"Rien ne sert de courir"... Rarement la fable de La Fontaine du lièvre et de la tortue n'aura eu autant de sens qu'à propos de la voiture 100% électrique. Lancée dans les années 1990 dans l'indifférence la plus totale (l'État n'a jamais honoré ses engagements de commande publique de 106 et d'AX électriques), relancée en 2010 avec un beau succès d'image mais resté alors symbolique, il semblerait que la voiture électrique ait enfin quitté son statut de marché de niche pour devenir un segment de mass market. Au premier semestre, les ventes de voitures électriques en France ont dépassé le total de l'ensemble de l'année 2019 qui avait déjà enregistré une hausse de 38%.
Quand on regarde dans le détail, la voiture électrique gagne du terrain sur certains segments... Ainsi, la e208 représente entre 15% et 20% des ventes totales de la célèbre citadine. La Zoé, elle, s'en sort pas mal du tout non plus avec plus de 5.400 voitures vendues depuis le début de l'année en France, soit un bond de 120%. La voiture électrique signée Renault se hisse ainsi parmi les plus vendues en Europe. Impossible de ne pas évoquer l'immense succès du Model 3, le plus petit des Tesla, et écoulé à 17.500 exemplaires en Europe, prenant ainsi la première place du podium, devant Zoé.
Tesla met l'électrique à la mode
Pour les constructeurs, c'est historique! Longtemps la technologie électrique a été moquée par la plupart des constructeurs automobiles hormis Renault et Nissan et dans une moindre mesure BMW. Le dieselgate, le durcissement des normes CO2 ont forcé la main des constructeurs... Il est également vrai que Tesla a également aidé à faire de la voiture électrique une voiture branchée et désirée...
Mais c'est le changement de paradigme sur son autonomie qui a rebattu les cartes. Le doublement voire le triplement de l'autonomie a levé le principal obstacle à l'achat.
"D'après nos études, les 350 / 400 km d'autonomie étaient le seuil à franchir pour envisager la voiture électrique comme la voiture principale du foyer", nous explique Cécile Goubet, déléguée générale de l'Avere France.
Ce seuil a été franchi pour la première fois par la Model S de Tesla dès sa sortie en 2012. Mais à 100.000 euros pièce, ce modèle restait largement réservé à une élite. C'est le passage de la Renault Zoé et de la Nissan Leaf, des voitures nettement plus accessibles, à des autonomies de 350 km qui a participé à cette démocratisation de l'électromobilité. Pour Cécile Goubet, la bascule a été enclenchée l'an dernier:
"Il y a une tendance de fond qui a démarré début 2019 et qu'il faut mettre en regard de l'arrivée de nouveaux modèles sur le marché. La palette est large puisqu'il y a désormais des citadines mais aussi des SUV 100% électrique qui ont tous au moins 350 km d'autonomie, ce qui permet de répondre à tous les usages du quotidien."
Les constructeurs ont effectivement multiplié les lancements: des citadines, des SUV, du premium... Et ils ne comptent pas s'arrêter là. Le groupe Volkswagen annonce au moins trois modèles par marque (Skoda, Volkswagen, Seat, Audi...). Dacia devrait aussi débarquer sur le segment avec un modèle d'entrée de gamme.
Les constructeurs se sentent encouragés par la dynamique enclenchée depuis le début de l'année. Car, contre toute attente, si la crise du coronavirus s'est traduite par un véritable désastre pour les ventes de voitures, elle a pourtant explosé les chiffres de voitures électriques. Pour Guillaume Crunelle, "la crise du coronavirus a été un accélérateur de tendances préexistantes". En France, celle-ci a même été amplifiée par les dispositifs publics de relance avec des primes exceptionnelles.
L'aide à l'électrique va baisser dès 2021
Dès lors, la voiture électrique reste-elle dépendante des aides publiques ? Le cas échéant, cela relativiserait la pérennité de cette "bascule" du consommateur. D'autant que, dès 2021, la prime d'achat d'une voiture électrique entame sa baisse progressive passant de 7.000 à 6.000 euros, avant de passer à 5.000 euros en 2022. Mais pour Cécile Goubet, le risque est limité.
"On voit bien que la dynamique sur les voitures électriques ne s'est pas relâchée après la fin des dispositifs publics exceptionnels", assure-t-elle, en référence à la prime de relance du marché entre mai et juillet.
Mais pour Guillaume Crunelle, "la voiture électrique a une dimension systémique, c'est-à-dire que c'est un objet qui s'intègre dans un écosystème de services (stationnement, recharge...)". Autrement dit, l'autonomie n'est pas le seul frein à l'achat.
Il reste encore celui de l'infrastructure de recharge. À l'Avere France, on indique que le seuil des 40.000 bornes de recharge est sur le point d'être franchi, ce qui laisse bon espoir d'atteindre le cap des 100.000 bornes à horizon 2021 qui correspondrait au ratio communément acté d'une borne pour dix voitures. L'association estime toutefois qu'il reste beaucoup à faire encore pour les bornes privées qui restent le point de recharge principal, du moins le seul qui lève définitivement le frein à l'achat. Mais une fois ces obstacles passés, les Français vont-ils passer à l'électromobilité ?
"Dans nos dernières études, nous constatons que la part des consommateurs prêts à abandonner le thermique ne cesse d'augmenter, au point de représenter plus d'une personne sur deux en France dans les intentions d'achat. Pour autant, le marché ne représente pas encore 50% de ventes en voiture électrique. Que se passe-t-il entre l'intention et le passage à l'acte ? Beaucoup de questions se posent encore... On voit qu'en Chine, les ventes étaient montées rapidement et qu'aujourd'hui, elles marquent le pas", constate Guillaume Crunelle.
Les constructeurs entre deux feux
Car, selon lui, il reste un dernier écueil...
"L'autre point de bascule reste le coût à l'usage. Il faudra quelques années encore pour que la voiture électrique devienne plus compétitive que le thermique sur cet aspect", souligne-t-il.
Les constructeurs et les loueurs de longue durée mettent les bouchées doubles en montant des offres de location avec option d'achat qui permet de lisser le coût nominal dans le temps et le dissoudre dans les coûts de maintenance réputés moins élevés que la voiture thermique. Même s'il y a de l'idée, cela ne suffit pas, et les constructeurs sont encore obligés de rogner sur leurs marges pour des offres compétitives. S'ils doivent renoncer aux aides publiques, l'équation risque d'être encore plus complexe.
Côté constructeurs automobiles, il n'y a pas non plus d'urgence car ils sont pris entre deux feux: la nécessité de faire émerger un mass market propice à la baisse du coût des batteries, mais sans aller trop vite pour ne pas avoir à remettre à plat un complexe industriel encore très tourné autour de la chaîne de traction thermique. Une transformation industrielle qui pourrait se traduire par des fermetures de site...
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