Exportations d'armes vers l'Arabie Saoudite : les hypocrisies de l'Allemagne

Par Michel Cabirol  |   |  478  mots
Berlin a autorisé de nouvelles licences d'exportation vers Ryad en 2018 (Crédits : Reuters)
Alors que la France et l'Allemagne doivent coordonner leur politique d'exportation d'armes dans le cadre du nouveau traité franco-allemand, Berlin joue un drôle de jeu avec l'Arabie Saoudite.

Les exportations d'armes allemandes souffrent. La valeur des licences individuelles pour des matériels autorisés à l'exportation a très nettement baissé en 2018, passant de 6,2 milliards d'euros à 4,62 milliards d'euros, selon une estimation du gouvernement fédéral en réponse en janvier à une question posée en décembre par la députée Agnieszka Brugger (Vert). Soit une chute de près de 30 %. Pour autant, faut-il mettre ce fort recul sur le compte d'une politique beaucoup plus restrictive vis-à-vis de l'Arabie Saoudite et de ses alliés, qui mènent une guerre au Yémen depuis 2015 ? Pas sûr...

Parmi les quinze principaux pays bénéficiaires de ces licences en 2018, figure en bonne place l'Arabie Saoudite en quatrième position avec 416 millions d'euros, devant le Pakistan (7e avec 174,38 millions) et le Qatar (13e avec 96,38 millions). L'Algérie est au premier rang des pays où les industriels allemands ont l'autorisation d'exporter (818 millions d'euros) tandis que la France arrive en quinzième position (85,76 millions).

Durcissement de la position allemande mais...

Il est toutefois indéniable que depuis l'affaire Khashoggi, le gouvernement allemand a durci mi-novembre sa position vis-à-vis de l'Arabie Saoudite en gelant toute nouvelle licence d'exportation vers ce pays. En revanche, Berlin n'a pas interdit la livraison des matériels, qui avaient déjà reçu une autorisation d'exportation. En théorie, les industriels pourraient donc poursuivre leurs livraisons mais, faute d'un soutien du gouvernement, ils ne veulent pas prendre le risque de le faire. Conséquence, 2,5 milliards d'euros d'équipements, dont des patrouilleurs de Lürssen, resteraient en stand-by. Des patrouilleurs que Lürssen essaie de recaser à la police maritime allemande.

Les industriels pourraient traîner le gouvernement devant les tribunaux mais Berlin prépare de très importants appels d'offres (frégates, corvettes, sous-marins, défense sol-air...). D'où la tiédeur des protestation des industriels... à l'exception de Rheinmetall dont l'un de ses anciens haut dirigeants est PDG de la SAMI (Saudi Arabian Military Industrie) qui coordonne l'industrie d'armement saoudienne. Selon l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, Rheinmetall entend exiger des indemnités.

Comment Rheinmetall contourne l'interdiction

Les groupes allemands, notamment Rheinmetall, contournent l'interdiction du gouvernement allemand. Ainsi, l'usine de munitions d'Al-Kharj en Arabie Saoudite, construite par Rheinmetall via sa filiale sud-africaine, Rheinmetall Denel Munition (RDM), continue de produire des munitions. Inaugurée en mars 2016 par le président sud-africain Jacob Zuma et le prince héritier saoudien Mohamed bin Salman, cette usine est spécialisée dans la fabrication d'obus et de bombes aéroportées pesant jusqu'à 2 000 livres, continue à tourner... Elle a la capacité de produire 300 obus d'artillerie et 600 obus de mortier par jour.

Selon le magazine Stern et le magazine-télé Report München, Rheinmetall continue à livrer des armements à Ryad par l'intermédiaire de ses filiales étrangères situées en Italie et en Afrique du Sud malgré l'interdiction explicite du gouvernement allemand.