Ventes d'armes : la France séduit de plus en plus les pays de l'Union européenne

Par Michel Cabirol  |   |  1212  mots
Les exportations d'armements françaises à destination des pays de l'Union européenne devraient augmenter en 2019
Les exportations d'armement "Made in France" sont en progression dans les pays de l'Union européenne. Après un très bon cru en 2018, la France devrait réaliser une nouvelle très belle année en 2019. Cette orientation est-elle structurelle ou seulement conjoncturelle ?

L'année 2018 ne sera pas qu'un feu de paille en termes d'exportations d'armement vers les pays de l'Union européenne. 2019 va confirmer cette tendance. Ainsi, Naval Group a déjà décroché un important contrat de plus de deux milliards d'euros pour la construction et la maintenance de douze navires de lutte contre les mines destinés aux marines belge et néerlandaise. Le groupe naval a également été sélectionné par la Roumanie pour la construction de quatre Gowind fabriquées en Roumanie en partenariat avec le chantier SNC, basé à Constanta (est). Soit un contrat de 1,2 milliard d'euros à condition bien sûr de le signer d'ici à la fin de l'année.

Ces Gowind seront armées de missiles de MBDA : VL-Mica (surface-air) et Exocet Block 3 (mer-mer). Le missilier européen a déjà obtenu un contrat modeste portant sur la vente de systèmes de défense anti-aérienne à courte portée Mistral 3  à la Serbie. Airbus Helicopters a de son côté signé un contrat pour la vente de 16 Caracal à la Hongrie. La République Tchèque s'est offert 62 véhicules blindés low-cost Titus fabriqués par Nexter pour un montant évalué à un peu plus de 230 millions d'euros. Enfin, un consortium, réunissant Airbus et Thales Alenia Space en Espagne et en France, a été choisi par l'opérateur satellitaire gouvernemental espagnol Hisdesat pour la réalisation de deux satellites de communication sécurisée de nouvelle génération, Spainsat NG I et II (750 millions d'euros).

La barre des 25%

En 2018, la part des exportations d'armes des industriels français destinée aux pays de l'UE (commandes) a dépassé pour la première fois les 25% (2,29 milliards d'euros sur un total de 9,11 milliards). Deux pays européens, la Belgique et l'Espagne, figurent parmi les cinq premiers clients des industriels français : le contrat de vente de véhicules blindés (CaMo) dans le cadre d'un partenariat stratégique entre la France et la Belgique dans le domaine de la mobilité terrestre (1,1 milliard d'euros) et le contrat d'achat par l'Espagne de 23 NH90 (550 millions). Soit deux grand contrats en 2018. L'Italie et la Grande-Bretagne ont quant à eux dépassé les 100 millions d'euros d'achats de matériels militaires français (respectivement 115,1 millions et 111,7 millions).

"On appelle de nos vœux à plus de coopérations européennes et à un équilibre géographique mieux réparti dans nos commandes. Cela s'est concrètement vérifié en 2018", avait-on expliqué dans l'entourage de la ministre lors de la présentation des résultats de 2018.

Habituellement, les pays de l'UE ont acheté très peu à la France sur la dernière décennie. Comme en témoignent les chiffres des deux dernières années : 2016 (486,2 millions d'euros) et  2017 (512,9 millions). Sur dix ans, les exportations d'armes "Made in France" ont même atteint à plusieurs reprises le plancher des vaches : 375,6 millions en 2011, 362,9 millions en 2012 et 364,1 millions en 2014. Seule l'année 2015 (929,7 millions) se rapproche du niveau de celle de 2018. Mais c'était l'année du record pour les exportations d'armes françaises (16,9 milliards).

Des exportations vers l'UE structurelles ou conjoncturelles ?

Au-delà du socle de 360 millions d'euros d'exportations d'armes à destination des pays de l'UE sous lequel la France ne semble pas devoir descendre, Paris et ses industriels lorgnent de grands prospects européens dans les trois à venir. A commencer par Dassault Aviation avec le Rafale en Finlande (plus de 60 appareils), où le constructeur joue le jeu, mais aussi en Suisse (certes hors UE) qui a budgété 6 milliards de francs suisses. Berne devrait également sélectionner en 2021 un système de défense sol-air de longue portée (Patriot versus SAMP/T), un programme de 2 milliards de francs suisses. Naval Group vise également plusieurs grands projets, l'un notamment en Grèce (deux frégates FTI) et surtout l'autre aux Pays-Bas (quatre sous-marins).

La tendance pourrait donc rester bien orientée pour la France. A condition que les industriels de la défense français remportent une partie de ces contrats en lice. Faut-il en déduire un impact de la politique du gouvernement français sur cette évolution ? La ministre des Armées, Florence Parly, le pense. "Ce résultat (exportations d'armes française en 2019, ndlr) est d'abord la conséquence de l'orientation européenne que nous avons donnée à notre politique d'exportation. Cette année, 25% de nos exportations d'armement ont été à destination de nos partenaires européens, contre une moyenne de seulement 10% les années précédentes", a-t-elle expliqué dans le rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France.

Des outils pour acheter européen

La démonstration de Florence Parly est en partie vraie seulement. Notamment dans le cadre d'un nouvel outil mis en place pour soutenir les exportations d'armes, inspiré du dispositif américain des Foreign Military Sales (FMS). En réponse à la volonté croissante de certains États clients d'organiser leurs acquisitions via des contrats d'État à État, la France s'est donné les moyens de le faire - les contrats de partenariat gouvernemental - à l'image de son partenariat stratégique avec la Belgique dans le cadre du contrat CaMo. Il s'agit d'un accord intergouvernemental confiant uniquement à la France un rôle de mandataire pour la passation d'un marché public français au nom et pour le compte d'un pays tiers.

"Il s'agit de répondre à une volonté croissante de certains États clients d'organiser leurs acquisitions via des contrats d'État à État. Ce nouvel outil est une évolution très importante dans le domaine de la politique de soutien aux exportations : l'État suivra attentivement et étroitement, auprès des acteurs industriels, les différentes étapes des partenariats les plus stratégiques", avait expliqué début juillet Florence Parly à l'Assemblée nationale.

Le lancement en décembre 2017 d'une Coopération structurée permanente (CSP) permettant de faire émerger de grands projets fédérateurs destinés à répondre aux besoins des armées européennes ainsi que la mise en place du Fonds européen de défense (FEDef) proposé en juillet 2018 (13 milliards d'euros), constituent également de réelles avancées dans le domaine. Ces projets vont naturellement obliger les pays européens à acheter européen pour soutenir leurs industriels impliqués dans ces futurs programmes européens. "Demain, des programmes de coopération industrielle et opérationnelle rapprocheront encore davantage nos armées et nos pays, faisant de notre défense européenne une réalité. Derrière l'export, il y a la construction incessante de l'autonomie stratégique européenne", a fait valoir la ministre des Armées.

Pour autant, ces outils sont encore beaucoup trop récents pour influer sur la politique des exportations d'armements français. Très clairement, si la France exporte aujourd'hui beaucoup plus ses armes vers les pays de l'Union européenne, c'est surtout grâce à un alignement parfait des planètes pour les industriels français : renouvellement des équipements militaires des armées européennes, calendrier, adéquation des produits français à la demande. C'est la chance de Florence Parly. Ni plus, ni moins. Mais elle a d'ores et déjà su créer des outils pour que l'industrie française de défense reste performante. D'autant que les exportations restent cruciales pour le modèle économique des industriels français et a fortiori pour la souveraineté de la France.