Le chanvre, cette plante qui coche toute les cases de la transition écologique

Troisième productrice de chanvre au monde, la France serait-elle assise sur un tas d’or vert ? Indifférente à la sécheresse, cette plante aux multiples applications (du bâtiment au textile en passant par l’alimentation, la cosmétique ou la plasturgie) amorce une spectaculaire remontada, saluée jusque dans les instances de l’ONU qui encourage sa culture.
Un champ de chanvre de textile dans la plaine de Caen
Un champ de chanvre de textile dans la plaine de Caen (Crédits : DR)

Et si le chanvre était la plante du futur ? A la lumière du changement climatique, le monde redécouvre les qualités de cette herbacée longtemps diabolisée au nom de la lutte contre la toxicomanie. L'argument semble avoir fait son temps. Aujourd'hui, tout plaide en faveur de la réhabilitation de cette « Formule 1 agronomique », comme la qualifie l'interprofession. L'expression est bien choisie.

Une culture tous terrains

En plus que d'être rustique et résistant aux fortes chaleurs comme au stress hydrique, le Cannabis Sativa, de son nom savant, possède bien d'autres vertus. Il se passe volontiers de traitements mécaniques ou chimiques du fait de sa densité qui empêche le développement de plantes concurrentes. De plus, il ne connaît quasiment aucun ravageur ni maladie grâce sa diversité génétique. En outre, son système racinaire très développé travaille le sol en profondeur en améliorant la rétention d'eau et en permettant un meilleur rendement des cultures semées à sa suite.

Planté au printemps et de pousse rapide (120 jours en moyenne), il se révèle imbattable pour stocker du CO2. « Un hectare de chanvre classique réussit à emprisonner plus de carbone en cinq ou six mois qu'un hectare de forêt primaire », calcule Guillaume Laize, technicien à l'association des producteurs de chanvre de Normandie que La Tribune a croisé lors des deuxièmes « Rencontres du chanvre » qui se sont tenues à Lisieux (Calvados) cette semaine devant une salle pleine à craquer.

Dans l'assistance, des agriculteurs, des industriels, des agronomes, mais aussi des représentants de l'Agence de l'eau Seine-Normandie qui n'étaient pas là par hasard. L'Agence milite, en effet, pour un essor de la chanvriculture au nom de son innocuité sur la ressource en eau, comme le rappelle son directeur territorial.

« Ne vous limitez pas dans vos initiatives. Soyez créatifs et développez cette culture ! », a ainsi martelé Ludovic Genet devant l'auditoire.

La France prend de l'avance

Manifestement, le message passe. Avec 22.000 hectares plantés en chanvre (soit 37% des surfaces de l'UE), la France est aujourd'hui le troisième producteur au monde et le premier en Europe. Et devrait conserver cette pole position. « Les surfaces ont été multipliées par trois en dix ans et nous prévoyons au moins un doublement à un horizon de cinq ans », rapporte Joël Lagneau, directeur adjoint de l'association Interchanvre qui coalise agriculteurs et transformateurs.

En aval, les investissements progressent dans la transformation. Selon l'interprofession, 50 millions d'euros vont être investis dans les deux prochaines années, la moitié de la somme dépensée au cours des soixante années précédentes. « Deux chanvrières vont tripler leur capacité, et quatre nouvelles vont voir le jour, précise Joël Lagneau. On constate une vraie accélération qui traduit une demande du marché. »

De fait, le Cannabis Sativa, dont tous les composants se valorisent de la graine à la fibre en passant par la fleur, aiguise les convoitises d'une multitude de secteurs d'activité. Le fabricant d'huiles essentielles Normandie Arômes peut en témoigner. « L'huile de chanvre prend une place de plus en plus importante dans notre catalogue pour des applications dans l'alimentaire, et nous sommes maintenant  approchés par beaucoup de laboratoires cosmétiques », observe Valentin Raoul, co-gérant de l'entreprise.

Du champ à l'usine

« La demande est au vert sur tous les débouchés, notamment sur le marché du papier qui se développe, et sur celui de l'éco-construction qui gagne du terrain », confirme en écho Jean-Paul Salmon, gérant de la SARL Agrochanvre installée dans la Manche qui collecte et transforme l'équivalent de 500 hectares de chanvre en provenance de 150 exploitations.

L'herbacée taille aussi sa route dans l'industrie automobile en substitution de la fibre de verre ou de carbone. « Avec l'avènement de l'électrique dont les batteries pèsent lourds, les constructeurs manifestent de plus en plus d'intérêt pour les produits à base de chanvre dans le but d'alléger les véhicules », constate Sandrine Guibert, responsable marketing du fabricant de produits non tissés Natup Fibres (Seine-Maritime).

Le chanvre fait, ou plutôt, refait, une percée dans le textile où les riches producteurs de lin normands (60% du lin mondial) commencent à l'adopter pour compléter leur gamme, sous l'impulsion de la Coopérative Linière du Nord de Caen.

Après avoir réussi à mécaniser sa récolte sur quelques hectares expérimentaux, son président Henri Pomikal croit plus que jamais dans les promesses d'une plante qu'il qualifie de « miraculeuse ».

« Investir des millions d'euros dans des unités de traitement pour une monoculture comme celle du lin est déraisonnable. Avec le chanvre qui se travaille de la même manière, on tient quelque chose de très vertueux et de très rémunérateur pour la profession agricole, à condition de raisonner en filière et en circuit court », théorise t-il.

Visiblement, l'intéressé ne prêche pas dans le désert : entre 500 et 1.000 hectares de chanvre textile devraient être semés au printemps prochain en Normandie, contre quelques dizaines la saison précédente. Filateurs et fabricants de vêtements attendent la récolte avec impatience, nous dit-on.

Ils ne sont pas les seuls. L'Organisation des Nations Unis se laisse aussi gagner par la fibre.

« Le marché du chanvre industriel représente un vaste potentiel pour l'agriculture, le textile, le recyclage, l'automobile, le mobilier, la nourriture et la boisson, le papier, les matériaux de construction et les produits de soins personnels », peut-on lire dans un rapport publié il y a quelques jours sous l'égide de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement).

Si l'ONU le dit...

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CBD : une règlementation fumeuse

Interdite jusqu'alors en France, la culture et la commercialisation des feuilles et de la fleur de chanvre est désormais autorisée depuis le 29 décembre 2022, sous réserve de respecter un taux maximal de THC de 0,3%, suite à une décision du Conseil d'Etat.

Pour autant, la règlementation reste encore floue sur les valorisations du CBD lorsqu'il est ingéré. Autrement dit, producteurs comme vendeurs ne sont -en théorie- pas autorisés à se prévaloir de la moindre allégation, relaxante par exemple, sur les tisanes, biscuits ou autres huiles sublinguales. L'Union européenne devrait apporter des clarifications mais elles se font attendre.

« Dans l'intervalle, tout le monde se trouve en fait dans l'illégalité », commente un bon connaisseur.

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Commentaires 2
à écrit le 30/01/2023 à 9:11
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Le Chanvre n'est-il pas de la meme famille que le Chanvre Indien (Marijuana) ?

à écrit le 27/01/2023 à 20:37
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Le nom est sulfureux, d'aucuns vont faire des amalgames (dont des gens au Gvt par ignorance). Le lobby du coton va faire du 'lobbying' afin d'éviter son développement, même si le coton, c'est polluant à cultiver, bio ou pas, ça procure des profits à ...

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