Mégacontrat en Norvège : quelles sont les chances de DCNS ?

Par Michel Cabirol  |   |  1373  mots
La Norvège a sélectionné le sous-marin Scorpène de DCNS face au U214 de ThyssenKrupp Marine Systems
DCNS et ThyssenKrupp Marine Systems ont été présélectionnés pour fournir à la marine royale norvégienne quatre à six sous-marins. Le chantier naval français fait figure d'outsider.

Pour DCNS, il y a le contrat du siècle en Australie, mais il y a aussi le mégacontrat en Norvège. La marine royale norvégienne, qui compte acquérir quatre à six sous-marins pour un montant évalué entre 3 et 4 milliards d'euros, a présélectionné DCNS (Scorpène Nouvelle Génération) et le chantier naval allemand ThyssenKrupp Marine Systems (U214). Le Scorpène NG reprend certaines technologies développées pour le nouveau sous-marin nucléaire (SNA) Barracuda, comme la discrétion acoustique, la furtivité et le radar.

En revanche, cruelle désillusion pour le chantier suédois Kockums (Saab) et son A26, qui n'a pas été short-listé par le ministère de la Défense norvégien. Le vainqueur de cette compétition sera choisi dès 2016, le contrat devrait être quant à lui notifié en 2017. Le ministère de la Défense a décidé "de concentrer la suite de ses travaux avec ces deux entreprises et leurs autorités nationales", a précisé un communiqué du ministère de la Défense.

"Ce processus est proche de sa conclusion et une recommandation devrait être présentée au gouvernement norvégien dans le courant de 2016. Une fois prise la décision gouvernementale, un programme d'achat formel sera présenté pour accord au Parlement norvégien", a affirmé le ministère de la Défense.

"La France et l'Allemagne figurent parmi les plus grands pays d'Europe. Une coopération avec ces pays dans les sous-marins assurera que la Norvège aura les sous-marins dont nous avons besoin", a assuré la ministre de la Défense, Ine Marie Eriksen Søreide, citée dans le communiqué. Elle a également précisé que la Norvège était "encore" dans "une phase de planification". Son ministère n'a pas précisé le nombre de sous-marins qu'il souhaitait acquérir. En revanche, Oslo vise une mise en service des premiers bâtiments à compter de 2025 au moment où les sous-marins de la classe ULA fabriqués par TKMS et mis en service entre 1989 et 1992, vont arriver en bout de course.

DCNS, l'outsider qui a des atouts

Dans cette compétition, DCNS fait figure d'outsider face à TKMS, la marine norvégienne étant culturellement proche de l'Allemagne. Surtout le chantier allemand a fabriqué puis entretenu les sous-marins des Norvégiens. D'où une certaine proximité avec l'état-major de la marine norvégienne. "La Norvège et l'Allemagne entretiennent une coopération couronnée de succès", avait expliqué dans un communiqué le ministère de la Défense norvégien en mars dernier.

Mais le groupe naval tricolore a des atouts pour créer la surprise dans les eaux glacées du cercle polaire. Il a d'abord pleinement réussi son test avec la marine norvégienne en livrant à l'heure les six patrouilleurs rapides Skjold de 50 mètres fortement armés. Ce programme a été piloté par le consortium du même nom (Skjold), regroupant DCNS qui est intervenu en qualité de co-fournisseur et d'autorité de conception du système de combat, et deux contractants locaux, le chantier naval UMOE Mandal et Kongsberg Defence & Aerospace. "Nous avons fourni un très bon travail auprès des Norvégiens", assure-t-on en interne. Le chantier français avait été également le maître d'oeuvre de la modernisation des quatorze patrouilleurs norvégiens de classe Hauk effectuée entre 1997 et 2004.

Le Scorpène reste un sous-marin très apprécié des marines étrangères avec de nombreux succès à l'export. Le Chili a été le premier pays à acquérir en 1997 ce sous-marin à propulsion classique. Puis la Malaisie en 2002 et l'Inde en 2005 ont également acheté respectivement deux et six Scorpène. Enfin, le Brésil en a commandé quatre en 2008. Soit au total 14 Scorpène vendus dans le monde entier. Tout comme pour le U214, la Norvège a tenu à choisir deux modèles de sous-marins existants pour "éviter" un développement risqué et incertain avec un possible dérapage des coûts.

Une équipe de France à nouveau en marche

Au fur et à mesure de l'avancée du programme norvégien, l'équipe de France est montée en puissance pour placer DCNS dans les meilleures conditions. Depuis plusieurs mois, les relations entre Oslo et Paris se sont intensifiées. Et pour la première fois depuis 16 ans, un ministre français de la Défense a effectué une visite officielle en Norvège. Jean-Yves Le Drian était en août 2015 à Oslo où il a pu rencontrer le Premier ministre norvégien, Erna Solberg, et son homologue Eriksen Søreide. Jean-Yves Le Drian et le roi de Norvège Harald V avaient rendu hommage en juin 2014 aux soldats scandinaves qui ont perdu leurs vies sur les plages du débarquement, à Hermanville-sur-Mer (Calvados).

En février 2015, le chef d'état-major de la Marine, l'amiral Rogel s'était lui aussi rendu en Norvège pour une visite officielle à l'invitation de son homologue le contre-amiral Lars Saunes. La marine norvégienne se montrait intéressée par l'expérience de la marine française. Enfin, trois ans plus tôt, le président François Hollande avait reçu en novembre 2012 à l'Elysée le Premier ministre de Norvège, Jens Stoltenberg. A cette époque, le ministère de la Défense norvégien avant adressé une demande d'information (RFI) aux constructeurs de sous-maris pour le renouvellement de sa flotte.

Des liens raffermis entre la marine norvégienne et française

Ces rencontres ont permis de raffermir les liens entre les deux marines. La coopération entre la Norvège et la France est exemplaire, autant sur le plan opérationnel, avec des escales régulières de bâtiments français en Norvège et des exercices militaires communs, que politique et stratégique, avec des positions très proches sur les grandes questions internationales. "Pour nous, il est important de montrer la nature de la présence militaire de la Norvège dans le Grand Nord. Nous y avons de grands territoires et surtout des ressources importantes", avait déclaré Ine Eriksen Søreide lors de la visite de Jean-Yves Le Drian. Notamment face à la Russie, dont les sous-marins patrouillent dans le Grand Nord...

La ministre avait souligné que la Norvège avait besoin que ses alliés aient, sur le plan opérationnel, une bonne connaissance des territoires du Grand Nord. La France avait dans la foulée effectué des exercices militaires dans le Nord de la Norvège, en coopération avec les forces armées norvégiennes. Ainsi, huit avions de chasse français avaient participé à l'exercice militaire "Artic Thunder" dans le Finnmark. Fin février, quelque part en mer de Norvège, le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Casabianca a retrouvé le sous-marin norvégien Utstein pour deux jours d'entrainement opérationnel. Un exercice qui a renforcé la coopération entre deux forces sous-marines alliées. "La marine norvégienne a besoin de s'appuyer sur des marines étrangères fiables et opérationnelles", note un bon connaisseur du dossier. Ce qui pourrait faire la différence entre la France et l'Allemagne..

Kongsberg au centre de l'appel d'offres

L'une des clés de cette compétition sera le système d'armes du futur sous-marin norvégien. DCNS et TKMS vont devoir travailler avec Kongsberg pour intégrer le missile anti-navire Naval Strike Missile (NSM) d'une portée de 200 km, qui a été récemment choisi pour armer les corvettes Gowind achetées par la Malaisie. Kongsberg a développé ce missile en partenariat avec EADS (devenu depuis Airbus). DCNS va également travailler avec le groupe de référence norvégien sur un système de combat amélioré à partir du Setis que le groupe tricolore a développé.

Reste enfin une inconnue. Oslo dit envisager l'achat en coopération avec des pays comme les Pays-Bas et la Pologne qui projettent également une acquisition de sous-marins. En septembre 2015, Varsovie avait proposé à Oslo de mutualiser l'achat de ses trois futurs sous-marins avec un ou plusieurs pays de l'OTAN. Une idée bien accueillie alors par la Norvège. Mais depuis la Pologne a changé de gouvernement...

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