nécessaire pour des interventions à un certain niveau. L'Allemagne estime-t-elle peut-être un peu trop que l'OTAN est une structure suffisante pour défendre l'Europe mais elle se rend également compte progressivement que compter à 100% sur l'OTAN représente un risque trop important. L'Allemagne doit s'assumer elle-même compte tenu des évolutions géopolitiques des uns et des autres. Les députés allemands du Bundestag m'ont fait part de leur volonté d'augmenter le budget de la défense à 1,5% d'ici à quelques années. Ce sera une première étape avant de faire davantage. L'Allemagne a pris conscience de manière progressive qu'elle doit s'affirmer sur les sujets stratégiques et c'est une très bonne nouvelle pour l'avenir de la coopération franco-allemande et plus globalement pour l'Europe de Défense.

(1) : Outre Thomas Gassilloud, la délégation parlementaire française (Task Force MGCS) était composée de Sereine Mauborgue, députée du var (LREM), de Jean-Charles Larsonneur, député du Finistère (LREM) et rapporteur du programme 146 (Equipement des forces et dissuasion) et de Christophe Arend, député de la Moselle (LREM) et président du groupe d'amitié franco-allemande.