Coronavirus : le BTP a enfin son guide, mais va-t-il relancer les chantiers ?

Par César Armand  |   |  1157  mots
Attendu depuis deux semaines par les acteurs du bâtiment et des travaux publics, le "guide des préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités en période d'épidémie" vient d'être publié. S'il fait l'unanimité du patronat, il divise les syndicats.

Avec la validation interministérielle du "guide des préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités en période d'épidémie de coronavirus covid-19", les relations vont-elles enfin s'apaiser entre l'exécutif et le BTP ? Tout commence le 17 mars, date de l'entrée en vigueur du confinement, lorsque les trois fédérations professionnelles du secteur (Capeb, FFB, FNTP) demandent au gouvernement un "arrêt temporaire" des chantiers, "le temps de s'organiser" et d'assurer la sécurité de leurs salariés.

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Plutôt que de répondre clairement à leur requête, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, intervient sur LCI, chaîne de télévision propriété de Martin Bouygues, leader du BTP, et qualifie les professionnels de "défaitistes". Piqué au vif, le président de la fédération française du bâtiment (FFB), Jacques Chanut, laisse éclater sa colère et lui répond vertement dans une lettre ouverte. Finalement, entre le 20 et 21 mars, toutes ces parties prenantes s'appellent et arrivent à se mettre d'accord sur la définition d'un protocole commun d'ici au 24 mars.

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En coulisses, l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPP-BTP), qui représente les trois patronats et les cinq syndicats, planche déjà sur "un document pouvant servir de support au travail collectif", raconte à La Tribune son directeur général Paul Duphil. "Nous avons travaillé tout le week-end du 21-22 non-stop, nous l'avons fait valider par le patronat et les syndicats le 24 avant de le transmettre aux ministères du Travail et de la Santé", poursuit-il. Puis silence radio.

Unanimité du patronat, retrait des syndicats

"Il faut accepter de prendre en compte qu'ils aient énormément d'urgences à traiter en parallèle", dédouane le DG de l'OPP-BTP, qui ajoute que la copie est revenue dès le 26. Après avoir de nouveau réuni tout le monde le 27, l'Organisme renvoie une nouvelle proposition au gouvernement le 28. Cette fois, c'est le ministère de la Transition écologique et solidaire, dont dépendent les travaux publics, et le ministère de la Ville et du Logement, qui regardent le texte avant de le leur renvoyer le matin du 30.

Ce n'est que dans la matinée du 2 avril que la version amendée, complétée et validée de tous les ministères revient à l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics. Mais un autre problème se pose alors: si la Capeb, la FFB, la FNTP donnent unanimement leur accord, les syndicats refusent d'apposer leur signature sur le guide final...

"C'est une déception, mais la CFDT l'a validé et il va nous aider à relancer la filière", déclare à La Tribune le président de la Fédération nationale des Travaux publics Bruno Cavagné. "Nous avions besoin d'un guide pour les entrepreneurs qui leur indique exactement les procédures à mettre en œuvre. Il est généraliste, de bon sens et donne une méthodologie", insiste-t-il.

Le masque chirurgical obligatoire dans au moins trois situations

Sans surprise, l'OPP-BTP appelle les entreprises à "respecter strictement" les consignes de sécurité "pendant toute la période de confinement" voire à "stopper leur activité sur les travaux concernés".

"Il faut faciliter la distance minimale d'un mètre ainsi que le lavage des mains avec de l'eau et du savon. Le gel hydroalcoolique ne suffit pas", explicite son directeur général Paul Duphil. "Le masque chirurgical doit être obligatoire dans trois situations", précise-t-il: "quand deux compagnons travaillent à moins d'un mètre l'un de l'autre, quand un acteur du BTP intervient chez un client à la santé fragile, et bien sûr quand il se rend chez un client malade."

Au chapitre des "exigences préalables", l'Organisme martèle en outre la nécessité d'"obtenir systématiquement l'accord préalable des clients" pour chaque opération et quelle que soit sa taille. De même qu'il leur demande de "limiter les déplacements de tout personne non-indispensable", comme ceux des apprentis, des stagiaires et des alternants.

Au volet des "consignes générales", il est exigé des sociétés qu'elles fassent porter des masques de protection respiratoire, mais aussi qu'elles contrôlent l'accès des salariés et autres intervenants, désignent un "référent Covid-19"  ou encore qu'elles assurent une information et une communication "de qualité" avec les personnels. Paul Duphil rappelle que des affiches à placarder sont disponibles sur son site Web.

Un "travail complémentaire" avec les architectes

Le guide sera également "révisé" et "mis à jour" selon les évolutions de la pandémie et les préconisations gouvernementales. "J'espère que d'ici à quinze jours, nous pourrons assurer un port permanent du masque", illustre le DG de l'OPP-BTP. La FNTP vient d'en commander 500.000, annonce à La Tribune son président Bruno Cavagné.

Les ministères concernés ont par ailleurs annoncé ce 3 avril le lancement d'un "travail complémentaire pour compléter l'ensemble de ces dispositions pour les autres intervenants d'un chantier tels que les maîtres d'ouvrage, les architectes, bureaux d'études ou coordinateurs sécurité".

Les maîtres d'ouvrage représentés par les promoteurs immobiliers, les maîtres d'œuvre et d'exécution que sont les architectes, ainsi les coordinateurs en matière de sécurité et de protection de la santé (CSPS), n'ont en effet pas été associés à la rédaction du guide de bonnes pratiques.

"Le gouvernement annonce qu'il va poursuivre la réflexion avec nous, dont acte. C'est une nécessité, car il ne peut y avoir de chantier de bâtiment sans architecte et maître d'œuvre", réagit pour La Tribune le président du Conseil national de l'ordre des architectes Denis Dessus. "Au préalable de toute décision de reprise de chantier, il faudra avoir la certitude de l'absence de risque lié au COVID 19 car un guide, aussi pertinent soit-il, n'enlève en rien de la responsabilité civile, professionnelle et pénale des acteurs", conclut-il.

Une ordonnance contre les pénalités

En réalité, la reprise effective des travaux ne pourra intervenir que si le gouvernement lance un grand plan pour le BTP - dépendant à 70% de la commande publique - et organise le 2nd tour des élections municipales dans un délai raisonnable. Le cas échéant, "ce sera très difficile", alerte Bruno Cavagné de la FNTP

En attendant, l'Etat a d'ores et déjà promis aux professionnels de la filière une ordonnance qui permettra de renoncer aux pénalités applicables pour une période tenant compte de la durée de l'état d'urgence sanitaire. "Nous avons impérativement besoin de la contribution active et positive de chacun", appuie Paul Duphil de l'OPP-BTP.