Pourquoi la France va armer ses drones de renseignement et de surveillance

Par Michel Cabirol  |   |  1279  mots
Les règles d'engagement des Reaper seront les mêmes que pour celles des avions de combat français Rafale et Mirage, explique le général André Lanata.
La France souhaite armer ses drones pour disposer de plus de réactivité et de rapidité opérationnelle. Selon la ministre des Armées, Florence Parly, cette décision évite le déclassement de la France.

C'était dans l'air du temps depuis plusieurs mois... La France a enfin sauté le pas. La ministre des Armées Florence Parly a annoncé ce mardi à l'occasion de l'université d'été de la défense qui se tient à Toulon, que la France avait décidé d'armer ses drones de renseignement et de surveillance actuels et futurs. A l'image du Royaume-Uni, de l'Italie, de l'Allemagne et de plus d'une dizaine d'autres nations dans le monde entier, qui ont déjà fait le choix d'armer leurs drones. Le Sénat avait préconisé en mai dernier dans un rapport d'armer les drones Reaper "pour une efficacité accrue des forces françaises en opération extérieure (OPEX)". C'est donc acté.

"J'ai décidé de lancer le processus d'armement de nos drones de renseignement et de surveillance, a annoncé Florence Parly dans le discours de clôture de l'université d'été de la défense. Les drones de surveillance apportent au combat moderne leur discrétion et leur capacité à durer sur les zones d'action. Ils réduisent les risques encourus par les équipages. Ils sont devenus des moyens incontournables dans les opérations que nous menons au Sahel, où nos Reaper permettent de surveiller, d'identifier et de suivre les cibles" (...) A l'avenir, avec la décision que j'annonce aujourd'hui, les drones armés permettront d'allier en permanence la surveillance, l'endurance dans la discrétion et la capacité de frappe, au moment le plus opportun. Ainsi, nous gagnons en efficacité et nous limitons le risque de dégâts collatéraux.

Selon le chef d'état-major de l'armée de l'air, le général André Lanata, les premiers drones Reaper Block 5 armés pourraient arriver en 2019. Il seront armés probablement par des missiles américains Hellfire ou des bombes AASM (Safran) si les Etats-Unis donnent son feu vert. "Il s'agira de les doter d'un armement guidé de précision", explique la ministre des Armées. Pour l'heure, la France n'a pas encore fait de demande officielle aux Etats-Unis. Cette décision concernera dans un premier temps les drones Reaper et, à moyen terme, le futur drone européen, qui devrait être réalisé en coopération avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne.

Eviter le déclassement de la France

Pourquoi la France souhaite armer ses drones MALE (Moyenne altitude, Longue endurance) ? Pour plus de réactivité et de rapidité opérationnelle, estiment les personnels de l'armée de l'air. "La réduction de la boucle des missions de frappe permettra d'obtenir une plus grande efficacité dans le cas de cibles susceptibles de se dissimuler rapidement ou de se déplacer vers des zones densément peuplées, estiment les auteurs du rapport sénatorial Cédric Perrin et Gilbert Roger, "Drones d'observation et drones armées : un enjeu de souveraineté". Le fait de pouvoir choisir le meilleur moment pour frapper peut également permettre de réduire le risque de dommage collatéral".

En outre, explique la ministre, "dès lors qu'il s'agit de traiter ces cibles, il faut aujourd'hui faire appel à d'autres moyens, avions ou hélicoptères de combat". Elle rappelle que "le succès de l'opération repose sur la disponibilité et la parfaite coordination de plusieurs moyens, avec des temps de déploiement sur zones importants, alors même que l'opportunité de traiter la cible est souvent fugace".

Ce nouvel usage permettra également d'optimiser l'emploi des avions de combat et leurs ravitailleurs ou hélicoptères, "plus rapides, plus puissants mais également plus lourds dans leur mise en œuvre", estime Florence Parly. Enfin, avec cette décision, la France acquiert, selon la ministre, "une capacité clé du combat de demain, comme l'ont été, à leur époque, le blindé ou l'avion". Pour elle, "la France ne saurait passer à côté sous peine de se voir déclassée". Ce ne sera pas le cas, la France montre ses muscles.

"Un drone armé n'est pas un robot tueur"

Enfin, la ministre des Armées a tenté de désamorcer les débats éthiques sur l'utilisation des drones armés. "Je veux par avance réfuter de possibles amalgames et dissiper d'éventuelles craintes. Non, un drone armé n'est pas un robot tueur. Ce sont deux systèmes qui n'ont rien de semblable". Cette décision ne change rien aux règles d'usage de la force, au respect du droit des conflits armés, a-t-elle rappelé. "Je reste plus que jamais attachée au respect du droit international et de nos engagements relatifs à la maîtrise des armements et à la préservation des populations civiles dans les conflits", a confirmé Florence Parly.

Les règles d'engagement des Reaper seront les mêmes que pour celles des avions de combat français Rafale et Mirage, explique le général André Lanata. Les équipages, qui pilotent les Reaper, y sont prêts, selon des personnels de l'armée de l'air interrogés par La Tribune. D'autant que récemment, certains équipages de drones ont assisté au Mali à une attaque de djihadistes contre des troupes de la coalition sans pouvoir réagir. Avec un drone armé, ce ne sera plus le cas.

"Les règles d'engagement pour les drones armés seront strictement identiques à celles que nous appliquons déjà, a confirmé la ministre. Qu'il s'agisse d'un canon Caesar, d'un missile de croisière, d'un Rafale : comme pour les drones, si l'opérateur est physiquement éloigné de l'objectif, l'homme n'en est pas moins au cœur de l'engagement du feu".

Des règles de transparence

Pour plus de transparence dans l'utilisation des drones armés, le rapport sénatorial préconise au ministère des Armées et/ou l'état-major des armées de communiquer pour expliquer que les éventuelles frappes de drones des armées françaises ont bien lieu en accord avec les règles de droit international applicables et sont soumis aux mêmes règles d'engagements que les autres moyens employés. Ils demandent également de communiquer au préalable sur les normes de ciblage ou après les opérations sur les frappes menées au cours de conflits. En outre, en cas d'éventuel dommage collatéral d'ampleur causé par un drone armé, les sénateurs souhaitent la publication des résultats des investigations menées, sauf considérations opérationnelles.

Les sénateurs souhaitent une discussion commune entre la France et ses partenaires "sur d'éventuelles lignes directrices communes pour l'usage des drones". Enfin, la publication des données sur l'impact et l'efficacité des attaques éventuelles de drones en termes de combattants ennemis neutralisés, sur les éventuels dommages collatéraux et les effets à long terme dans les pays concernés permettrait de désamorcer les polémiques sur l'utilisation des drones armés. La France ne pourra pas occulter un tel débat.

Six drones MALE sur 12 commandés en service

Combien de drones MALE la France possède-t-elle ? La France a prévu d'acquérir 12 drones MALE. En raison de l'urgence du besoin, c'est le système américain MQ 9-Reaper qui a été acquis sur étagère, comme nos partenaires britanniques et italiens l'avaient fait avant la France. Six drones ont ainsi déjà été livrés et les derniers le seront d'ici avant la fin de l'année 2019.

Ces systèmes sont mis en œuvre depuis 2014 par l'escadron de drones 1/33 Belfort, basé à Cognac. Ils sont déployés au Niger depuis leur arrivée dans le cadre de l'Opération Barkhane. Ils y ont déjà réalisé plus de 16.000 heures de vol et apportent des renseignements cruciaux aux opérations réalisées par les forces françaises sur ce théâtre.