Réindustrialisation : la France inaugure sa première « gigafactory » de batteries pour voitures électriques

Par latribune.fr  |   |  951  mots
(Crédits : Maurizio Orlando / Hans Lucas via Reuters Connect)
La première « gigafactory » (usines de très grande taille) française de production de batteries pour voitures électriques sera inaugurée ce mardi à Douvrin, dans le Pas-de-Calais, une étape clé vers une profonde métamorphose industrielle visant à rattraper le retard sur les constructeurs chinois. Il s'agit de celle d'Automotive CellS company (ACC), une coentreprise de Stellantis, TotalEnergies et Mercedes,

Douvrin, dans le Pas-de-Calais, symbole de la transformation industrielle française. C'est en effet près de Lens, à côté du site historique de PSA voué à la fermeture, que la première « gigafactory » (usines de très grande taille) française de production de batteries pour voitures électriques est inaugurée en grande pompe ce mardi. En l'occurrence, ils s'agit de celle d'Automotive CellS company (ACC), une coentreprise de Stellantis, TotalEnergies et Mercedes, aux dimensions gigantesques (640 mètres de long, pour 100 mètres de large), dont la production doit démarrer cet été avant de commencer la commercialisation à la fin de l'année 2023. ACC vise 13 GWh de capacité annuelle d'ici fin 2024 avec 600 emplois à la clef. A partir de 2030, l'objectif est d'employer 2.000 salariés pour produire 40 GWh, soit l'équivalent de 800.000 batteries par an, 500.000 selon Bercy. Se voyant comme un « Airbus de la batterie », ACC sera l'un des premiers à produire en Europe.

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Réindustrialisation

Dans un territoire emblématique de la désindustrialisation du pays, cet évènement marque le début de la « reconquête industrielle » voulue par Emmanuel Macron. Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, est attendu mardi à Billy-Berclau (Pas-de-Calais), aux côtés d'Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, de Roland Lescure, le ministre de l'Industrie, et de responsables italiens et allemands. Les dirigeants de Stellantis (Carlos Tavares), de TotalEnergies (Patrick Pouyanné) et de Mercedes (Sten Ola Källenius) seront eux aussi présents pour ce moment qui symbolise le virage à marche forcée du secteur automobile vers l'électrification, à grand renfort d'aides publiques, pour se préparer à l'interdiction des moteurs thermiques dans l'Union européenne à partir de 2035.

Indépendance face à la Chine

Le gouvernement français s'est fixé comme objectif de produire en France deux millions de véhicules électriques par an d'ici à 2030, souligne Bercy, estimant qu'à elle seule, ACC devrait à cette date produire de quoi équiper 500.000 véhicules chaque année. ACC ne sera pas seule. Trois autres usines de batteries sont prévues en France, toutes implantées dans les Hauts-de-France, où émerge un écosystème qu'élus et industriels ont baptisé « Vallée de la batterie », où 20.000 emplois devraient être créés dans cette filière.

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A partir de début 2025 en effet, une gigafactory située à Douai (Nord) du groupe sino-japonais AESC-Envision fournira Renault Electricity. Quelques mois plus tard (mi-2025) à Dunkerque, la startup grenobloise Verkor - soutenue par Renault, Schneider Electric et Arkema - commencera sa production également à destination du groupe Renault, suivie, toujours à Dunkerque, fin 2026 par le groupe taïwanais ProLogium, spécialisé dans la batterie dite « solide ». De quoi répondre à l'objectif du gouvernement visant à fournir à son industrie automobile suffisamment de batteries assemblées dans le pays d'ici à 2027, et même exporter des batteries françaises par la suite.

Objectif : garantir son indépendance face à la Chine, qui a pris une avance considérable dans ce domaine. Entre 10 et 20 ans. Pour le gouvernement, la réindustrialisation passera par la production de batteries sur le territoire français et européen. A l'heure actuelle, une poignée seulement sont en activité en Europe, mais les investissements se multiplient sur le Vieux Continent où une cinquantaine de projets ont été annoncés ces dernières années.

Prix de l'énergie

Mais la France, même si elle est mieux lotie que certains de ses partenaires européens, reste handicapée par le prix de son énergie, comparée à la Chine ou aux Etats-Unis qui subventionnent massivement cette industrie grâce à l'Inflation Reduction Act (IRA). Autre défi de taille, l'approvisionnement en métaux critiques. Les batteries lithium-ion sont très gourmandes en nickel, cobalt ou manganèse, dont la chaîne de production, de l'extraction au raffinage, est aujourd'hui largement maîtrisée par la Chine. Des pistes existent pour concevoir des batteries en se passant de ces matériaux - batteries solides, batteries lithium-soufre - mais ces technologies ne sont encore qu'expérimentales. A Billy-Berclau, ACC devrait faire évoluer sa technologie des batteries lithium-ion vers des batteries solides. L'entreprise, qui a investi 7 milliards d'euros et prévoit une usine en Allemagne et un autre site en Italie, a reçu 1,3 milliard d'aides publiques françaises et allemandes.

Les quatre « gigafactories » françaises devraient ouvrir la voie à un écosystème attirant fournisseurs de matériaux et composants de batteries, ainsi que des sites de recyclage. Le 12 mai, Emmanuel Macron a ainsi annoncé l'implantation à Dunkerque d'un site de production de cathodes - une des deux électrodes composant une batterie - financé par le chinois XTC et le français Orano.

La CGT manifeste contre la « casse sociale »

Dans la « Vallée de la batterie » ce territoire déjà riche en infrastructures automobiles, allant de Dunkerque à l'ancien bassin minier, cette nouvelle filière industrielle devrait entraîner la création de plus de 20.000 d'ici à 2030, selon la Plateforme automobile (PFA), organisme professionnel de la filière automobile en France. La CGT du site Stellantis de Douvrin, voisin d'ACC et voué à la fermeture, a prévu de manifester mardi matin contre la « casse sociale » liée à l'électrification. Malgré les annonces pharaoniques, les créations d'emplois risquent de ne pas compenser les dizaines de milliers de postes perdus en France lors du passage accéléré au tout-électrique, reconnaissent syndicats et dirigeants. La CGT condamne une « comédie sur la réindustrialisation, véritable hypocrisie » car « elle se fait en sacrifiant 50.000 emplois sur l'ensemble des sites automobiles ».  Côté patronal, PFA estime que 52.000 emplois sont à risque, pour 23.000 à 35.000 emplois créés d'ici à 2030.