Coronavirus : les fournisseurs alternatifs d'électricité tentent de faire plier EDF

Par Jérôme Marin  |   |  616  mots
(Crédits : Regis Duvignau)
L'opérateur historique refuse d'activer la clause de "force majeure" prévue dans ses accords d'approvisionnement. Ses concurrents ont saisi le Conseil d'Etat.

Les fournisseurs alternatifs d'électricité contre-attaquent. Déboutés le mois dernier par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), ils viennent de déposer un recours en référé devant le Conseil d'Etat, comme révélé par Les Echos. Ils réclament la suspension des contrats Arenh. Ce dispositif leur permet de racheter une partie de la production nucléaire d'EDF à un prix fixe, qui est aujourd'hui largement supérieur au prix du marché. Ce qui entraîne de lourdes pertes pour les concurrents de l'opérateur historique, qui représentent près de 40% de la consommation électrique française.

Pour les fournisseurs alternatifs, la propagation de l'épidémie de coronavirus en France doit leur permettre d'activer la clause de "force majeure" prévue dans les accords d'approvisionnement qui les lient à EDF. Mais la CRE avait estimé, dans une delibération datée du 26 mars, que les conditions n'étaient pas réunies. Et elle soulignait aussi que la suspension des contrats Arenh aurait des conséquences "disproportionnées" et qu'elle "créerait un effet d'aubaine pour les fournisseurs au détriment d'EDF qui irait à l'encontre des principes de fonctionnement du dispositif qui reposent sur un engagement ferme des parties sur une période d'un an".

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Revente à prix cassé

Mis en place en 2010 pour favoriser la concurrence, l'Arenh (pour accès régulé à l'électricité nucléaire historique) permet aux fournisseurs alternatifs de racheter 100 TWh d'électricité auprès d'EDF, soit près d'un quart de la production nucléaire française. Le prix est fixé à 42 euros le mégawattheure, ce qui est, en temps normal, inférieur au prix de marché. Les rivaux d'EDF plébiscitent le dispositif: en décembre, les demandes d'Arenh s'étaient élevées à 147 TWh, forçant la CRE à instaurer un mécanisme de rationnement.

Problème: depuis le début du confinement, la demande d'électricité recule fortement en France, notamment en raison de l'arrêt d'une grande partie de l'activité industrielle. Or, les fournisseurs alternatifs doivent contractuellement continuer d'acquérir de l'électricité nucléaire, toujours au prix de 42 euros. Comme ils ne peuvent pas ajuster le volume d'achat pour tenir compte du repli de leurs besoins, ils se retrouvent avec un surplus qu'il ne peuvent pas conserver. Et qu'ils doivent donc revendre à prix cassé sur le marché - autour de 20 euros actuellement.

Des millions d'euros de pertes

Ces sociétés se retrouvent ainsi prises au piège de l'Arenh. Accusant des pertes qui se chiffrent en millions d'euros, elles se sont d'abord retournées vers EDF pour réclamer l'activation de la clause de "force majeure". Et ainsi pouvoir acheter l'électricité dont elles ont besoin directement sur les marchés, à un prix beaucoup plus compétitif. Mais l'électricien a rejeté leur demande, et obtenu le soutien implicite de la CRE. Certes, le régulateur n'écarte pas la suspension des contrat Arenh, mais seulement "si l'acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l'exécution de l'obligation de paiement".

Face aux "circonstances exceptionnelles actuelles", la CRE propose simplement des délais de paiement des factures Arenh, ainsi qu'une suppression des pénalités normalement infligées aux fournisseurs qui ont acheté trop d'électricité via ce mécanisme au cours d'une année. Elle demande aussi à EDF d'accorder des facilités de paiement, notamment pour les acteurs de petites tailles. Pas de quoi satisfaire les contestataires, qui assurent que le régulateur n'a pas l'autorité pour définir si la crise sanitaire constitue une "force majeure". Un différend qui sera tranché par le Conseil d'Etat.