
Les besoins sont immenses, et les délais sont très courts. La plupart des postes portent sur des nouveaux métiers, qui ne disposent même pas encore de formation. Cette situation pose le cadre. Avec désormais quatre gigafactories annoncées, la région des Hauts-de-France aura-t-elle les moyens de son ambition ? A savoir devenir la « Silicon Valley » de la batterie dans un contexte où 50,3% des recrutements sont jugés difficiles en Hauts-de-France, selon l'enquête Besoins en main d'œuvre 2023 de Pôle Emploi ?
Reprenons les calculs. ACC, à Douvrin et Billy-Berclau, devrait compter entre 200 et 300 emplois dès cette année, la mise en service étant prévue pour l'année prochaine, dont une majeure partie de techniciens et de cadres. Ils seront 1.000 salariés en 2025, pour finalement atteindre un effectif entre 1.400 et 2.000 personnes à horizon 2030, en fonction de la mise en place des différents blocs de production. Sachant que « le nombre d'employés dépendra de la compétitivité réelle d'ACC et du niveau du marché automobile européen, impactant directement la demande en batteries et le volume de production », soulignait Jean-Baptiste Pernot, directeur des opérations ACC lors de la concertation préalable.
Effet démultiplicateur
A Douai, Envision, dont le démarrage est prévu l'année prochaine, espère, de son côté, embaucher 1.400 personnes à horizon fin 2024. A Dunkerque, Verkor, qui devrait entrer en fonction en 2025, annonce 1.200 emplois. Quant à Prologium, il ajoute 3.000 recrutements. Ce qui totalise déjà 6.600 emplois rien que pour les emplois directs.
Il faut évidemment compter les emplois indirects. Pour les gigafactories de batterie, la Chambre de commerce et d'industrie annonce un effet démultiplicateur d'un emploi direct générant 3 à 4 emplois indirects. Là où, aujourd'hui, un emploi direct chez les constructeurs automobiles génère plus de 3,5 emplois indirects en moyenne, que ce soit chez les équipementiers, la sous-traitance et les services. Il faut également tenir compte des autres giga-projets que sont le Canal Seine-Nord et la construction des deux EPR à Gravelines.
L'écosystème batterie couvre déjà un large spectre d'activités, du raffinage du graphite, à son recyclage, en passant par la sous-traitance pure. Là encore, la région a vu se multiplier les projets corollaires aux gigafactories, comme l'implantation d'une usine de séparateurs de batteries (un composant déterminant pour la performance des accumulateurs), par le Français Alteo et l'entreprise japonaise Wscope, à Dunkerque d'ici 2026. Ce projet majeur vise à fournir les usines d'accumulateurs en construction dans les Hauts-de-France, avec la création de 1.000 postes selon le ministère. Depuis son usine de Ruitz, Renault va également collaborer avec le chinois Minth Group pour fabriquer des bacs de batteries, avec là encore la création de 270 emplois.
Les équipementiers déjà en place suivent également le mouvement. Impossible de les recenser tous les projets de développement, mais par exemple Delzen, spécialiste de l'emboutissage de pièces en métal (80 salariés et 17 millions d'euros de ventes), situé à Douvrin, vient de créer Delviatek, une coentreprise avec Elvia, fabricant de circuits imprimés, pour fournir pièces en métal, PCB et plastique nécessaires aux voitures électriques.
Jusqu'à 26.000 personnes pour les usines à batterie
Rien que pour les quatre gigafactories et leur écosystème, on totaliserait donc entre 20.000 et 26.000 personnes à recruter, à former en l'espace de seulement quelques années ! Ce chiffre représente deux fois la prévision de 13.000 emplois d'ici à cinq ans, estimée par l'Association régionale de l'industrie automobile (Aria) en début d'année. A titre de comparaison, la filière automobile nordiste représente déjà près de 56.000 emplois, d'après une étude menée par la CCI Hauts-de-France en 2019 en partenariat avec l'Association Régionale de l'Industrie Automobile (ARIA), le pôle i-Trans et la DIRECCTE.
Ajoutons les emplois du Canal Seine-Nord (6.000 emplois attendus dans le BTP dans les deux ou trois ans pour la confection des ponts et des écluses, ainsi que 15.000 et 30.000 ensuite, avec la réalisation des ports intérieurs) et l'arrivée des deux EPR à la centrale nucléaire de Gravelines (on évoque 8.000 emplois directs et indirects durant la phase de construction, et de 10.000 à 15.000 emplois pour les dix années à venir, auprès des entreprises prestataires d'EDF). Et on dépasse les 70.000 postes à pourvoir dans la région ! Même si tous ne seront pas créés ex nihilo...
Passerelles avec le thermique
Dans un contexte marqué par des difficultés de recrutement accrues, certains se prennent à rêver de passerelles entre l'industrie automobile thermique. Elle se décline, avec notamment la Française de Mécanique Douvrin - l'usine de moteurs thermiques de PSA.
Toutefois, il convient « d'anticiper le besoin en formation et de travailler d'arrache-pied sur l'adaptation de la formation pour les demandeurs d'emplois et les travailleurs intéressés par une mobilité professionnelle vers ce projet industriel », constatait Olivier Verhaeghe, consultant pour l'Observatoire des métiers de la métallurgie lors de la concertation d'ACC.
Reste que l'électromobilité est une toute nouvelle approche. Tous les salariés du thermique n'auront pas forcément les compétences pour l'électronique et l'électrique. En outre, les experts en manufacturier de batteries se font rares. Résultat, les gigafactories font plutôt la chasse aux ingénieurs, jeunes diplômés ou expérimentés, même sans spécialisation.
Stellantis espère tout de même transférer 400 salariés de son site de Douvrin. Celui-ci compte 1.500 aujourd'hui, mais il a employé jusqu'à 5.000 salariés dans les années 1980. Les 400 salariés doivent rejoindre sa future usine de batteries, située donc dans la même commune. Le constructeur assure « que le fabricant de batteries est en mesure d'offrir à terme un emploi à tous les salariés de Douvrin qui le souhaiteront ». L'avis est partagé du côté des syndicats. Si la CFTC, Force ouvrière et la CFE-CGC signeront le projet de Rupture conventionnelle collective (RCC), comportant une garantie du maintien de salaires, la CGT, première organisation du site, et la CFDT estiment le nombre de reclassement largement insuffisant.
Reconversion des demandeurs d'emploi
Compétent en matière de formations, le Conseil régional s'active tous azimuts sur la reconversion ou encore la formation des demandeurs d'emploi (avec un budget de 400 millions d'euros), en adaptant notamment son Programme Régional de Formation aux spécificités des métiers de la batterie.
De fait, tous les espoirs se portent désormais sur la formation, avec notamment des subventions d'accompagnement versées aux entreprises.
« Nous allons aller beaucoup plus loin en matière de formation avec une logique de sur-mesure, expliquait Xavier Bertrand, le président de région Hauts-de-France en début d'année, qui a bataillé sec pour décrocher ACC à Douvrin. Nous avons beaucoup travaillé avec notamment le haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises (HC3E) et avec la mission France Travail, pour assurer la transition des moteurs thermiques vers les batteries ».
L'Association régionale de l'industrie automobile (Aria) a initié une démarche collective associant constructeurs, gigafactories et organismes de formation, pour monter un programme baptisé Electro'mob, labellisé « Compétences Métiers d'Avenir ». L'objectif est de former 13.000 personnes aux métiers de l'électrique d'ici à 2030. En parallèle, 25 millions d'euros vont être injectés (dont 14 millions par l'État) pour développer des formations et communiquer sur les nouveaux métiers de la batterie. Quatre centres techniques et un simulateur vont être mis en place pour accueillir les formations.
Un premier plateau technique de formation sur les batteries doit voir le jour très prochainement près d'ACC. A Béthune, une école d'ingénieurs en génie électrique ouvrira ses portes en septembre. Un projet de plateforme de transfert de technologies sur l'éco-efficacité énergétique est également dans les tuyaux, porté par l'Université d'Artois.
Comment chasser les profils ?
Accompagné par la Région Hauts-de-France, Pôle Emploi et les acteurs du service public de l'emploi local, le groupe Envision AESC a mis en place un programme de formations massives. Au total, 400 à 500 personnes devront ainsi acquérir des titres professionnels de pilotes de ligne de production, de techniciens supérieurs de maintenance, de froid industriel et climatisation, d'outillage, etc.
Reste que les profils doivent être chassés : sur 11 réunions d'informations collectives,154 personnes se sont montrées intéressées et seulement 48 personnes sont entrées en formation. Quatre groupes de formation de Titre Professionnel de technicien supérieur de maintenance industrielle ont été lancés en fin d'année 2022 par les organismes de formation GRETA à Douai et AFPI à Hénin-Beaumont. A l'issue de la formation d'une durée de 8 à 9 mois, 48 techniciens de maintenance devraient ainsi rejoindre Envision AESC, avec un CDI rémunéré à hauteur de 1.950 euros nets et une prime de 1.500 euros bruts à l'intégration.
« J'ai organisé beaucoup de réunions sur le territoire et les autres entreprises s'inquiètent de voir leurs salariés aspirés pour ces plus grandes boîtes », constate Laurent Rigaud, vice-président du conseil régional chargé de l'emploi, de la formation et du CREFOP.
« La Région sera donc amenée à accompagner en formations d'autres filières, des entreprises qui ne recrutaient pas spécialement mais qui vont leurs salariés partir pour de plus grosses entreprises. Nos défis seront donc de massifier la formation mais également d'accompagner les nouvelles installations avec une analyse pointue de leurs besoins ».
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