Qui supportera la baisse du prix du lait après la fin des quotas ?

Par Marina Torre  |   |  788  mots
Au Salon de l'agriculture, la "crise du lait" s'impose à nouveau dans les discussions.
Les professionnels du yaourt se préparent aux remous sur le marché du lait. Contrecoup de la levée des quotas laitiers en avril et de l'embargo russe qui se poursuit, les prix du lait à la production devraient continuer de baisser, au moins pendant quelque temps.

Il risque d'y avoir (encore) du lait dans le gaz. Du moins à court terme. Premiers effets de la levée des quotas laitiers, guerre des prix chez distributeurs, embargo russe... beaucoup d'ingrédients sont réunis pour provoquer une "crise du lait" - celle que redoutait le patron de Système U, Serge Papin, dès 2014. A la veille de l'ouverture du Salon international de l'Agriculture, ce thème récurrent figure, cette année encore, parmi les sujets "bouillants" du moment.

Cette année ne déroge pas donc à la règle mais il faut y ajouter de nouvelles conditions. En premier lieu, l'embargo imposé cet été par le Kremlin. Cette réponse aux sanctions décidées par l'Union européenne à cause de l'Ukraine a bloqué dans l'UE des millions de litres de lait. Ce qui a participé à une baisse des prix à l'achat aux producteurs à la fin de l'année (cf. graphique à la fin de cet article). Ensuite, les quotas européens sur le lait seront levés à partir du mois d'avril. La volatilité impliquée par cette dérégulation a certes été anticipée par les fabricants qui ont opté pour des contrats de couverture afin de lisser hausses et baisses.

300 euros les mille litres

"Nous faisons tout pour éviter de passer en dessous des 300 euros [les 1.000 litres], c'est la consigne donnée", a martelé Xavier Beulin, le président de la Fédération nationales des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), le 18 février. Deux jours plus tard, comme en écho, Emmanuel Faber, directeur général de Danone indiquait:

"On sait que, dans certains pays, et en France en particulier, il y a une sorte de plancher social du lait en dessous duquel le prix du lait ne descendra pas."

Une bonne volonté chez certains qui n'empêche pas que l'application des contrats entre producteurs et fabricants de produits laitiers puisse donner lieu à des conflits. C'est déjà le cas en Normandie où des groupements d'agriculteurs ont lancé une action de groupe à l'encontre de Lactalis.

"Conformément à la loi, nous avons adressé un courrier il y a une semaine à Lactalis afin de leur proposer une médiation",

a indiqué une porte-parole de la Fédération nationale des producteurs de lait. Il dispose encore de plusieurs jours pour apporter une réponse et chaque partie peut refuser la médiation. Sollicité, le producteur de Laval n'a pas commenté cette affaire.

"Partager avec les consommateurs"

Qui supportera finalement la baisse des prix ? Côté fabricants, Danone dit avoir enregistré l'an dernier une inflation d'environ 10% de cette matière première et d'en avoir répercuté l'effet essentiellement sur ses profits puisque, en France du moins, les distributeurs pressaient déjà leur fournisseur de baisser les prix.

Le renversement de la tendance, dû notamment à l'embargo, est considéré comme un "répit conjoncturel".

"Si, d'aventure, les prix du lait restaient significativement décalés vers le bas (...), il est évident qu'il faudra que d'une façon ou d'une autre cela se partage avec nos consommateurs",

a prévenu Emmanuel Faber, qui dirige encore en tandem le groupe avec Franck Roubaud.

Solution e-commerce... et Chine

Toutefois, cette situation ne durerait que "six mois", estiment fabricants et représentants des agriculteurs qui, sur ce point au moins, se rejoignent.

A plus long terme, la demande croissante des pays émergents, notamment, pourrait pousser les prix à la hausse.

"Les débouchés sont surtout à chercher en Asie où la demande explose. Mais pour y exporter, il faut transformer le lait en poudre, notamment grâce à des tours de séchage", a rappelé Xavier Beulin.

De fait, certains types de produits laitiers en provenance d'Europe se vendent particulièrement bien en Chine. C'est le cas du lait infantile en poudre de mieux en mieux distribués... par internet.

De 10%, la proportion des produits Danone vendus sur des sites de e-commerce sont ainsi passé à près de 30% l'an dernier. Contrecoup des scandales qui ont affecté un producteur néo-zélandais, Fonterra (ancien fournisseur de Danone), les marques européennes ont la cote.

"Ce canal [le web] existera de façon massive en Chine, et peut-être pas seulement pour la nutrition infantile", prédit même le nouveau patron exécutif de Danone.

Les nouvelles technologies seront donc peut-être la porte de sortie pour la filière laitière française. A condition de gagner la compétition avec les producteurs néerlandais, allemands ou irlandais où les exploitations géantes permettent de collecter du lait moins cher pour ensuite le sécher.

Pour certains, la solution passe par d'autres "ferme de mille vaches".A moins que les producteurs français ne finissent par privilégier la qualité à la quantité.