Renault : les vrais enjeux du périlleux lâchage de Carlos Ghosn

Par Nabil Bourassi  |   |  734  mots
(Crédits : Vincent Kessler)
L'annonce par Bruno Le Maire que Carlos Ghosn doit désormais être remplacé ouvre une périlleuse page pour l'avenir de Renault. Il s'agit de trouver un leader capable de relancer le groupe automobile mais également de pérenniser l'Alliance avec Nissan et Mitsubishi. Pourtant, les considérations souverainistes des différents protagonistes font courir un risque majeur à ce qui constitue aujourd'hui le premier constructeur automobile mondial.

Le gouvernement français a eu du mal à s'y résoudre. Acculé devant une procédure judiciaire japonaise qui le dépasse, le gouvernement a fini par se rendre à l'évidence : "l'empêchement" de Carlos Ghosn va durer. Après le rejet de la demande de libération sous caution par le tribunal de Tokyo, le gouvernement français a décidé de ne pas attendre le résultat du pourvoi en appel pour décider officiellement le renvoi de Carlos Ghosn, PDG de Renault.

« J'ai toujours indiqué, en rappelant la présomption d'innocence de Carlos Ghosn, qui si Carlos Ghosn devait être durablement empêché, nous devrons passer à autre chose, à une nouvelle étape. Nous y sommes et nous entrons maintenant dans une nouvelle étape », a expliqué Bruno Le Maire, ministre de l'Économie sur LCI.

Carlos Ghosn ne sortira pas de prison avant, dans le meilleur des cas, le 10 mars prochain, dans le moins mauvais des cas, pas avant son procès, et dans le pire des scénarios... Avant plusieurs années, s'il était condamné par le tribunal pour les trois mises en examens (abus de confiance aggravé, dissimulation de revenus...) pour lesquelles il encourt jusqu'à 15 ans de prison.

La "vacance" a déjà trop duré

Pour Renault, impossible d'attendre jusque-là. Ni les impératifs opérationnels et stratégiques, ni les marchés qui ont déjà fait une croix sur Carlos Ghosn, ne l'autoriseront. La "vacance" du siège de PDG de Renault n'a d'ailleurs que trop duré puisque Carlos Ghosn est emprisonné depuis le 19 novembre dernier, soit bientôt deux mois. L'État français n'a cessé de se raccrocher à l'idée qu'il finirait par sortir de prison, ou qu'il fallait gagner un peu de temps afin de lui trouver un remplaçant.

En deux mois, l'État français, premier actionnaire de Renault avec 15% du capital, a échoué à élaborer un plan B. D'après nos confrères du Figaro, Jean-Dominique Senard qui s'apprête à laisser la main à la tête de Michelin, pourrait devenir le président du conseil de surveillance de Renault, suppléé par Thierry Bolloré pour la partie exécutive et opérationnelle. Le conseil d'administration du groupe automobile français doit se réunir ce week-end pour acter ce nouvel organigramme. Mais celui-ci sera surtout provisoire. L'État veut un PDG capable de prendre un leadership opérationnel et surtout stratégique afin de l'imposer également à la tête de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi.

C'est là que tout se joue... Ce n'est pas par hasard si Martin Vial, patron de l'APE (agence des participations de l'État) et Emmanuel Moulin, directeur de cabinet de Bruno Le Maire, se sont envolés cette semaine pour Tokyo pour jauger les critères d'acceptation d'une nouvelle gouvernance par le camp japonais.

Rupture de confiance ?

La décision de l'État français de "lâcher" Ghosn confirme les pires scénarios prémonitoires que les marchés n'ont cessé de soulever ces dernières années : celui d'une vacance durable de leader chez Renault le mettant en difficulté face à un Nissan soucieux de rééquilibrer l'Alliance.

En outre, les relations entre les deux parties se sont largement détériorées avec l'arrestation de Carlos Ghosn. Côté français, on considère qu'il a été piégé par Nissan à travers une enquête à charge. Les réticences de Nissan à transmettre à son allié, le dossier qui a permis à la justice japonaise d'arrêter Ghosn, n'a pas tempéré le climat. Enfin, le refus d'Hiroto Saikawa de convoquer une assemblée générale des actionnaires, et qui doit permettre à Renault de retrouver un siège au conseil d'administration de Nissan (laissé vacant, de fait, par l'empêchement de Carlos Ghosn) a accentué le malaise, au point que certains s'inquiètent d'un point de non-retour sur la confiance entre les deux partenaires.

L'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi permet d'économiser chaque année 5,5 milliards d'euros de synergies grâce aux achats, au partage de plateformes ou avec la R&D, soit un avantage compétitif considérable. Mais, si la mésentente se poursuit, l'Alliance pourrait se déliter alors même que Carlos Ghosn s'employait à l'approfondir davantage.

L'histoire de l'industrie automobile ne compte plus les fusions ratées pour des considérations culturelles... C'est ce que Carlos Ghosn a toujours craint : plus que jamais, celles-ci menacent très sérieusement son oeuvre !