En France, une transition écologique dans la douleur

Par Dominique Pialot  |   |  1083  mots
Face à la colère des "gilets jaunes", le pouvoir a annoncé la suppression de la hausse des taxes sur le carburant, prévue le 1er janvier 2019, et un gel des tarifs de l'électricité et du gaz. (Crédits : Reuters)
Le pays hôte de l’accord de Paris, dont le président s’est érigé en héraut du "Make our planet great again", n’a pas de quoi se vanter de ses propres résultats. Moins encore depuis sa reculade sur la fiscalité écologique face aux "gilets jaunes".

C'est donc finalement un moratoire de six mois sur les taxes sur les carburants, les tarifs de l'électricité et du gaz ou encore le rapprochement des fiscalités sur l'essence et le diesel que le Premier ministre a annoncé mardi 4 décembre, dans l'espoir de calmer la colère des "gilets jaunes" [le 5 décembre, François de Rugy a finalement annoncé que la hausse des prix du carburant, prévue le 1er janvier, serait annulée, NDLR]. Certes, ce gouvernement avait entrepris d'accélérer la hausse de la Contribution climat énergie (CCE) intégrée depuis 2014 au calcul de la Taxe intérieure sur la consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et dont la trajectoire est prévue dans la loi pour la transition énergétique de 2015. Mais, dans l'ensemble, il ne faisait qu'appliquer cette loi.

Pourtant, dans un contexte de forte tension sociale où domine un sentiment d'injustice fiscale lié à la multiplication de mesures en faveur des plus aisés dès le début du quinquennat, l'annonce de ces hausses a mis le feu aux poudres

Le manque de transparence sur l'utilisation des revenus de cette fiscalité écologique, sous prétexte de non-affectation de l'impôt, et la faiblesse des mesures d'accompagnement annoncées la semaine dernière par le président (élargissement du chèque énergie, superprime de conversion automobile ou encore retour à une forme de TIPP flottante), n'arrangent évidemment rien. D'autres pays ou États, telle la Colombie britannique fréquemment citée en exemple, utilisent les revenus générés par les taxes "vertes" pour aider les ménages à s'adapter. En Suède, où la taxe carbone instaurée en 1991 atteint aujourd'hui 120  euros la tonne, le PIB a augmenté de 75% entre 1991 et  2015, pendant que les émissions chutaient de 15%.

Ce renoncement français fait désordre en pleine COP24, mais les difficultés françaises à effectuer cette transition dont Emmanuel Macron se fait le chantre sur la scène internationale ne datent pas d'hier, ni des récentes émeutes.

Un débat sur le nucléaire qui masque les vrais sujets

Le pays (aujourd'hui moins de 1% des émissions mondiales), qui visait déjà le Facteur 4 (une diminution de 75% de ses émissions en 2050) promis par Jacques Chirac en 2003, s'est fixé avec Nicolas Hulot un objectif plus ambitieux encore : la neutralité carbone. Mais, alors que la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) vise une baisse des émissions de 27% en 2028 (par rapport à 2013), les résultats de 2017 montrent que nous ne sommes pas du tout sur la bonne trajectoire.

Quand les émissions mondiales ont augmenté de + 0,7% en 2017, c'est 3,2% pour la France, en dépassement de 6,7%.

Déjà en mars dernier, un avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) portait un regard sévère sur la transition écologique française. Pour redresser la barre, il prônait notamment d'augmenter de 20 à 35 milliards par an le montant consacré dans le cadre du Grand plan d'investissement, de flécher une partie des revenus de la CCE vers les collectivités pour financer des opérations sur leurs territoires et de mieux anticiper les évolutions de métiers impliquées par la transition.

Sur le front de l'énergie, la consommation française, qui doit baisser de 20% entre 2012 et  2030, a augmenté de 4,2% en 2017. Alors que la production d'électricité (essentiellement d'origine nucléaire et hydraulique) ne pèse presque rien dans ses émissions, le pays s'écharpe depuis des années au sujet de son mix électrique, composé aujourd'hui à 72% de nucléaire, et qui devrait voir cette proportion baisser à 50% (à une échéance aujourd'hui fixée à 2035).

En revanche, ce qui n'est sans doute pas sans lien, les énergies renouvelables accusent un retard de 12,8% sur les engagements pris en 2008 dans le cadre du paquet européen énergie-climat. La nouvelle Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui couvre la période 2019-2023, impose de passer de 17% d'électricité verte aujourd'hui à 40% en 2030. Cela signifie multiplier les capacités éoliennes installées par 3 et celles du solaire photovoltaïque par 5. Sont également prévus 10% de gaz renouvelable, 38% de chaleur renouvelable et 15% de carburants non fossiles. Dans le même temps, 14 réacteurs de 900 MW doivent fermer d'ici 2035.

Bâtiments et transports accusent les plus gros retards

Mais, sur le front climatique stricto sensu, le problème est ailleurs. Dans les bâtiments, responsables de 25% des émissions françaises, et qui ont raté leurs objectifs de 22,7% en 2017. Depuis le Grenelle de l'environnement (2007), les gouvernements successifs courent après les 500.000 rénovations thermiques annuelles (sur un parc de 27 millions de logements), sans jamais les atteindre ; la France compte 7,5 millions de passoires énergétiques et 12% des ménages souffrent de précarité énergétique.

Mais ce sont les transports (27% des émissions, dont plus de 90% dues au transport routier), en hausse constante et en dépassement de 10,69% sur leur budget carbone de 2017, qui sont le plus en retard.

Au-delà de la fiscalité écologique, dont on ne sait ce qu'elle adviendra à l'expiration des six mois de moratoire, c'est toute la politique française des transports et de l'aménagement du territoire qui est en cause : la préférence donnée depuis vingt ans au TGV au détriment des petites lignes  ; l'exonération de taxes sur les carburants pour les transporteurs routiers, ou sur le kérosène, qui nuisent à la compétitivité du train pour le transport de personnes comme de marchandises ; l'étalement urbain, qui accroît les déplacements quotidiens entre domicile et travail ; la fermeture de services publics (hôpitaux, tribunaux, etc.) qui contraint les citoyens à parcourir en voiture des distances toujours plus longues ; le manque de moyens en faveur des mobilités douces ; l'absence d'incitations pour des solutions telles que le covoiturage ou le télétravail...

Quant au Haut conseil pour le climat, dont la création a été annoncée en parallèle de la PPE et de la Stratégie nationale bas carbone le 27 novembre dernier, ses membres eux-mêmes tirent la sonnette d'alarme pour qu'il ne soit pas juste un énième comité Théodule et citent en exemple le Committee on Climate Change britannique. Mis en place au Royaume-Uni il y a dix ans, ce comité émet des recommandations sur des budgets carbone et publie un rapport annuel d'évaluation directement présenté au Parlement, avec obligation pour le gouvernement de répondre à ses observations et recommandations. Surtout, il prend en compte la dimension sociale... Un exemple à suivre en effet, même si cela paraît déjà un peu tard.