Interchangeabilité des vaccins : le cocktail AstraZeneca + Pfizer/Moderna se révèle (très) efficace

Par Jérôme Cristiani  |   |  1569  mots
(Crédits : STEPHANE MAHE)
Le vaccin d'AstraZeneca ayant été suspendu du jour au lendemain en mars dernier dans de nombreux pays par les autorités sanitaires, ceux qui n'avaient reçu qu'une dose ont dû se rabattre sur un vaccin à ARN messager pour la deuxième dose, sans recul sur l'efficacité du nouveau protocole. Depuis, plusieurs études, dont la dernière publiée lundi, concourent à démontrer l'amélioration de l'immunité lorsqu'on mélange les vaccins, et particulièrement en administrant en première dose un vaccin à vecteur viral (typiquement, l'AstraZeneca) puis un vaccin à ARN messager (Pfizer, Moderna...). Cette piste d'évolution de la stratégie vaccinale est déjà proposée en Allemagne.

[Article publié le 3.08.2021 à 16:20 mis à jour le 4.08 à 7:7 avec ajouts des études parues dans Nature Medicine, en annexe]

Plusieurs études publiées récemment se sont attachées aux effets de l'administration combinée d'un vaccin à vecteur viral (comme l'AstraZeneca) puis d'un vaccin à ARN messager (comme le Pfizer ou le Moderna). Certaines évoquent une efficacité multipliée par six face aux variants, notamment Beta, Gamma et Delta. Tour d'horizon.

L'étude la plus récente, celle de l'Institut de recherche danois Statens Serum Institut (SSI), publiée lundi, montre que l'administration d'une seconde dose de vaccin contre le Covid-19 de Pfizer-BioNTech ou de Moderna après une première dose d'AstraZeneca offre une "bonne protection".

Un panachage obligatoire après la suspension de l'AstraZeneca

L'étude des chercheurs danois débute quand les autorités sanitaires danoises ont, parmi les premières, interrompu en mars dernier les inoculations avec le vaccin d'AstraZeneca.

À la fin du premier trimestre 2021, pour mémoire, les informations sur les effets secondaires rares mais graves (voir ANNEXE en pied d'article) quelques jours après la première dose d'AstraZeneca, avaient conduit les autorités sanitaires européennes, les unes après les autres, à déclarer la suspension du vaccin du laboratoire anglo-suédois.

De fait, les 144.000 Danois (essentiellement des professionnels de santé et des personnes âgées), qui avaient reçu à ce moment-là une première dose d'AstraZeneca, avaient dû se rabattre, pour obtenir leur deuxième dose, sur un vaccin Pfizer-BioNTech ou de Moderna. Mais on n'avait alors aucun recul sur l'efficacité de ce nouveau protocole lancé précipitamment. Fort heureusement, les diverses études réalisées depuis sur le sujet de la combinaison de vaccins s'avèrent rassurantes.

"L'étude montre que quatorze jours après un programme de vaccination combiné, le risque d'infection par le SARS CoV-2 est réduit de 88% par rapport aux personnes non vaccinées", a déclaré lundi le SSI.

Le SSI ajoute:

"Il s'agit d'une "efficacité élevée", comparable au taux d'efficacité de 90% de deux doses du vaccin de Pfizer-BioNTech, observé dans une autre étude danoise.

Pour mémoire, voici les données du seul vaccin d'AstraZeneca. À l'époque des essais cliniques, ceux-ci avaient montré une efficacité de 60% seulement, bien en dessous de celle des vaccins à ARN messager de Pfizer et Moderna (90% selon les essais cliniques). Mais une équipe de chercheurs écossais, en utilisant des données réelles (données hebdomadaires de vaccination, admissions à l'hôpital, tests, décès), avait prouvé que le nombre de formes sévères du Covid-19 avait diminué de 94% pour les patients vaccinés à l'AstraZeneca, contre 85% pour le Pfizer à données comparables.

Une limite cependant: l'étude, publiée la semaine dernière, a été menée entre février et juin de cette année, période durant laquelle le variant Alpha du coronavirus était prédominant. Elle n'a pas pu conclure, par contre, si la même protection s'appliquait au variant Delta, qui est maintenant le plus répandu au Danemark, et n'a pas non plus fourni de données d'efficacité sur les décès ou les hospitalisations liés au Covid-19.

Le nombre d'anticorps multiplié jusqu'à 6 fois

Fin juillet, une étude sud-coréenne a démontré que l'administration successive d'un vaccin d'AstraZeneca puis d'un vaccin Pfizer multipliait par six les niveaux d'anticorps neutralisants contre le Covid-19 par rapport à deux doses d'AstraZeneca.

La méthodologie impliquait la participation de quelque 499 travailleurs médicaux dont 100 se voyaient administrer le panachage de vaccins à vecteur viral et à ARN messager, 200 prenant deux doses du vaccin Pfizer/BioNTech (ARN messager), et le reste de l'échantillon recevant deux injections du vaccin d'AstraZeneca (vecteur viral).

Résultat : tous les participants ont développé des anticorps neutralisants (qui empêchent le virus d'entrer dans les cellules et de se répliquer) et l'échantillon ayant reçu la combinaison de vaccins a montré des quantités similaires d'anticorps neutralisants à ceux trouvés dans le groupe qui a reçu deux injections du vaccin de Pfizer/BioNTech.

Une étude britannique publiée en juin a abouti aux mêmes résultats, mais introduit une différenciation selon l'ordre de vaccination: ainsi, une injection d'AstraZeneca suivie de Pfizer a produit une meilleure réponse des lymphocytes T et une réponse en anticorps plus élevée que l'injection d'un vaccin Pfizer suivie d'un vaccin d'AstraZeneca.

L'étude sud-coréenne a également analysé l'activité neutralisante contre les principaux variants, a déclaré l'Agence coréenne de contrôle et de prévention des maladies (KDCA). Aucun des groupes n'a démontré une activité neutralisante réduite contre le variant Alpha, identifié pour la première fois en Grande-Bretagne, mais le titre de neutralisation a diminué de 2,5 à 6 fois contre Beta, Gamma et Delta, détectés pour la première fois en Afrique du Sud, au Brésil et en Inde respectivement.

Le retour d'AstraZeneca dans les programmes de vaccination?

Ces résultats pourraient améliorer l'efficacité des campagnes de vaccination en cette période de nouvelle flambée due au variant Delta, tout en contribuant à redonner une place au vaccin d'AstraZeneca, actuellement écarté de la plupart des programmes de vaccination nationaux notamment en Union européenne à cause de ses effets indésirables rares mais graves, notamment l'apparition de caillots sanguins, qui avaient entraîné une désaffection d'une partie de la population.

Mais il y a peu de chances que cela se produise dans l'Hexagone. En effet, mardi 20 juillet 2021, le ministère de la Santé a annoncé que toutes les nouvelles livraisons à la France du vaccin d'AstraZeneca contre le Covid-19 prévues par contrat avec le laboratoire anglo-suédois seraient désormais basculées vers les dons aux pays en développement, au bénéfice du programme Covax, le dispositif de solidarité internationale contre la pandémie. Le million de doses d'AstraZeneca livrées en France fin juillet, ainsi que les 4,5 millions de doses attendues en août, seront "100% fléchées vers le programme Covax", avait assuré un représentant du ministère de l'Economie et des Finances.

L'Allemagne propose le panachage en dose de rappel

La question d'un panachage de vaccins se pose même avec une acuité nouvelle, après la décision, lundi,  de l'Allemagne qui va proposer dès le 1er septembre l'administration d'une dose de rappel de vaccin contre le Covid-19 aux populations âgées et vulnérables, et donc notamment, à tous ceux qui, vaccinés en premier, ont reçu deux doses d'AstraZeneca avant la suspension, et qui n'ont donc encore jamais été vaccinés avec un vaccin à ARN messager:

"Les vaccinations de rappel seront réalisées avec l'un des deux vaccins à ARN messager (Pfizer ou Moderna, Ndlr)", a indiqué lundi le ministère de la Santé allemand selon lequel cette décision est "dans l'intérêt des soins de santé préventifs" et tient compte de préoccupations concernant "la réponse immunitaire réduite ou en déclin rapide" chez les personnes vulnérables.

(avec Reuters et AFP)

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(*) ANNEXES

Pour connaître la liste des effets indésirables avérés des différents vaccins, lire le bulletin de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ci-dessous:

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Pour approfondir le sujet, voici le texte intégral (en anglais) de deux études publiées le 26 juillet dans la revue de référence Nature Medicine.

>Résumé (*): "Selon de récentes études d'immunogénicité [la capacité d'une molécule, d'un antigène à induire une réaction immunitaire, Ndlr], l'administration hétérologue [en panachage, Ndlr] du vaccin ChAdOx1 (AstraZeneca) à base d'adénovirus suivi d'un vaccin à ARNm a induit des réponses immunitaires plus fortes que la série de vaccins homologues ChAdOx1."(*)

(*) Quid du "ChAdOx1"? Évidemment, ici, on entre de plain-pied dans le jargon médical: pour faire court, ChAdOx1 désigne ce qu'on appelle couramment le "vaccin d'AstraZeneca". Son vrai nom scientifique est ChAdOx1 nCoV-19 (AZD1222), détaille la Revue du Praticien: "développé à l'université d'Oxford, il utilise pour vecteur un adénovirus de chimpanzé déficient (incapacité de réplication), le ChAdOx1, contenant le gène de la glycoprotéine «spike» de surface du Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (Sars-CoV-2 en abrégé)". Cette explication nous permet maintenant de décoder aisément l'acronyme "ChAdOx1" : c'est l'abréviation de Chimpanzee Adenovirus Oxford numéro 1. 

>Résumé (très raccourci): "L'amorçage hétérologue avec le vaccin vectoriel ChAdOx1 nCoV-19 suivi d'un rappel avec un vaccin à ARN messager (BNT162b2 ou mRNA-1273) est actuellement recommandé en Allemagne, bien que les données sur l'immunogénicité et la réactogénicité ne soient pas [encore] disponibles.  (...) Dans l'ensemble [notre étude montre que] la stimulation de vecteur/ARNm hétérologue induit de fortes réponses immunitaires humorales et cellulaires avec des profils de réactogénicité acceptables."