Hélicoptères : pourquoi la Pologne se moque vraiment de la France

Par Michel Cabirol  |   |  1194  mots
Paris, qui ne croit plus à la sincérité de Varsovie, n'ira pas défendre les programmes français actuellement en compétition en Pologne.
De l'arrivée du PiS au pouvoir en Pologne à la rupture des négociations avec Airbus Helicopters, Varsovie a manœuvré pour pousser le constructeur européen à la faute.

La Pologne a déclenché une crise sans précédent entre Paris et Varsovie en rompant d'une manière très grossière les négociations exclusives avec Airbus Helicopters portant sur la vente de 50 hélicoptères Caracal (3,1 milliards d'euros)? Des sources françaises proches du dossier considèrent que la décision de Varsovie est politique et donc appelle une réaction politique. Ainsi, non seulement François Hollande a reporté sine die sa visite prévue le 13 octobre en Pologne, mais la France prépare également la remise à plat des relations bilatérales entre les deux pays. Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, qui devait aller lundi à Varsovie, a décliné l'invitation de son homologue.

"Les Polonais n'ont jamais eu l'intention de respecter l'appel d'offres et de mener à bien ce projet", affirment des sources françaises proches du dossier. "Avec cette décision (de rompre les négociations exclusives, ndlr), Varsovie a montré ses intentions réelles. C'était un plan conscient des autorités polonaises. L'intérêt de la Pologne diffère de celui du PiS. Les déclarations des officiels polonais sont au-delà de la limite du bon comportement diplomatique alors que la France a été un allié exemplaire face à la Russie".

Et heureusement que François Hollande et Jean-Yves Le Drian ne sont pas allés en Pologne cette semaine. Car Varsovie a annoncé lundi la prochaine acquisition d'appareils Black Hawk du groupe l'américain Lockheed Martin, pour équiper ses forces spéciales. Comme quoi, ce gouvernement polonais se fiche éperdument de la France, qui va en tirer les conséquences en revoyant ses relations bilatérales avec la Pologne. "Le travail a été lancé", précisent ces mêmes sources.

Varsovie a perdu la confiance de Paris

La crise entre les deux pays est profonde. Très profonde d'autant la France a perdu la confiance qu'elle avait en la Pologne. Les mêmes sources critiquent le positionnement de "passager clandestin" de la Pologne en Europe, premier bénéficiaire des fonds structurels européens (plus de 85 milliards d'euros sur la période 2014-2020).

Paris, qui ne croit plus à la sincérité de Varsovie, notamment du ministre de la Défense, ex-vice-président du PiS (Droit et justice), Antoni Macierewicz, n'ira pas défendre les programmes français actuellement en compétition en Pologne. Notamment celui pour la fourniture de sous-marins à la marine polonaise alors même qu'Antoni  Macierewicz était intéressé par le Scalp naval. Paris ne croit plus en ses chances en Pologne après le comportement "indélicat" de Varsovie. "Il n'est pas raisonnable de penser qu'il peut se passer quelque chose de positif dans ce contexte-là", affirment des sources françaises proches du dossier.

"Les relations bilatérales franco-polonaises sont gravement affectées par cette décision", expliquent des sources françaises proches du dossier. Ce qui est la version diplomatique de ce qu'on pense vraiment à Paris. On estime que les Polonais se sont vraiment moqués des Français. "Ils sont devenus fous, explique-t-on à La Tribune. Ils n'avaient pas l'intention dès le départ de boucler ces négociations. Ce gouvernement a essayé de pousser à la faute Airbus Helicopters, qui a négocié de bonne foi".

Pourquoi les Polonais se moquent des Français

Varsovie reproche à Airbus Helicopters, qui avait gagné l'appel d'offres en avril 2015, de ne pas avoir offert de compensations industrielles (offset) d'une valeur suffisante. Enfin, plus exactement les deux parties divergent sur la méthode de calcul des offset. Le constructeur européen avait remporté cette compétition face à l'italien Leonardo et l'américain Sikorsky, qui ont des usines dans les circonscriptions tenues par le PiS. D'autant que la proposition d'Airbus Helicopters avait été la seule à être conforme à l'appel d'offres de Varsovie lancé en 2014. Dès son arrivée au pouvoir en novembre 2015, le gouvernement polonais conservateur a contesté le choix de l'équipe libérale précédente en faveur d'Airbus, au nom de la défense des usines polonaises de ses concurrents.

"Lors de la dernière étape (des négociations d'offset, ndlr), Airbus Helicopters n'a pas présenté de proposition satisfaisante. Il n'a pas répondu à la position polonaise et c'est pour cela que les négociations, le contrat ont dû être arrêtés", a déclaré Antoni Macierewicz lors d'une conférence de presse. "Je voudrais que se soit complètement clair, ce n'est pas la partie polonaise qui a rompu ces négociations", a-t-il ajouté.

Pourtant Airbus Helicopters n'est jamais allé aussi loin dans les offset qu'il pouvait offrir, investissant directement dans la filière industrielle hélicoptériste polonais jusqu'à 123 % du montant du contrat (3,1 milliards d'euros). Les offset couvraient également le montant de la TVA. Du jamais vu. "Airbus Helicopters est allé plus loin que ce que l'on fait habituellement en termes d'offset", précisent des sources françaises proches du dossier. Pour mémoire, Dassault Aviation et ses partenaires industriels vont investir 50% du montant du contrat Rafale en Inde.

Enfin, ironie de l'histoire, l'Union européenne interdit dorénavant les clauses d'offset dans les appels d'offres européens. Celui de la Pologne pour acheter des hélicoptères était en fait le dernier ou l'un des derniers permettant ce type de clauses d'offset, explique-t-on de sources françaises proches du dossier.

Une négociation "erratique"

Depuis l'arrivée du PiS au pouvoir, Airbus Helicopters a subi une négociation "erratique" et "irrationnelle" expliquent des sources françaises proche du dossier. "Les négociateurs ont eu le sentiment d'être proche à plusieurs reprises d'une signature mais à chaque fois le ministère du Développement polonais est revenu avec de nouvelles exigences", précisent ces mêmes sources. Il a demandé tout et n'importe quoi au constructeur en exigeant un montant d'offset équivalent à l'achat de 70 appareils. Ce chiffre était d'ailleurs la cible initiale de l'appel d'offres polonais avant que Varsovie ne réduise le nombre de Caracal de 70 à 50.

Puis, le ministère a estimé que les offset directs participant directement à la fabrication des hélicoptères (ligne d'assemblage, transferts de technologies...) proposés par Airbus ne comptaient plus dans les négociations. Pourtant, elles participaient au développement de la souveraineté de la Pologne en matière de fabrication d'hélicoptères militaires. Les Polonais avaient notamment obtenu des transferts de technologie massifs ainsi que des transferts de propriété intellectuelle qui leur permettaient de développer sous leur responsabilité des programmes d'amélioration du Caracal. Mais les Polonais sont alors revenus avec une cinquantaine de projets (52 exactement) qui étaient "impossibles" à satisfaire.

Au sein du gouvernement, on pousse même le constructeur européen à engager une procédure juridique pour demander des dommages et intérêts à la Pologne. "Il est très largement fondé à le faire, assurent ces mêmes sources. La société peut réclamer son dû de juste droit. C'est facile à plaider à Bruxelles". Il est vrai qu'Airbus Helicopters avait déjà commencé à fabriquer plus d'une quinzaine de Caracal pour débuter les livraisons dès 2017 conformément aux exigences de l'appel d'offres. Il a également beaucoup investi pour satisfaire les exigences de la Pologne.