Quand le CNES reconnait la réussite de SpaceX

Par Michel Cabirol  |   |  976  mots
Le lancement inaugural de Falcon Heavy a été "une réussite", selon le directeur des lanceurs au CNES Jean-Marc Astorg (Crédits : SpaceX)
Pour le directeur des lanceurs au CNES Jean-Marc Astorg, le pari technique et économique de SpaceX est en passe d'être réussi. Il demande à l'Europe de foncer sur la réutilisation.

"Elon Musk a ouvert une nouvelle voie dans le monde des lanceurs, c'est celle de la réutilisation d'éléments de fusées dans le but de réduire les coûts". A qui reviennent de tels propos ? A une groupie du milliardaire d'origine sud-africaine? Non, beaucoup mieux que cela, au directeur des lanceurs au Centre national d'études spatiales (CNES), Jean-Marc Astorg. C'est l'une des toutes premières fois où un responsable européen reconnait publiquement la réussite technique, voire économique de la réutilisation telle qu'elle est pratiquée par l'opérateur américain SpaceX.

"SpaceX a limité la récupération au 1er étage ce qui simplifie beaucoup les choses en utilisant la technique dite du "toss back", explique-t-il dans une interview publiée sur le site d'information grand public du CNES SpaceGate. Cela consiste à rallumer les moteurs pour freiner et se poser en douceur. C'est une solution qui était décrite dans les livres depuis les années 1970".

En passe de démontrer l'intérêt économique de la réutilisation

Dans cette interview, Jean-Marc Astorg reconnait ainsi "le mérite" d'Elon Musk "d'avoir démontré" que la réutilisation "était techniquement faisable et il est en passe de démontrer aussi l'intérêt économique de cette réutilisation". Et de rappeler que les premiers étages des fusées Falcon 9 "sont récupérés presque systématiquement depuis 2015".

Longtemps en Europe, les responsables politiques, industriels et institutionnels de la filière spatiale ont fait la fine bouche sur la réussite technique de SpaceX au moment des premiers succès de SpaceX quand il récupérait les premiers étages de Falcon 9. Seul Bruno Le Maire avait critiqué les choix de la filière spatiale européenne. Surtout, ils ont toujours émis des doutes de l'intérêt économique de cette pratique. Il est vrai que Elon Musk n'a jamais publié les coûts de remise en vol du premier étage de Falcon 9. Mais Jean-Marc Astorg balaie aujourd'hui les certitudes officielles.

Falcon Heavy, une réussite inaugurale

Après le lancement de Falcon Heavy début février, Jean-Marc Astorg estime que "ce lancement inaugural était une réussite" pour tout ce qui concerne "le fonctionnement global de la fusée et la mise en orbite". En revanche, selon le directeur des lanceurs au CNES, "il reste du travail pour la récupération du corps central. C'est un paramètre important car c'est ce qui va permettre de démontrer l'intérêt économique de cette fusée Falcon Heavy". Deux boosters latéraux sont bien revenus sur la terre ferme, non loin du pas de tir, mais le corps central, lui, n'a pas été récupéré sur une barge en mer comme prévu. L'objectif d'Elon Musk était également de récupérer la plus grande partie du lanceur.

Pour Jean-Marc Astorg, "le Big Falcon Rocket est un projet ambitieux de SpaceX pour aller sur Mars mais aussi pour transporter des passagers de façon extrêmement rapide sur Terre de point à point (New-York/Tokyo en une heure)". Il estime que "pour que le projet soit économiquement viable, SpaceX doit pouvoir récupérer le 1er et le 2e étage de la fusée". Or, le deuxième étage ira dans l'espace et atteindra donc les 27.000 km/h en orbite. "Il y a un vrai débat, explique-t-il, car autant on peut imaginer facilement la récupération du 1er étage (qui ne quittera pas l'atmosphère terrestre, NDLR), pour le 2e c'est une autre paire de manches. Il faudra lui faire effectuer des manœuvres de rentrée atmosphérique et aussi l'équiper avec des protections thermiques, du matériel coûteux. On verra si les promesses économiques sont tenues".

"Ce qu'on doit faire maintenant, c'est foncer !"

Face à la réussite de SpaceX, Jean-Marc Astorg préconise à l'Europe de "foncer". Le CNES a des projets pour rattraper le temps perdu même si, souligne-t-il, "nous ne misons pas tout sur la récupération". "Au CNES, nous avons bien plus qu'un projet en ce qui concerne la réutilisation, nous avons une véritable feuille de route sur laquelle nous travaillons avec ArianeGroup (l'opérateur des lancements d'Ariane, ndlr), l'ESA (l'agence spatiale européenne) et nos partenaires européens, pour étudier une famille de lanceurs deux fois moins chers que la future Ariane 6 et dont la réutilisation sera un facteur de réduction des coûts". En filigrane, le directeur des lanceurs au CNES semblerait estimer que la version Ariane 6, qui va arriver en 2020 sur le marché, est déjà hors du coup.

Au-delà d'Ariane 6, la nouvelle famille de lanceurs européens Ariane Next nécessite l'arrivée d'un nouveau moteur. En partenariat avec l'ESA et d'ArianeGroup, le CNES développe le moteur Prometheus, qui sera dix fois moins cher que l'actuel Vulcain d'Ariane 5 et qui sera conçu pour être réutilisable. "Prometheus est la pierre angulaire de nos lanceurs du futur, ce qu'on a appelé la génération Ariane Next", assure Jean-Marc Astorg.

Pour ce qui est de la récupération d'étages, le CNES et l'Onera travaillent avec l'Allemagne (DLR) et le Japon (JAXA) sur le programme Callisto, un tout petit véhicule spatial qui aura pour mission en 2020 de revenir sur terre à partir d'un lancement du Centre Spatial guyanais. Ensuite, le CNES travaille sur Thémis, un véhicule dix fois plus gros que Callisto qui pourrait être testé en 2025 avec le moteur Promotheus. "On verra ensuite si on applique cette technologie de réutilisation à Ariane 6 ou plus tard à Ariane Next", explique Jean-Marc Astorg. Pour conclure, il estime que la "feuille de route est donc claire, cohérente et partagée par nos partenaires européens". En espérant que le retard ne soit pas irrattrapable.