Diesel : le gouvernement va-t-il porter le coup de grâce ?

Par Nabil Bourassi  |   |  1041  mots
Tout le monde est d'accord pour opérer un rééquilibrage entre diesel et essence.
Le gouvernement pourrait prochainement aligner la TVA du diesel sur l'essence pour les flottes d'entreprises. Ces dernières restent encore très largement diésélisées, au-delà même de leur besoin d'usage réel. Si bien que ni les entreprises ni les associations "pro-diesel" ne s'opposent à ce dispositif, bien au contraire...

C'est un peu la revanche de Delphine Batho. L'ancienne ministre de l'Environnement du premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault a rendu les conclusions de la mission qui lui avait été confiée il y a un an par le gouvernement Valls. Entre autres propositions, elle recommande d'aligner les fiscalités du diesel et de l'essence pour les entreprises. Ségolène Royal, sa successeure au ministère, a annoncé qu'elle retiendrait cette proposition.

Du coût à la pompe à la TVA aux entreprises...

En 2012, Delphine Batho avait croisé le fer avec le ministre du Redressement productif de l'époque, le flamboyant Arnaud Montebourg qui plaidait alors la cause des constructeurs automobiles français. Celui-ci avait remporté le match, mais avait concédé un réajustement progressif des prix à la pompe. Cette fois, l'alignement des fiscalités de flottes d'entreprises pourrait avoir un impact autrement plus conséquent sur le marché.

Aujourd'hui, la TVA sur le diesel est quasi intégralement récupérée par les entreprises : 100% s'il s'agit d'un véhicule utilitaire, 80% si c'est un véhicule de tourisme. Ce régime est beaucoup moins avantageux pour les véhicules essence. Ce régime fiscal a ainsi favorisé la diésélisation du parc automobile des sociétés en France. D'ailleurs les ventes sont toujours aussi dynamiques puisque, sur les neuf premiers mois de l'année, plus de 86% des ventes aux entreprises ont été des véhicules diesel, d'après les chiffres de l'Observatoire du véhicule d'entreprise (OVE).

Les flottes favorables au dispositif proposé

Mais pour cet organisme, la proposition de Delphine Batho pourrait être bien accueillie par les flottes. Dans une interview au Figaro, Bernard Fourniou qui dirige l'OVE, a jugé que de nombreux gestionnaires de flottes optent pour le diesel en raison de ce dispositif fiscal, sans que cela soit pour autant un choix adapté à son usage. En mai déjà, Bernard Fourniou expliquait à La Tribune qu'"un taux de diésélisation de 90% était une anomalie". "En dessous de 20.000 km par an, il y a souvent un avantage, au regard du coût d'usage à choisir une motorisation essence", expliquait-il alors. "Plus d'une entreprise sur deux pense qu'aligner les avantages fiscaux entre les deux carburants est une bonne chose pour diversifier le parc automobile", observe-t-il.

L'association des diésélistes de France ne dit pas autre chose en prétendant défendre "depuis des années" un "rééquilibrage des taxes sur le carburant". Celui-ci doit permettre aux chefs d'entreprises, artisans, etc. de pouvoir adapter l'achat de leur véhicule de société en fonction de l'utilisation qu'ils en font. L'Association avait également défendu cette idée lors de son audition à l'Assemblée nationale le 3 février 2016", écrit l'association dans un communiqué.

Les entreprises se sont déjà tournées vers l'essence

D'ailleurs, les entreprises n'ont pas attendu ce dispositif pour commencer à se tourner vers l'essence. Ainsi, si les ventes de diesel ont augmenté de 8,2% sur les neuf premiers mois de l'année, celles de l'essence se sont envolées de 31,7% sur la même période.

Le marché du diesel est ainsi confronté à une véritable difficulté puisque les flottes représentent désormais la moitié du marché du neuf en France, contre 37% seulement en 2000. Elle explique en partie la baisse de la part de marché du diesel constatée sur le marché national (entreprises et particuliers confondus) depuis son pic de 2008 lorsqu'elle atteignait 77% des ventes. Depuis le début de cette année, la part de marché du diesel était de 58,2%, d'après les chiffres du CCFA, soit quasiment 20 points de moins.

Il faut néanmoins noter que la désaffection des entreprises sur le diesel ne s'est pas intégralement reportée sur l'essence : les ventes de voitures électriques ont bondi de 38% entre janvier et septembre pour atteindre 1,16% de part de marché, soit bien davantage que sur le marché national (0,8%). Le marché de l'électrique a profité de l'effondrement des ventes des hybrides de -17% depuis janvier, victime de la diminution de la prime de l'État début 2016.

Une problématique industrielle majeure pour les constructeurs

Pour les constructeurs automobiles, cette fiscalité changeante est une véritable plaie. Il faut des années, au moins quatre ans, pour développer une nouvelle motorisation et au moins autant d'années voire davantage pour amortir l'investissement. Autrement dit, la fiscalité changeante est un véritable piège à loups. D'ailleurs, Delphine Batho a proposé un alignement sur cinq ans des fiscalités de TVA. Par le passé, on a déjà vu des technologies s'envoler sur le marché avant de retomber comme un soufflet après une disgrâce fiscale. Il en fut ainsi pour le GPL par exemple qui se vendait à 50.000 unités par an en 2008 lorsqu'il était éligible au bonus écologique. Une aubaine qui a, depuis, totalement disparue puisque le GPL s'est vu retirer le bonus et ne s'est seulement vendu qu'à 1.500 unités en 2015.

La fiscalité est donc un très puissant levier sur les arbitrages sur les motorisations. Le gouvernement veut-il alors rééquilibrer le marché ou en finir avec le diesel réputé cancérogène? L'association des diésélistes de France rappelle qu'"en dépit de ce rééquilibrage le diesel restera toujours le meilleur compromis pour les grands rouleurs, car un véhicule diesel consomme 20 à 25% de carburant en moins qu'un véhicule essence de même cylindrée".

Emploi contre environnement

Chez les constructeurs automobiles, les salariés sont également inquiets des conséquences d'un changement de braquet sur le diesel. FO PSA vient ainsi de publier un communiqué pour "tirer la sonnette d'alarme".

"Le diesel est une technologie de pointe en constante évolution. Un moteur diesel consomme 25% de carburant en moins et émet 15% de CO2 en moins. La chasse au diesel est une aberration écologique, mais aussi industrielle" tempête Christian Lafaye, délégué syndical central Force Ouvrière PSA.

"Pour PSA, au niveau européen, ce sont 18.000 emplois qui sont dépendants du diesel. La menace sociale est immense, tout comme l'inquiétude des salariés" poursuit-il.

Le gouvernement français pourrait donc être bien averti d'ajuster sa partition s'il ne veut pas transformer le débat environnemental sur le diesel en controverse sociale...