"La nouvelle PAC continue de maintenir des fermes non-viables" (OCDE)

Par Tiphaine Honoré  |   |  979  mots
Pour Morvarid Bagherzadeh, analyste des politiques agricoles à l'OCDE, la nouvelle PAC ne va pas assez loin dans la modernisation des structures agricoles européennes.
A l'heure où l'Union européenne renouvelle son parlement, une réforme passée inaperçue en dehors du milieu agricole continue de poser question : celle de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) qui entre en vigueur cette année. Pour Morvarid Bagherzadeh, spécialiste à l'OCDE, elle rate une partie de sa cible, celle de rendre l'agriculture européenne plus compétitive.

La PAC 2014-2020 va sensiblement modifier le travail des agriculteurs européens et leurs productions. Après trois années de négociations entre les 28 pays, la nouvelle mouture revoit notamment les règles de la distribution des aides allouées aux fermiers et prend de nouvelles orientations en faveur d'un "verdissement" de leurs méthodes. Mais pour Morvarid Bagherzadeh, analyste des politiques agricoles à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), elle ne va pas assez loin dans la modernisation des structures agricoles européennes pour les rendre plus compétitives.

Selon vous, cette nouvelle PAC (2014-2020) va-t-elle dans le bon sens? 

Morvarid Bagherzadeh : La nouvelle PAC est dans la continuité des PAC récentes et va dans la bonne direction. Une évaluation de l'ensemble du dispositif serait prématuré, mais d'après les éléments dont on dispose déjà, on peut noter positivement les efforts faits pour lier les paiements aux objectifs.

Ce qui est vraiment nouveau, c'est d'abord la convergence des paiements directs, qui signifie que les montants des aides à l'hectare pour chaque agriculteur - qui sont aujourd'hui disparates- vont être mieux harmonisés. La deuxième chose nouvelle, c'est le "verdissement", qui va conditionner le versement d'une partie des subventions au respect de règles respectueuses de l'environnement [préservation de bandes enherbées, de haies et de points d'eau naturels par exemple NDLR]. Tout cela, combinés à une plus grande flexibilité offerte aux États membres pour la mise en œuvre des nouvelles règles PAC. Chaque pays pourra adapter, dans une certaine mesure, les nouvelles directives à ses propres contraintes locales. Mais le problème, c'est que cette flexibilité contredit d'une certaine façon la convergence des aides.

S'ajoutent à ces aspects importants des mesures spécifiques, qui pour certaines sont obligatoires et pour d'autres optionnelles, laissées à la discrétion des États membres. Par exemple, les gouvernements nationaux pourront simplifier les règles pour leurs petites exploitations, notamment avec une dérogation aux conditions de verdissement. Quelque part, on perd en clarté, mais c'est peut-être aussi lié au processus de décision tripartite mis en œuvre pour la première fois et le texte de consensus qui en est le résultat.

Pensez-vous que ces mesures de "verdissement" soient nécessaires pour préserver la biodiversité ou bien rajoutent-elles des contraintes trop importantes pour les agriculteurs?

Tout d'abord un constat : les mesures de verdissement n'ont pas été décidées sur la base d'un état des lieux ou d'une évaluation. Compte tenu de la diversité des terroirs agricoles européens, on pourrait regretter le fait que les mesures de verdissement s'appliquent de façon aveugle et ne tiennent compte ni de la situation environnementale locale ni des pratiques en place. Mais, là aussi, une grande flexibilité est offerte aux États membres pour leur mise en œuvre.

Jugez-vous que la nouvelle répartition des aides en France - qui devrait augmenter les subventions sur les 52 premiers hectares pour rééquilibrer les sommes entre céréaliers et éleveurs - soit une bonne mesure?

La nouvelle répartition des aides maintient dans le système agricole des exploitations non rentables et nuit à l'ajustement structurel. L'aide aux petites exploitations sera sans doute aussi accentuée par la convergence interne [celle-ci doit transférer des subventions pour que chaque exploitation agricole se rapproche le plus possible de la moyenne nationale des subventions à l'hectare NDLR]. Certains de ces objectifs relèveraient davantage de l'aide sociale que de la politique agricole.

Cette PAC remodelée, avec la suppression des quotas laitiers et sucriers, met-elle en danger les marchés agricoles européens par une dérégulation?

Au contraire, la suppression des quotas laitiers et des quotas sucriers permettra la transformation de ces secteurs et favorisera les exploitations viables et la filière agro-alimentaire. En France, celle-ci est d'ailleurs dynamique, compétitive et performante. L'action publique pourrait avantageusement éviter de créer des distorsions pour ses approvisionnements.

Justement, cette nouvelle formule va-t-elle rendre l'agriculture de l'UE plus compétitive au niveau mondial?

En dehors de la suppression des quotas, il n'y a pas de mesures particulières qui aillent dans le sens d'une plus grande compétitivité. Les restitutions aux exportations, qui auraient pu être supprimées car non utilisées récemment, sont maintenues dans l'éventualité d'une situation des marchés future, qui nécessiterait leur utilisation.

Finalement, êtes-vous favorable à plus de soutien de l'UE pour son agriculture, ou justement en faveur d'un désengagement? 

La question devrait plutôt être : "quel est le meilleur usage des fonds publics?" Est-ce investir dans l'avenir, par le soutien de la R&D et de l'innovation à l'appui d'une production de qualité et d'une filière agroalimentaire performante? Est-ce aussi mettre en place des mesures de transition pour permettre la sortie du secteur des exploitants économiquement non viables et ainsi offrir l'opportunité de s'agrandir aux exploitations qui en ont le potentiel?

Le soutien doit cibler les objectifs identifiés dans la politique agricole, sur la base d'une évaluation. Le soutien, tel qu'il est déboursé actuellement, maintient en activité des exploitations non viables tout en bénéficiant aussi à des exploitations qui sont performantes et n'en ont guère besoin. Par exemple la nouvelle PAC prévoit la dégressivité des paiements qui dépassent 150.000 euros, une fois déduites les charges salariales. C'est sans doute un pas positif, mais cela pose néanmoins la question de ces paiements. La question du revenu agricole a souvent guidé le législateur, or il y a un manque cruel de données et d'information à ce sujet.

A l'heure actuelle, la R&D et l'innovation sont gérées par les États membres au niveau national, une coordination européenne aurait sans doute impact important. Notamment sur l'adoption des méthodes, de processus novateurs et sur la transmission des savoirs.