La nouvelle réforme de la PAC laisse le monde agricole sur sa faim

A entendre les professionnels de l'agriculture, la nouvelle mouture de la Politique agricole commune (PAC) n'a rien de révolutionnaire, contrairement à ce que laisse entendre le ministère de Stéphane Le Foll. La PAC 2014-2020 n'entrera vraiment en vigueur que l'année prochaine, mais des paysans aux agronomes, elle suscite déjà des regrets.
L'une des mesures satisfait une partie des agriculteurs car elle vise à rééquilibrer les grands écarts d'aides financières. A l'horizon 2019, 1 milliards d'euros sera réorienté chaque année vers l'élevage, actuellement moins soutenu que la culture céréalière par la PAC. Reuters

L'Union européenne (UE) a renouvelé son Parlement, mais elle a aussi rajeuni cette année sa politique agricole (PAC) : une refonte de ses règles jugée "inefficace" selon certains, "pas assez ambitieuse" pour d'autres. Si Bruxelles et Paris sont plutôt fières de l'issue des intenses négociations qui ont eu lieu entre les 28 États, ses résultats ont fait beaucoup de déçus. Un sujet d'autant plus épineux lorsqu'on sait que la PAC représente encore aujourd'hui 40% du budget annuel de l'UE. Va-t-elle devenir la pomme de discorde des agriculteurs européens?

Une redistribution qui divise

"Trop tiède", c'est le mot que nombre d'agronomes, d'éleveurs et de maraîchers ont à la bouche pour qualifier la nouvelle orientation de la PAC, qui a revu son système d'aides à la production. A partir de 2015, un fermier français recevra progressivement une enveloppe plus importante pour ses 52 premiers hectares de cultures ou de prairies, les sommes devenant ensuite dégressives sur les hectares supplémentaires. Une mesure qui vise à "réduire les écarts d'aides entre paysans et entre États", indique Roger Waite, porte-parole de la commission Agriculture à l'UE. 

Mais pour Judith Carmona, secrétaire nationale de la Confédération Paysanne, cette nouvelle règle reste "bien insuffisante" et ne compense pas les différences de revenus importantes entre agriculteurs. "Personne n'en a toujours rien à faire des petites paysans", s'indigne-t-elle. "En 10 ans, on a perdu 12.000 fermiers en Languedoc-Roussillon et 32% de maraîchers dans tout l'Hexagone".

Il est en effet souvent reproché à la PAC de favoriser les structures de grande taille, notamment céréalières, qui perçoivent en moyenne 43.000 euros de subventions par an quand un maraîcher en touche près de 10.000 euros par an, selon l'INSEE. Dans une étude de 2006, l'institut précisait en effet que 20% des exploitations percevaient 43% des aides totales.

"C'est un choix politique", défend Henri Brichart, vice président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), premier syndicat en France de la profession. "Cette orientation a été prise par l'UE dans les années 90 pour aider les pays comme la France à être plus compétitifs dans certaines de leurs productions agricoles", explique-t-il.

Une distribution "inégalitaire" mais en amélioration avec cette nouvelle PAC 2014-2020 estime quant à lui Gilles Bazin, ingénieur agronome et professeur d'économie rurale à AgroParisTech :

"Cette PAC n'est sûrement pas une révolution, mais elle va dans le bon sens. Elle devrait au moins tempérer les disparités entre les régions montagneuses et les plaines, et entre les éleveurs et les céréaliers". 

Un rééquilibrage entre les régions

Sur ce point au moins, la nouvelle PAC semble faire consensus. Sauf bien sûr si l'on interroge les régions les mieux dotées jusqu'alors, qui devront concéder quelques millions d'euros. Là encore, les différences entre les sommes perçues, selon que l'on travaille la terre en Picardie ou en Midi-Pyrénées, sont révélatrices du développement disparate de l'agriculture en France. A titre d'exemple, dans l'ancienne mouture, un paysan du Nord-Pas-de-Calais percevait de 359 à 426 euros par hectare de SAU (surface agricole utile) quand un paysan de l'Hérault touchait de 44 à 321 euros par hectare de SAU (données Agreste). 

Mais la PAC de l'horizon 2020 devrait fortement redistribuer ces aides dites "du premier pilier", le second pilier concernant le développement rural. Ce redécoupage que le ministère appelle "convergence des aides" doit atteindre un équilibre à 70% entre les régions d'ici à 2019. Le but est là encore de remettre à plat les écarts entre le Nord, aux cultures plus intensives, et le Sud à l'agriculture plus extensive compte tenu du relief et de l'aridité.

Un "renoncement" selon Gilles Bazin qui regrette que l'on n'applique pas "l'égalité totale entre les territoires, comme en Allemagne où tous les agriculteurs ont le même soutien". En Midi-Pyrénées, on n'est pas aussi catégorique. Le directeur régional de l'alimentation et de l'agriculture, Pascal Augier, estime que la nouvelle PAC va véritablement insuffler un vent de modernité dans les fermes de sa région. Et pour cause : au lieu de recevoir les habituels 850 millions d'euros par an, Midi-Pyrénées en touchera 1, 35 milliard d'euros à partir de 2015. Dans ce territoire difficile à exploiter par ses montagnes, l'enveloppe va changer la donne:

"C'est un nouveau départ pour la région. Cela va nous aider à renouveler les bâtiments et le matériel, à innover et surtout à attirer une nouvelle génération d'agriculteurs. Car la visibilité économique que va donner cette somme est un levier puissant pour garantir du travail et un revenu aux professionnels. Avec des installations plus modernes, nous pourrons aussi rationaliser les tâches, réduire la pénibilité et s'améliorer sur le plan énergétique et écologique". 

Reste à savoir quel impact aura la réforme territoriale envisagée par François Hollande, qui pourrait faire passer le nombre de régions de 22 à 14. 

 Un verdissement terni

L'autre changement important de la prochaine politique agricole, et pomme de discorde entre agricultures, c'est son "verdissement". La rendre plus respectueuse de l'environnement était l'un des objectifs de la Commission européenne, qui a voulu inscrire de nouvelles règles dans le texte "pour avoir un effet de masse", explique Roger Waite de la Commission européenne. Pour cela, il a été décidé que 30% de l'enveloppe des soutiens directs seraient à présent soumis à des conditions écologiques :

  • La diversification des cultures, avec trois productions différentes minimum sur une même exploitation.
  • Le maintien des prairies permanentes pour préserver l'eau des produits phytosanitaires, épandus sur de nombreux champs semés de céréales et qui s'infiltrent jusqu'aux nappes phréatiques.
  • La mise en place de 5% de "surfaces d'intérêt écologique" (SIE), comme des haies, des bandes enherbées ou encore des mares pour protéger la biodiversité. 

Mais là encore, cette norme qui partait d'une bonne intention n'a fait que des mécontents. Chez les Verts, qui auraient voulu aller plus loin, José Bové parle d'une véritable "capitulation" par rapport aux ambitions que le Parlement avait affichées au départ. "Les chefs d'État ont dit stop sous la pression de certains lobbys", explique Gilles Bazin, ajoutant que les latitudes laissées aux exploitants sont confortables. L'éleveuse pyrénéenne qu'est Judith Carmona n'est pas non plus dupe de ces mesures européennes : 

"Pour ce qui est de la diversification des productions, la culture principale pourra quand même occuper jusqu'à 75% de la surface de la ferme. Et dans les fameuses SIE, ces zones naturelles, il ne sera même pas interdit d'utiliser des pesticides!"

A la FNSEA, ce "verdissement" fait aussi grincer des dents, mais pas pour les mêmes raisons. "On remet une nouvelle couche dans les contraintes déjà importantes des agriculteurs. Nous sommes dans un contexte économique compliqué, alors ce n'est pas le moment d'en rajouter", regrette Henri Brichart. Si les cours des produits comme les céréales sont en effet fluctuants, la tonne de blé pouvant passer de 250 à 150 euros en un an, on ne peut pas non plus dire que leurs prix ont plongé tous leurs cultivateurs dans la misère. En 2012, "200 hectares cultivés pouvaient rapporter jusqu'à 100.000 euros, dont 60.000 euros d'aides de la PAC", rappelle Gilles Bazin. 

La crainte d'une dérégulation des marchés

Cependant, s'il y a bien une chose qui rassemble le milieu hétérogène de l'agriculture sur la question de la nouvelle PAC, c'est le risque qu'elle fait courir sur les marchés. La dérégulation représente un "danger" selon la Confédération paysanne quand la FNSEA ajoute que "dans cette PAC, il n'y a rien qui puisse nous aider à nous protéger et à réguler la volatilité structurelle".  Le problème soulevé est celui de la disparition des protections et des mesures favorables aux marchés, comme les quotas laitiers et sucriers. Une donnée inquiétante pour Gilles Bazin qui pointe que "si l'offre est supérieure à la demande, avec la suppression des quotas, les marchés peuvent s'écrouler".

Ce à quoi la Commission répond : 

"La PAC a longtemps été décriée pour son interventionnisme. Donc depuis la réforme de 2003, nous nous sommes orientés vers un système qui encourage les agriculteurs à produire ce qui est demandé par les marchés et non pas ce qui est est protégé par l'État ou l'UE".  

S'il n'est pas encore question que l'UE abandonne d'une quelconque manière sa politique de soutien à l'agriculture, Gilles Bazin craint cependant que son désengagement de la régulation des marchés n'est un impact sur la sécurité économique des producteurs. 

Un règlement "à tiroirs" mais un budget préservé

Bruxelles est également décriée pour son "laxisme" dans sa volonté de faire appliquer les nouvelles règles de la PAC. Chaque État pourra en effet piocher parmi les mesures qu'il souhaite ou non adopter sur son territoire. Une manière de "respecter la diversité agricole européenne, de Malte au cercle polaire", selon Roger Waite. Une démonstration qui laisse Gilles Bazin dubitatif. Selon lui, le choix de rendre des mesures obligatoires et d'autres facultatives fait de cette politique commune une "réglementation à la carte" qui risque d'entraîner des distorsions de concurrence. Par exemple, la France et l'Allemagne seraient les seules à vouloir mettre en place le dispositif de soutien aux 52 premiers hectares. 

Là où la Commission ne fait cependant pas de déçus, c'est sur la question du budget alloué à la nouvelle PAC. Même si la somme est globalement sensiblement à la baisse (elle passera de 40% du budget de l'UE aujourd'hui à 36% vers 2020), elle n'est pas aussi catastrophique qu'attendue. La France s'en tire plutôt bien, avec une enveloppe de 9,1 milliards d'euros par an sur la période 2014-2020, contre 9,3 milliards actuellement, soit 64 milliards d'euros pour les 7 ans à venir. 

Selon les statistiques de la Commission européenne, le budget consacré à l'agriculture dans l'UE a bien diminué depuis 1962, date de la mise en place de la PAC. Elle reconnaît que "sa part dans les dépenses globales est passée de 73% en 1985 à 41% en 2012, malgré les élargissement successifs de l'UE. Mais cette diminution est plus due à une hausse des autres dépenses qu'à une baisse des sommes allouées à la PAC". 

Finalement, les fermiers français ne devraient pas voir leur métier beaucoup évoluer dans les années à venir, en tout cas pas à cause de la nouvelle PAC. Les professionnels de l'agriculture ont toujours entretenu des visions très différentes de leur activité. Ainsi, leur sensible opposition autour de la réforme s'explique. Mais au final, ce qui est surtout fustigé par ces différents acteurs du monde agricole, c'est autant le manque d'ambition de cette nouvelle PAC que son iniquité. N'ayant "rien de révolutionnaire", elle fait perdurer la "politique des petits pas" comme le résumait bien Vincent Chatellier, économiste à l'Inra, en novembre dernier. 

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Commentaire 1
à écrit le 11/06/2014 à 16:02
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Le vrai titre de l'article devrait remplacer le mot "faim" par "fin". La PAC a en effet pour objectif depuis toujours de liquider les agriculteurs! Il y en a donc naturellement de moins en moins dans un système suicidaire qui voit ceux qui vont mour...

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