Quand la France déçue s'éloigne de l'Arabie Saoudite (1/3)

Par Michel Cabirol  |   |  977  mots
Au Moyen Orient, "la France ne choisit pas un camp", a récemment confirmé de façon très claire le Quai d'Orsay.
Paris et Ryad ne sont plus tout à fait alignés sur une vision géostratégique commune de la région du Golfe. Car à être trop proche des positions saoudiennes, la France n'a pas été respectée par l'Arabie Saoudite.

Entre Paris et Ryad, c'est désormais très clair après une période d'incompréhension. Si dans un premier temps sous le quinquennat de François Hollande, la France était trop proche des attentes de l'Arabie Saoudite, qui n'a jamais renvoyé l'ascenseur, aujourd'hui, les deux pays ne sont plus tout à fait alignés sur une vision géostratégique commune de la région. Notamment sur des dossiers géopolitiques aussi explosifs tels que l'Iran, le Liban et le Qatar... Deux crises majeures ont d'ailleurs été évitées in extremis par les États-Unis notamment, car Ryad était, semble-t-il, tout prêt à en découdre avec le Qatar, puis à aller bombarder le Liban, selon plusieurs experts de la politique moyen-orientale interrogés par La Tribune, qui étaient très inquiets de la situation au Moyen-Orient.

Lors de sa visite les 15 et 16 novembre, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a rappelé à ses interlocuteurs - le roi Salman, le prince-héritier Mohammed bin Salman bin Abdul Aziz  et avec son homologue, Adel al-Joubeir - qu'il était important d'éviter "toute ingérence et de respecter le principe de souveraineté dans la région". Le patron du Quai a confirmé "l'attachement de la France à la stabilité du Liban dans ce contexte" et a appelé à trouver une "solution politique" en Syrie et au Yémen.

Une discussion musclée

Dans ces crises successives, la France d'Emmanuel Macron s'est posée en médiateur. C'est tout le sens de la visite surprise d'Emmanuel Macron à Ryad le 9 novembre, organisée sur les très bons conseils du prince héritier d'Abu Dhabi et commandant en chef adjoint des forces armées des Émirats Arabes Unis, Mohammed ben Zayed al-Nahyane, l'ami de la France dans la région. Car l'Arabie Saoudite ne comprenait plus les positions diplomatiques de la France, notamment celles sur l'Iran. Cette rencontre a donc permis de clarifier les relations bilatérales entre les deux pays, sans toutefois les aligner. Car les échanges entre le nouvel homme fort du royaume, le prince héritier et ministre de la Défense Mohammed bin Salman bin Abdul Aziz et Emmanuel Macron, qui sont pourtant de la même génération ou presque, ont semble-t-il été parfois musclés, selon nos informations.

Le prince-héritier saoudien a expliqué à Emmanuel Macron que les entreprises françaises, à l'image des groupes américains, pourraient bénéficier de contrats de la part du royaume à condition de ne pas commercer avec... l'Iran. Ce qui a visiblement fait tiquer Emmanuel Macron, qui lui aurait répondu qu'on ne parlait pas comme cela de la France. Ce qui dénote une prise de conscience de la France et une réorientation de la diplomatie française vis-à-vis de Ryad. Car pendant cinq ans, Paris a accordé un véritable blanc-seing à la politique internationale saoudienne. Trop et en pure perte malgré les promesses de contrats mirifiques promis à la France. Mais l'Arabie Saoudite n'a finalement jamais renvoyé l'ascenseur à Paris ou très peu. Il semble donc que la France se détache quelque peu de cette politique d'alignement sans faille entre Ryad et Paris.

En outre, les groupes français qui vendent en Iran ne sont pas si nombreux que cela (Total, les avionneurs Airbus, ATR, les constructeurs automobiles PSA et Renault, Orange...). En revanche, Vinci aurait jeté l'éponge sur un projet de construction d'un aéroport de province iranien en raison de pressions américaines, selon nos informations. Pour autant, les groupes américains ne sont pas en reste en Iran, à commencer par Boeing... Alors deux poids, deux mesures entre la France et les États-Unis pour l'Arabie Saoudite? La visite à Paris du prince héritier Mohammed ben Salmane prévue début 2018 pourrait être l'occasion de poursuivre la clarification des relations bilatérales entre Paris et Ryad, en général, et de la diplomatie économique française, en particulier.

Entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, la France ne choisit pas

"La France ne choisit pas un camp, a récemment confirmé de façon très claire le Quai d'Orsay. Elle parle à tous, même si elle a bien sûr avec les pays de la région des relations différentes qui ont chacune leur histoire". La France souhaite donc s'éloigner de la ligne diplomatique de François Hollande et de Laurent Fabius, qui avaient aligné la France sur les décisions géopolitiques de l'Arabie Saoudite. Paris se dit attachée à la paix et à la stabilité aux Proche et Moyen-Orient, qui est une région-clé pour sa sécurité. Ainsi, explique le Quai d'Orsay; "notre objectif premier est de trouver une solution négociée aux crises régionales et de réduire les tensions par le dialogue, dans le respect de la souveraineté de chacun". Et de marteler que le partenariat historique avec l'Arabie saoudite "ne nous interdit pas de discuter avec l'Iran qui est un acteur important".

Pour autant, la France reste partenaire et allié de l'Arabie Saoudite. La lutte contre le terrorisme et son financement sont au cœur des relations bilatérales entre les deux pays. Jean-Yves Le Drian a d'ailleurs évoqué lors de sa visite à Ryad en novembre dernier les moyens de renforcer la mobilisation commune, avec en perspective la conférence sur la lutte contre le financement du terrorisme que la France organisera au printemps 2018. La France a également condamné le tir sur le sud de l'Arabie saoudite, le 30 novembre par les rebelles houthis, d'un missile en provenance du Yémen. "Nous nous tenons aux côtés de l'Arabie saoudite face aux menaces auxquelles elle est confrontée et réaffirmons notre soutien à sa sécurité", a expliqué le Quai d'Orsay. Pour Paris, les parties yéménites doivent reprendre, sans préconditions, les négociations pour parvenir à un règlement de la crise.