Physique : la France (CNES et ONERA) va-t-elle ringardiser Albert Einstein ?

Par Michel Cabirol  |   |  753  mots
La mission de Microscope (CNES, ONERA), qui va durer deux ans, va peut-être révolutionner le monde de la physique en ouvrant une nouvelle fenêtre... que même Albert Einstein n'avait pu ouvrir
Lancé par Soyouz ce vendredi, la mission du satellite Microscope est une expérience de physique fondamentale. Il va tenter de mettre en tension la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein.

Tic-tac, tic-tac, tic-tac... Le lancement depuis Kourou en Guyane vendredi puis la mise en orbite à 707 km de la Terre du micro-satellite Microscope  de 300 kg par le lanceur russe Soyouz sont attendus avec beaucoup, beaucoup d'intérêt par la communauté internationale des physiciens. La mission de Microscope (MicroSatellite à traînée compensée pour l'observation du principe d'équivalence), qui va durer deux ans, va peut-être révolutionner le monde de la physique en ouvrant une nouvelle fenêtre... que même Albert Einstein n'avait pu ouvrir faute de moyens technologiques en son temps.

"Cette expérience de physique fondamentale qui est... fondamentale, va éprouver la théorie de la relativité générale", explique le président du CNES, Jean-Yves Le Gall

Le décollage du lanceur depuis le Centre spatial guyanais (CSG) est prévu à 18H02 heure de Kourou. Soyouz emportera également le satellite européen Sentinel-1B, frère jumeau de Sentinel-1A lancé il y a deux ans. Il est réalisé sous la maîtrise d'œuvre de Thales Alenia Space (TAS) Italie.

Une précision diabolique...

Le CNES, maître d'œuvre de Microscope et l'ONERA, responsable scientifique de la mission et du développement de l'instrument scientifique T-SAGE, ont relevé un véritable défi technologique. Livré en octobre 2014 au CNES, cet instrument d'un montant de 12 millions d'euros (sur une mission 130 millions d'euros lancement compris) est le cœur même de la mission de Microscope qui pourrait ouvrir de nouveaux horizons aux théories de la gravitation en trouvant une brèche dans la théorie de la relativité générale élaborée par Albert Einstein il y a un siècle. Soit une première mondiale !

Comment ? Grâce à l'ONERA, qui a développé des accéléromètres les plus précis au monde pour tester à une précision inégalée le principe fondateur de la théorie de la relativité générale appelé principe d'équivalence. Ce stress test dans l'espace est possible grâce à l'instrument scientifique T-SAGE (Twin space accelerometre for space gravity experiment). "T-SAGE est un double accéléromètre différentiel, qui permettra, grâce à sa sensibilité unique au monde, de tester le principe d'équivalence ou universalité de la chute libre à 10-15 soit 100 fois mieux que toutes les expériences réalisées sur Terre", souligne le directeur scientifique de la branche physique à l'ONERA, Pierre Touboul.

En étudiant la chute libre quasi-parfaite de deux masses de composition différente, T-SAGE tentera ainsi de déceler dans l'espace une violation du principe d'équivalence au niveau de la quinzième décimale (10-15). Soit le rapport de la masse d'une mouche minuscule de 0.5 milligramme posée sur le pont d'un supertanker de 500.000 tonnes. Une précision qui n'est possible que dans l'espace.

Un savoir-faire qui relègue les Américains derrière les Français. "Les Etats-Unis viennent voir l'ONERA, qui est le seul fournisseur au monde à fabriquer des accéléromètres de cette précision-là", affirme le chef de projet Microscope au sein de l'ONERA, Manuel Rodrigues. Le résultat pourra être vérifié sur plusieurs mois d'affilée, au lieu de quelques secondes sur Terre où le principe d'équivalence a été vérifié avec un degré de précision relative de l'ordre de la 13ème décimale (10-13) sans avoir pu violer la théorie de la relativité générale.

La France va-t-elle ringardiser la théorie de la relativité ?

La mission Microscope va peut être "violer" la fameuse théorie de la relativité du célèbre physicien en créant "une nouvelle physique", estime Manuel Rodrigues. Ce qui ouvrirait de nouveaux horizons aux théories de la gravitation. "Ce serait une surprise qu'il n'y ait pas violation", souligne-t-il. "Microscope est une fenêtre, extrêmement transparente, sur la physique au-delà de la physique actuelle", confirme Thibault Damour, de l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques.

"Le fait qu'on n'ait pas observé de violation au niveau 10-13 ne prouve pas qu'il est peu probable de trouver une violation non nulle au niveau 10-15, estime Thibault Damour de l'Institut des Hautes Etudes Scientifiques et co-président du Science Working Group de la mission Microscope.

Le satellite sera opérationnel cinq jours après sa mise en orbite et sa mission durera 2 ans. Les première données sont espérées à partir du 27 avril au centre de mission scientifique Microscope développé par l'ONERA et les premiers résultats en janvier 2017.