Fin des tarifs réglementés : après le gaz, l’électricité ?

Par Dominique Pialot  |   |  1739  mots
Les tarifs réglementés du gaz déclarés contraires au droit communautaire par le Conseil d'Etat
La décision rendue par le Conseil d’Etat sur les tarifs réglementés du gaz préfigure une décision similaire concernant ceux de l’électricité. Mais dans quels délais, et avec quelles conséquences pour le consommateur et pour l’opérateur historique ?

Par sa décision rendue publique le 19 juillet, le Conseil d'Etat annule un décret de 2013 encadrant  les modalités de fixation des tarifs réglementés de vente (TRV) du gaz. Ce dernier avait été attaqué par l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode), réunissant Direct Energie, Eni Gas&Power France, Gaz européen, Lampiris, Planète OUI et SAVE, au motif que ces tarifs sont contraires au droit de l'Union européenne. Ce que vient donc de confirmer le Conseil d'Etat, qui avait préalablement posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

En effet, le Conseil d'Etat a considéré que les motifs d'intérêt général qui, jusqu'à présent, fondaient l'existence d'un tarif fixé par l'Etat et applicable sur l'ensemble du territoire national à 5,4 millions de clients particuliers et professionnels n'avaient plus de justification.

« Leur maintien « constitue une entrave à la réalisation du marché concurrentiel du gaz, sans que cette restriction respecte les conditions qui auraient permis de la  regarder comme admissible au regard du droit de l'Union européenne. »

Transition en douceur

Cette décision intervient au lendemain de déclarations du ministre de l'Energie Nicolas Hulot devant le Sénat, dans lesquelles il avait évoqué des « injonctions de Bruxelles. » « On peut faire en sorte que ça soit lissé dans le temps, mais nous avons déjà repoussé l'échéance et il en va du gaz comme de l'électricité, à un moment ou à un autre, il faudra s'y plier », avait-il ajouté.

Il avait également précisé « on peut faire en sorte que ce soit lissé dans le temps », et assuré que le gouvernement ferait en sorte « que ça se fasse le moins douloureusement possible. » Et c'est exactement ce qui devrait se passer.

Dans pareil cas, trois solutions sont envisageables : rétroactivité, effet immédiat ou avec report. Mais la décision du Conseil d'Etat précise

« Ainsi, eu égard aux incertitudes graves qu'une annulation rétroactive ferait naître sur la situation contractuelle passée de plusieurs millions de consommateurs et de la nécessité impérieuse de prévenir l'atteinte au principe de sécurité juridique qui en résulterait, il y a lieu de prévoir, à titre exceptionnel, que les effets produits par le décret attaqué sont, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de la présente décision, regardés comme définitifs. »

« La rétroactivité de la suppression des tarifs réglementés au 1er janvier 2013 aurait eu des répercutions dramatiques pour l'opérateur historique, pas tant sur le plan financier qu'en termes de gestion administrative ou devant les tribunaux.», observe Maître René-Pierre Andlauer, spécialiste du droit de l'énergie au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel.

Mais les quelque 5,2 millions de clients d'Engie ne devraient pas connaître de big bang. Comme ils en avaient en réalité la possibilité depuis 7 ans, et comme l'ont déjà fait près de la moitié d'entre eux, ils pourront décider de quitter Engie pour un fournisseur alternatif. Ou choisir de rester chez Engie, qui propose également des contrats hors TRV, comme l''énergéticien le rappelle sur son site, où l'on peut lire

 « Le Conseil d'Etat ne remet pas en cause les contrats passés, ce qui veut dire qu'ils sont toujours valides, et que bien entendu, ENGIE continuera à alimenter ses clients tant qu'ils le souhaitent. »

« Si vous disposez d'un contrat au Tarif Réglementé, vous êtes concerné par la décision du Conseil d'Etat.  Cette décision remet en cause les TRV car ils ne sont pas conformes au  droit européen. Mais votre contrat reste tout à fait valide. Pour prendre en compte la décision du Conseil d'Etat, les pouvoirs publics doivent organiser pour le futur les modalités de la fin des TR gaz. ENGIE tiendra bien sûr ses clients informés. »

Vigilance des fournisseurs alternatifs

Combien de temps cette situation provisoire va-t-elle perdurer ?

« Si l'ANODE demande qu'il soit enjoint « à l'Etat de prendre, à compter de la décision rendue par le Conseil d'Etat, toutes les mesures garantissant la disparition des contrats aux [tarifs réglementés de vente] », l'annulation du décret du 16 mai 2013 prononcée par la présente décision n'implique pas nécessairement que l'Etat prenne une mesure d'exécution en ce sens. Ces conclusions ne peuvent donc qu'être rejetées » peut-on également lire en conclusion de la décision du Conseil d'Etat.

Dans un courrier adressé au Premier ministre suite à la décision du Conseil d'Etat, l'Anode lui demande d'abroger dans un délai de deux ans les dernières dispositions réglementaires appliquées aux TRV, entretemps intégrées au Code de l'Energie.

Autrement dit, les clients de l'opérateur historique devront impérativement changer de contrat de fourniture, si ce n'est de fournisseur. « Ca a déjà assez duré comme ça, s'exaspère Fabien Choné, PDG de Direct Energie et président de l'Anode. Nous serons vigilants à ce que le sujet bénéficie d'une communication de grande ampleur, neutre, non discriminatoire et transparente. »

Convaincre les consommateurs, un enjeu majeur

Déjà cette décision va sans doute faire progresser la connaissance au sein du grand public.  « Le principal effet de cette décision va se situer sur le plan de la communication, estime ainsi Me René-Pierre Andlauer. Les fournisseurs alternatifs vont pouvoir faire valoir leurs offres dans un contexte où les TRV ne sont plus considérés comme l'alpha et l'omega et sans doute élaborer des politiques de communication et de commercialisation plus agressives. »

« Quand une réglementation prend fin, qui implique un changement de comportement des usagers, c'est bien à l'Etat de communiquer », martèle Fabien Choné.

Le hic, c'est que les associations de consommateurs  sont vent debout contre cette décision. Elles voient en effet dans les TRV une espèce de « prix plafond » de référence protégeant le consommateur.

Pourtant « Penser que les TRV constituent un plafond pour les prix du gaz est un pur fantasme dans la mesure où ils sont à plus de 50 % indexés sur ceux du marché de gros du pétrole  rappelle Me Andlauer. En Italie et en Allemagne où il n'existe pas de tarifs réglementés, les prix du gaz ne sont pas plus élevés qu'en France. »

Un précédent annonçant la suppression des TRV électriques ?

 Dans quelle mesure cette décision sur le gaz préfigure-t-elle une décision similaire sur l'électricité, concernant non pas 5 mais 27 millions de clients d'EDF ? A l'inverse d'Engie, l'électricien était d'ailleurs représenté lors de l'audience du Conseil d'Etat.

La plupart des motifs invoqués pour l'annulation des TRV de gaz s'appliquent à l'électricité.

Une directive énergie en préparation à la Commission européenne, qui devrait être votée d'ici à fin 2017 pour une mise en application en 2019, préconise en effet la suppression totale des tarifs réglementés. La question de la transposition en droit national e devrait pas se poser avant 2019/2020.

Mais devant le Sénat, Nicolas Hulot a bien évoqué la fin annoncée des deux familles de TRV.

Et Engie se fait fort de rappeler que « La décision du Conseil d'Etat devra par ailleurs s'appliquer le plus simultanément possible aux tarifs réglementés de vente d'électricité pour éviter de créer une distorsion concurrentielle. »

 « Les critères déterminant le caractère anti-communautaire des TRV ont été clairement définis au niveau européen tout comme leur application au niveau national, et pourront être invoqués pour les TRV de l'électricité », confirme Me Andlauer.

L'intérêt général en question

L'avocat pointe néanmoins deux aspects qui diffèrent entre le gaz et l'énergie. Le critère d'intérêt général inclut la péréquation, qui permet à tous les Français, y compris les habitants de régions moins bien desservies, de payer le même prix pour leur énergie. L'argument a été rejeté pour le gaz car seules 30% des communes françaises sont raccordées, mais la situation est bien différente pour l'électricité. « Toutes les composantes du prix de l'électricité sont nationales », répond Fabien Choné, et la loi impose que les fournisseurs proposent un prix unique sur l'ensemble du territoire ». Exit donc l'argument selon lequel seuls les TRV garantiraient la péréquation. Concernant l'énergie nucléaire, l'Anode a demandé la prolongation de l'ARENH (accès régulé à l'énergie nucléaire historique), ce tarif actuellement fixé à 42 euros le mégawattheure, auquel EDF est contraint de vendre une partie de sa production aux fournisseurs alternatifs.

En revanche, à l'inverse du gaz, l'électricité est un « produit de première nécessité » qui bénéficie de tarifs sociaux. « Ce tarif social, destiné aux clients précaires ou sans fournisseurs », va disparaître avec le chèque énergie, affirme Fabien Choné, qui propose également la désignation d'un fournisseur de dernier recours.

Les tarifs actuels ne couvrent pas les coûts de l'opérateur

A ses yeux, la situation est plus préoccupante encore dans l'électricité que dans le gaz. En effet, les TRV, dont les gouvernements successifs ont refusé les augmentations réclamées par l'opérateur historique, ne couvrent même pas ses coûts. « Ce n'est pas une situation souhaitable pour la collectivité, car alors c'est le contribuable qui paie », déplore Fabien Choné.

« EDF est principalement victime de la politisation des tarifs de l'électricité, affirme-t-il. Plus de pression concurrentielle aboutira nécessairement à un surcroît de productivité chez tous les fournisseurs. Des parts de marché plus importantes permettront aux fournisseurs alternatifs d'être plus concurrentiels encore, au profit du consommateur » affirme-t-il, rappelant son objectif de porter Direct Energie (5 à 6% aujourd'hui) à 10% de part de marché en 2020.

Mais si EDF se voit contraint d'augmenter ses prix pour couvrir des coûts qui vont aller croissant, il risque d'assister à une hémorragie de sa clientèle. A moins que les fournisseurs alternatifs ne le suivent dans cette augmentation des prix, apportant de l'eau au moulin des associations de consommateurs.

« Le processus de suppression des TRV risque d'être ralenti par la position des associations de consommateurs (qui sont autant d'électeurs) qui ne va pas pousser le gouvernement à un zèle excessif », estime pour sa part Me Andlauer.